Santé et bien-être des animaux en aquaculture: un rôle à jouer pour les vétérinaires

L’offre mondiale d’animaux issus de la pêche et de l’aquaculture vient de dépasser les 20kg /an/habitant, dont plus de la moitié proviendrait aujourd’hui de l’aquaculture. Cette activité nécessite cependant l’intervention de compétences vétérinaires afin de maîtriser les risques sanitaires. L‘enseignement vétérinaire, en Europe et en France, tend à prendre en compte le développement de l’aquaculture dans le monde. Ainsi, les étudiants sont aujourd’hui sensibilisés à l’aquaculture, aux rôles du vétérinaire dans ce secteur, aux pathologies spécifiques, aux problématiques associées à l’aquaculture, à la durabilité des élevages et au bien-être des poissons.

L’aquaculture a pris de l’importance dans le monde

La compilation des informations fournies par la FAO permet de prendre la mesure de la consommation humaine mondiale de protéines, en augmentation moyenne considérable par habitant depuis cinquante ans mais avec une nette accélération pour les protéines animales par rapport aux protéines végétales. On considère que, pour 80 g journaliers de protéines par habitant aujourd’hui, moins de 50g sont des protéines végétales et un peu plus de 30g sont des protéines animales. Au cours du dernier demi-siècle, les disponibilités en protéines animales ont augmenté de 62% tandis que celles en protéines végétales progressaient de 16% (Anses, FAO).

Et malgré les débats de société occidentaux de ces vingt dernières années, la progression restait de 27% pour les protéines animales (versus 8% pour les protéines végétales) !

Certes la croissance de consommation de protéines animales s’est arrêtée et même inversée dans l’Union européenne puisque l’UE qui consommait deux fois et demie plus de protéines animales que l’ensemble du monde en 1991, présente aujourd’hui un ratio de moins de deux. Et si la diminution est certes toujours en cours dans les pays développés, la progression continue à être forte en Asie et en Amérique du Sud.

Parmi les protéines animales, celles issues de la pêche marine et continentale ont progressé avec le développement mondial très important de la pêche de capture depuis cinquante à soixante ans et plus récemment de l’aquaculture. L’offre mondiale d’animaux issus de la pêche et de l’aquaculture vient de dépasser les 20kg /an/habitant, dont plus de la moitié proviendrait aujourd’hui de l’aquaculture, celle-ci ayant connu une croissance particulièrement rapide dans le monde au cours des vingt-cinq dernières années, en Chine notamment. Dix pour cent des exportations agricoles mondiales seraient imputables à l’aquaculture. C’est donc un secteur en pleine expansion.

Des besoins en compétences sanitaires

L’aquaculture est un secteur qui nécessite l’intervention de compétences vétérinaires afin de maîtriser les risques sanitaires si l’on en juge au nombre de maladies connues dont peuvent être atteints ces animaux et que liste sur son site l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE). L’OIE se préoccupe fortement de ces questions. Du reste l’un des deux codes de normes sanitaires qu’elle édicte et met à jour est le code sanitaire pour les animaux aquatiques, appelé couramment « code aquatique ». Elle vient par ailleurs d’organiser au Chili en avril 2019 une Conférence mondiale sur la santé des animaux aquatiques.

L’actualité récente (mai 2019) s’est chargée de rappeler l’importance de l’enjeu sanitaire avec l’hécatombe survenue dans les élevages du nord de la Norvège, numéro un mondial de l’élevage du saumon, du fait de la prolifération d’algues marines du groupe des haptophytes qui se comportent comme des toxiques pour les saumons d’élevage ainsi asphyxiés dans leurs enclos immergés. Des millions d’animaux sont morts (en poids 12 000 tonnes au moment où j’écris ces lignes).

Ces questions de santé et de médecine vétérinaire des animaux aquatiques occupent des vétérinaires partout dans le monde. Sans doute moins en Europe (Norvège exceptée) qu’en Asie. Assez peu en France. Les quelques vétérinaires exerçant chez nous de façon spécialisée dans ces domaines ne réservent pas leur interventions au territoire national, mondialisation des activités et des services oblige… A l’inverse quelques vétérinaires français exerçant leur activité dans ce domaine sont installés à l’étranger. Le centre de gravité de l’aquaculture mondiale se situe plutôt en effet du côté de l’Asie… où il reste beaucoup à faire en matière de santé publique, par exemple à travers les bonnes pratiques d’emploi des antibiotiques et de lutte contre l’antibio-résistance bactérienne mondiale.

En Europe et en France, un enseignement sur l’aquaculture qui se renforce

En tout cas les établissements d’enseignement et de recherche vétérinaires européens ont parfaitement prévu dans leurs cursus de formation initiale et de formation continue de garantir un socle minimal de compétences en médecine vétérinaire des animaux aquatiques. C’est le cas de 95% d’entre eux (75/77), selon l’Association européenne pour l’évaluation des établissements d’enseignement vétérinaire (AEEEV/EAEVE). En revanche cet enseignement n’est, selon une enquête publiée en 2018, séparé et spécifique que dans une petite moitié des établissements. Cela signifie que les notions et compétences relatives aux animaux aquatiques sont majoritairement dispatchées au travers des enseignements généraux d’anatomie, de physiologie, pharmacologie, pathologie, etc… sans que pour autant il y ait un service et un enseignement individualisés de médecine vétérinaire des animaux aquatiques. Cela est inhérent à la caractéristique essentielle des activités vétérinaires, comparées à celles de médecine humaine : le vétérinaire est appelé à s’intéresser et connaître un très grand nombre d’espèces, versus le médecin qui n’en étudie qu’une, l’espèce humaine. L’enseignement médical vétérinaire procède en permanence, au plan méthodologique, en comparant et extrapolant. Toutefois certains établissements imposent plus d’une centaine d’heures de formation obligatoire réservée aux animaux aquatiques, sous forme d’un enseignement bien individualisé.

En France, dans les quatre établissements d’enseignement vétérinaire,  l’enseignement des connaissances et compétences est réparti  entre les différentes matières mais la situation a récemment évolué et un enseignement spécifique de plusieurs heures est maintenant prévu et dispensé, avec des variations en fonction de chacune des écoles,  sous forme de cours magistraux,  de conférences,  de travaux pratiques et de travaux dirigés (dont visite d’élevage), sans compter les ressources pédagogiques disposées sur une plateforme à disposition des étudiants. Des enseignements optionnels sont possibles en cinquième année d’école vétérinaire. Des formations complémentaires et des formations continues sont maintenant proposées aux étudiants et vétérinaires intéressés.

L’enseignement vétérinaire, en Europe et en France, veut prendre en compte le développement de l’aquaculture dans le monde et tout simplement aussi son dynamisme propre en Europe. Cela sans même parler de l’intérêt très fort pour l’aquariophilie, en plein développement aussi.

Dans tous les cas les étudiants sont aujourd’hui sensibilisés à l’aquaculture, aux rôles du vétérinaire dans ce secteur, aux pathologies spécifiques, aux problématiques associées à l’aquaculture, à la durabilité des élevages et… nous y venons : au bien-être des poissons.

Les vétérinaires comme experts et garants du bien-être des animaux aquacoles

La recherche et l’enseignement sur le bien-être des poissons et autres espèces aquacoles se développent et se renforcent. Ils sont du reste une nécessité quand on examine l’attente sociétale.

En effet un sondage réalisé en 2018 par ComRes pour Eurogroup for Animals et Compassion in World Farming sur l’opinion des Français concernant le bien-être des poissons,  montre que 70 % d’entre eux considèrent aujourd’hui que les poissons sont dotés de sensibilité et peuvent ressentir de la douleur et des émotions négatives comme la peur. Ils souhaitent qu’ils soient abattus de manière à minimiser leur souffrance.  Plus des trois quarts d’entre eux aimeraient qu’un étiquetage sur leur niveau de  bien-être les aide à orienter leur choix d’achat.

Les vétérinaires de France ne peuvent pas, ne peuvent plus, dans ces domaines, rester en retrait. Ils doivent être en phase avec l’opinion des citoyens-consommateurs, ils doivent en tout cas la connaître et la comprendre, mieux encore l’anticiper en vertu de leur éthique et de leurs responsabilités.

A ce propos, il est important d’observer que l’OIE, dont le slogan est aujourd’hui « Protéger les animaux, préserver notre avenir », intègre des textes normatifs consacrés au bien-être des poissons d’élevage dans son code sanitaire pour les animaux aquatiques.

Il est permis d’espérer une fois de plus que tant les réformes envisagées à court terme du recrutement des vétérinaires que la réforme maintenant bien engagée du cursus professionnel amènent l’arrivée en nombre de vétérinaires ouverts à ces nouveaux créneaux plutôt que le renforcement incessant et affligeant des effectifs de tous ceux qui aspirent à ce non-sens et cette aberration sociétale que constituent les soins médicaux à l’iguane vert de compagnie.

Michel Baussier

© Eurogroup for Animals

Article publié dans le numéro 102 de la revue Droit Animal, Éthique & Sciences


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