L’Australie en feu

Les images circulent à foison dans la presse et sur les réseaux sociaux : depuis septembre, l’Australie est en proie à des incendies colossaux (1). Début janvier, on comptait déjà 10 millions d’hectares brûlés – un chiffre qui augmente peu à peu – et 28 victimes humaines (2, 3, 4). Les animaux sont eux aussi victimes des incendies en nombres importants.

Plusieurs estimations ont circulé à ce sujet. Le 3 janvier, Chistopher Dickman, professeur d’écologie à l’Université de Sydney et membre de l’Académie des sciences australienne, parlait de 480 millions d’animaux affectés en Nouvelle-Galles du Sud. Cinq jours plus tard, il révisait ce chiffre à 800 millions pour cette région, et à plus d’un milliard au niveau national. Ces chiffres incluent les mammifères (à l’exception des chauves-souris), les oiseaux et les reptiles, et excluent les amphibiens et les invertébrés. Ils sont calculés à partir d’estimations de densité de populations dans un rapport du World Wild Fund (WWF) de 2007 mis en relation avec les surfaces brûlées. Ces estimations ont été critiquées par Colin Beale et Corey Bradshaw, respectivement écologues à l’université de York et l’université Flinders à Adélaïde. Ils reprochent notamment la non prise en compte des animaux parvenant à fuir les feux. Les véritables pertes ne peuvent pas être précisément estimées selon Corey Bradshaw. Des scientifiques français : Philippe Grandcolas, systématicien, et le parasitologue Jean-Lou Justine ont quant à eux avancé le chiffre d’un million de milliards de victimes animales. À la différence du professeur Dickman, leur calcul prend en compte tous les invertébrés, parasites inclus.

La biodiversité australienne en péril

Echidné, photo de pen_ash de Pixabay

Si le nombre de victimes ne fait pas consensus, on s’accorde à dire que l’ampleur des feux aura d’importantes conséquences sur la biodiversité locale (5). « Ce genre d’événements pourrait bien accélérer le processus d’extinction pour un certain nombre d’espèces » a déclaré le Pr Dickman. Cela est d’autant plus dramatique que l’Australie est un joyau de biodiversité. Elle fait partie des 17 pays qualifiés de « mégadivers » : ils regroupent 10 % des terres mondiales mais abritent 70 % de la diversité biologique de la planète. À l’échelle des temps géologique et comparé aux autres continents, l’Australie est restée isolée pendant une très longue période, ce qui explique qu’il s’agit du pays avec le plus haut taux d’endémisme au monde (6). Cela veut dire que nombres d’espèces présentes en Australie existent uniquement en Australie. C’est le cas de 84 % des espèces de plantes, 83 % de celles de mammifères, 45 % de celles des oiseaux, 93 % de celles de reptiles, 94 % de celles des amphibiens et de 85 % des espèces de poissons des eaux côtières. Cet extrême endémisme rend l’Australie particulièrement vulnérable aux espèces envahissantes, ce qui est l’un des facteurs expliquant qu’elle soit l’un des pays les plus touchés par l’érosion de la biodiversité au monde, et le plus durement touché au sein des 36 pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) (6). Cela se manifeste par 462 espèces animales et 1 339 espèces de plantes figurant sur la liste nationale des espèces menacées d’extinction. Il faut garder à l’esprit que cette liste inclut seulement les espèces connues et dont la dynamique de population a été étudiée. Or, un rapport du ministère de l’Environnement australien de 2009 estimait que la science n’avait décrit que 147 000 des 566 000 espèces probablement présentes en Australie. Le nombre réel d’espèces menacées d’extinction localement est donc vraisemblablement bien plus élevé que le nombre d’espèces figurant effectivement sur la liste officielle. En plus des espèces envahissantes, le bureau australien des statistiques liste parmi les menaces de la biodiversité identifiées la perte, la dégradation et la fragmentation des habitats, la surexploitation des ressources et le réchauffement climatique dont l’un des effets délétères est la modification de la saison des feux (6).

Feu et réchauffement climatique

Les feux de brousse font partie intégrante du fonctionnement des écosystèmes australiens (6). D’ailleurs, dans certaines zones dont la végétation a été perturbée par le surpâturage, c’est l’insuffisance des feux qui pose problème à la biodiversité (6). Les espèces s’y sont adaptées, certaines en dépendent même dans leur cycle de vie, comme certaines plantes dites pyrophiles dont la floraison est liée au feu (6). Mais la saison des feux 2019-2020 serait particulièrement intense. Selon David Bowman, directeur du centre du feu à l’université de Tasmanie : « L’étendue géographique, et le fait que tout se déroule en même temps est ce qui fait qu’il s’agit d’un événement sans précédent. Il n’y a jamais eu de situation avec un feu du sud de Queensland, traversant la Nouvelle-Galles du Sud, allant à Gippsland, dans les collines d’Adelaïde, près de Perth, et sur la côte Est de la Tasmanie ». La durée et la saisonnalité précoce des feux de cette saison seraient aussi inhabituelles (2). La météo fait partie des facteurs incriminés : selon le Bureau australien de météorologie, 2019 aurait été à la fois l’année la plus chaude et la plus sèche enregistrée depuis le commencement des relevés au début du XXe siècle. On peut difficilement déterminer la part précise du réchauffement climatique dans les déboires actuels. Cependant, si on regarde les données accumulées sur plusieurs années, il est possible d’établir un lien entre le réchauffement climatique et l’aggravation et la modification de la saison des feux en Australie.

Un rapport de 2018 du Commonwealth Scientific and Industrial Research Organisation (CSIRO) affirme qu’« il y a eu une augmentation des feux extrêmes sur le long terme, ainsi que de la durée de la saison des feux dans de grandes parties de l’Australie depuis les années 1950 »  et que « le changement climatique, en particulier l’élévation des températures, contribue à ces changements ». En 2005, un autre rapport du CSIRO avait réalisé une étude prospective de l’aggravation des risques d’incendies liés au réchauffement climatique en Australie. L’estimation repose sur le Forest Fire Danger Index (FFDI) – un indicateur des risques de feu de forêt. Le rapport avait prédit que le nombre de jours par an lors desquels cet indice atteint le niveau « très élevé » ou « extrême » augmenterait de 4 % à 25 % en 2020, et de 15 % à 70 % d’ici 2050 par rapport à 2005. Une étude de 2015 a analysé l’influence du climat sur les incendies entre 1979 et 2013. Elle conclut à une augmentation des incendies en termes de surface, de durée et de fréquence au niveau mondial, en lien avec le réchauffement climatique.

Le travail des pompiers, des associations et du gouvernement

Sur place, tout le monde se mobilise, à commencer par le service des pompiers de Nouvelle-Galles du Sud : le New South Wales Rural Fire Service, qui a d’ailleurs lancé un appel aux dons. La majorité des pompiers de ce service aujourd’hui sur le terrain sont des volontaires bénévoles . Un message de remerciement, projeté sur l’Opéra de Sydney sur fond d’images de pompiers bravant les flammes, a rendu hommage à ceux qui luttent activement contre les incendies. Le ministère de l’Environnement australien a annoncé avoir débloqué un fond d’urgence de 50 millions de dollars Australiens, soit environ 30 millions d’euros, dédiés au rétablissement de la faune et de la flore sauvage et des habitats.

De nombreuses associations de protection des animaux et de la biodiversité se mobilisent aussi. Animals Australia est très active. L’ONG gère un fond d’urgence qu’ils redistribuent aux stratégies qu’ils jugent les plus efficaces. Ce fond a financé les déplacements et l’achat de véhicules pour permettre à des vétérinaires spécialistes de la faune sauvage d’aller assister les animaux affectés par les feux, en collaboration avec Vets for Compassion et Vétérinaires Sans Frontières. Ils ont également alloué des fonds au South Australian Veterinary Emergency Management, une organisation de vétérinaires urgentistes volontaires, et aux centres de sauvegarde de la faune sauvage qui prennent soin des animaux blessés par les feux. Grâce au fond d’Animals Australia, 1,7 tonnes de nourriture ont pu être déployées à destination des animaux sauvages. Cette stratégie est aussi adoptée par le ministère de l’Environnement australien dans le cadre d’une mission nommée « Operation Rock Wallaby » . Des kilos de carottes et de patates douces ont été largués par les airs afin de nourrir les wallabies des rochers à queue touffue, une espèce menacée. Une vidéo de l’opération a même été partagée par le ministre de l’Environnement australien sur Twitter. En temps normal, il n’est pas recommandé de nourrir la faune sauvage, mais dans une situation de crise où les incendies et la sécheresse ont détruits une part importante des ressources, un soutien en eau et en nourriture peut améliorer la survie des populations. Cependant, des précautions doivent être prises dans le type de nourriture donnée et la façon de faire pour éviter des effets délétères à long-terme. Le département de la planification, de l’industrie et de l’environnement du gouvernement de la Nouvelle-Galle du Sud, et l’ONG WIRES, qui comptabilise le plus grand réseau de centre de sauvegarde de la faune sauvage en Australie, travaillent pour informer la population sur les bonnes et mauvaises pratiques. WIRES a d’ailleurs lancé un appel aux dons pour l’aider à financer les efforts de soin ainsi que les futurs projets de réhabilitation et de restauration des milieux à long terme. L’ONG Voiceless, quant à elle, a constitué une liste d’organisations portant assistance aux animaux sauvages et domestiques affectés par les feux et qui ont besoin de dons.

Wallaby des rochers. Photo de Nel Botha de Pixabay

Scott Morrisson, le premier ministre australien, est vivement critiqué pour sa gestion des incendies et son attitude quant à la crise climatique. Il a fait scandale en partant en vacances à Hawaii au début de la crise, séjour qu’il a tout de même écourté. Au cœur des critiques, le soutien de Scott Morrisson à l’industrie du charbon, incarné par son chef de cabinet, John Kunkel, ancien vice-président du Minerals Council of Australia, lobby de l’industrie minière (7, 8). L’Australie a ainsi été classée 57e sur 61 sur le « Climate change performance index » un indicateur évaluant la politique énergétique et climatique de différents pays, dans un rapport publié cette année par un réseau mondial d’ONG luttant contre le réchauffement climatique.

Individus et espèces : des enjeux croisés

La couverture médiatique des feux australiens aura été marquée par une grande attention portée aux impacts des incendies sur les animaux et aux efforts réalisés pour les protéger. Cela témoigne de l’évolution des mentalités. Cela est d’autant plus marquant que ces événements conjuguent des enjeux de protection des animaux en tant que représentants d’espèces et en tant qu’individus sensibles. Et l’on peut se réjouir de voir que les deux aspects ont suscité l’intérêt du public. L’histoire du koala Lewis, sauvé des flammes mais décédé en centre de soin, en est le symbole. La vidéo de son sauvetage a ému les gens du monde entier, tant par souci pour la conservation de son espèce que par ses souffrances en tant qu’individu. Le fait qu’il ait reçu un nom marque ce dernier aspect.

Gautier Riberolles

1. Le Parisien, 08/01/2020, « Incendies en Australie : cinq infographies pour tout comprendre à la catastrophe »

2. Pauline Moullot, Libération, 12/01/2020, « Est-il vrai qu’en 1974 l’Australie a connu des incendies bien pires qu’aujourd’hui ? »

3. BBC News, 13/01/2020, « « Australia fires : a visual guide to the bushfire crisis »

4. Julie Charpentrat, AFP, 15/01/2020, « Australie : les causes des incendies, mine de desinformation sur les réseaux sociaux »

5. Daniel Victor, New York Times, 11/01/2020, « How many animals have died in Australia’s bushfires ? »

6. Australian Government, Australian Bureau of Statistics, « Australia’s biodiversity »

7. Royce Kurmelovs, Vice, 16/01/2020, « Who to blame for Australia’s bullshit approach to climate change »

8. Gregory Plesse, L’echo, 23/12/2019, « Scott Morisson : le climato-sceptique au pays de Mad Max »


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