Les aides de la PAC et le bien-être des animaux

La Politique Agricole Commune offre aux États membres de nombreux outils permettant de soutenir et d’améliorer le bien-être animal, au-delà et en dehors des normes minimales, dans la diversité des systèmes et techniques. Encore faudrait-il saisir ces opportunités, avec des critères pertinents. Il est indispensable que les associations de protection animale obtiennent de participer, à tous les échelons, aux instances de gouvernance qui décident des budgets de la politique agricole commune.

Nous décrivons ici la vision des aides de la PAC que nous avons eue, assis sur le strapontin revenant à la fédération Alsace Nature dans des commissions traitant d’agriculture en Alsace, et au sein de la mouvance France Nature Environnement. La PAC est d’une grande complexité, et elle change tout le temps. Elle est réglementée dans les moindres détails. La Commission européenne veille à un certain élargissement de la gouvernance et à plus de transparence, et oblige à une évaluation environnementale des résultats par rapport aux objectifs et enjeux. Mais le poids politique de la profession agricole pèse lourdement pour obtenir un maximum d’argent pour un minimum de contraintes, en privilégiant la production et la compétitivité. Améliorer le bien-être animal est souvent une option, jamais une obligation. Dans ces conditions, avec des enveloppes budgétaires non extensibles, le bien-être est placé en concurrence avec d’autres envies de la profession qui y voit difficilement un intérêt autre que purement zootechnique ou un marché de niche. Toutefois, la demande sociétale et l’impact potentiel sur les débouchés commencent à être perçus, comme le montrent de nombreux articles récents dans les revues professionnelles d’élevage. Les tensions entre la société et les professionnels ont été inventoriées dans une importante enquête du groupement d’intérêt scientifique (GIS) « Élevages Demain » (1). Les responsables agricoles qualifient le bien-être des animaux encore comme « thème très sensible ». Faisons le tour.

Le premier pilier de la PAC : l’aide au revenu des agriculteurs

Le premier pilier de la PAC, financé par le FEAGA (fonds européen agricole de garantie), est destiné à être une aide au revenu des agriculteurs. La dernière réforme a introduit le droit de paiement de base (DPB), le paiement vert (2) et le paiement redistributif. Ces paiements à l’hectare sont déconnectés de la production. Ils sont accompagnés d’un garde-fou qui s’appelle la conditionnalité.

« La conditionnalité des aides est un ensemble de règles à respecter pour tout agriculteur qui bénéficie d’une ou plusieurs des aides liées à la surface ou à la tête (paiements découplés, aides couplées pour des animaux ou des végétaux, ICHN, MAEC surfaciques, agroforesterie). » (3) Les normes minimales (4) de protection animale font partie de ces règles, et sont contrôlées selon une grille (5) qui intègre la directive n° 98/58/CE concernant la protection des animaux dans les élevages ainsi que celles concernant les porcs (6) et les veaux (7). Celle concernant les poules pondeuses n’est toujours pas intégrée dans la conditionnalité ! La baisse des aides qui a lieu en cas de non conformités est de 3 % pour 1 ou 2 anomalies, et de 5 % pour 3 anomalies (anomalie grave), et 20 % pour une anomalie dite intentionnelle. Ce n’est donc pas très dissuasif, d’autant plus que lors d’une inspection (le plus souvent annoncée) seulement un certain nombre de points doivent être vérifiés (8), mais pas tous. La grille européenne destinée à la transmission des bilans des inspections est succincte, par exemple : pour les porcs, toutes les mutilations (9) sont regroupées alors que les différentes mutilations mériteraient d’être détaillées. Les inspections de conditionnalité et de protection animale dépendent de différents services et ne sont pas fréquentes, mais peuvent être planifiées en fonction de risques identifiés. Alors que la conditionnalité concerne de nombreux domaines réglementés, les contrôles ne portent généralement que sur un seul domaine. La profession sait imposer sa vision des contrôles.

Les États Membres (EM) peuvent décider qu’une partie des aides reste couplée à une production. C’est un régime facultatif. L’EM doit s’assurer que le secteur aidé est en difficulté et que la cible est retenue en raison de son importance, que ce soit pour des raisons économiques, sociales ou environnementales. L’objectif est donc de faire face à des difficultés et de maintenir le niveau de production, mais en aucun cas de l’augmenter. Ensuite, l’EM est libre de définir les conditions d’éligibilité ; on peut parfaitement imaginer des règles de bien-être animal ou d’agriculture à haute valeur naturelle. La France applique des aides couplées aux bovins allaitants, aux bovins laitiers, aux veaux biologiques (10), des aides ovines et des aides caprines. Elle n’applique aucun critère d’éligibilité qualitatif, ni de bien-être animal, ni environnemental, si ce n’est l’adhésion à des signes dits de qualité pour les ovins. Une vacherie de la part de la FNSEA a été de faire exclure de ces aides les propriétaires de moins de 10 vaches allaitantes. Les éleveurs ont été encouragés à avoir un grand nombre de vaches allaitantes, quitte à bourrer l’étable en hiver. Aussi, le modèle des vaches allaitantes génère un grand nombre de broutards, destinés en grande partie à l’exportation (11), et engraissés de manière très intensive. Ce système devrait être remis à plat. Les subventions devraient aider les éleveurs pour qu’ils puissent garder leurs animaux en zone herbagère et au pâturage durant toute leur vie.

S’il y avait une volonté politique et/ou un consensus sociétal, il serait possible d’introduire des critères de bien-être animal au niveau des aides couplées, et ce serait même faisable en cours de programme, vu qu’une révision est possible. Ne rêvons pas.

Le second pilier de la PAC : les principes du développement rural

Les aides du second pilier de la PAC, relevant du FEADER (fonds européen agricole pour le développement rural) sont maintenant cogérées par les Régions et l’État. Complexes, elles combinent un cadrage national avec les choix politiques des Régions. Les Régions décident d’ouvrir ou non telle ou telle mesure, et élaborent des zonages divers sur leur territoire. Ces aides européennes sont cofinancées par des acteurs nationaux, pour l’essentiel l’État, les collectivités régionales et départementales et les Agences de l’Eau. Pour la période 2014-2020, l’UE affiche trois objectifs stratégiques, en bref :

  • la compétitivité ;
  • la gestion durable des ressources naturelles et le climat ;
  • le développement territorial équilibré des économies et de l’emploi.

Le grand thème de ce programme de développement rural est de combiner la compétitivité avec l’environnement. Couramment, deux critères permettent d’attribuer des bonus au niveau des aides : ce sont l’installation des jeunes agriculteurs et les zones défavorisées.

Le bien-être animal ne se trouve pas en toute première loge, mais il est mentionné dans les six priorités européennes communes (12). Les EM doivent axer leurs programmes de développement rural sur au moins quatre de ces six priorités. Ceci reflète la méthode utilisée par la Commission qui combine toujours des obligations et du choix. Le règlement du développement rural propose en effet un vaste menu de mesures. C’est la troisième des six priorités européennes qui nous intéresse particulièrement : « promouvoir l’organisation de la chaîne alimentaire, le bien-être des animaux et la gestion des risques dans l’agriculture ». C’est encore une opportunité, pas une obligation.

En pratique et sur le terrain, les mesures du développement rural sont mises en œuvre s’il existe une demande, en l’occurrence une filière qui se dit intéressée, ou un opérateur territorial par exemple une collectivité qui est prête à animer des actions. Les Chambres d’agriculture sont évidemment en première ligne. Ce sont des organismes consulaires, dont les membres sont élus. Elles représentent les professionnels de l’agriculture. Elles accompagnent et conseillent les exploitants dans leurs diverses démarches, pour le meilleur comme pour le pire. Elles connaissent bien leur territoire et gèrent les relations avec les collectivités et les autres financeurs de l’agriculture. En grande majorité, les élus sont aussi des cadres de la FNSEA (13). En règle générale, la profession agricole préfère les aides à la compétitivité et en particulier aux investissements matériels ainsi que les aides à l’installation, aux aides agro-environnementales. Dans cette logique, le bien-être animal peut profiter, par exemple, de politiques de soutien aux filières de volailles Label rouge en plein air dont l’intérêt économique est bien identifié.

Quant au bien-être des animaux, il est en train d’émerger pour devenir un objectif identifié et autonome. Ainsi, Philippe Richert, président de la Région Alsace, a la volonté de faire progresser ce domaine. Mais la mise en œuvre technique est encore semée d’embûches. Faisons un tour au sein de ce deuxième pilier de la PAC (14).

Les opportunités du développement rural pour le bien-être animal

Les aides à la conversion à l’agriculture biologique et à son maintien, qui sont calculées à l’hectare, peuvent indirectement être considérées comme étant des aides au bien-être animal dès lors que la ferme fait de l’élevage, vu certaines exigences favorables du cahier des charges bio (15).

Les diverses aides aux prairies, pour des raisons environnementales ou pour compenser un handicap naturel (montagne), apportent un soutien indirect au pâturage, qui est, pour les ruminants, un élément majeur de bien-être animal. Mais le pâturage effectif n’est pas une obligation (sauf dans certains cahiers des charges). Ainsi il existe des cas où des bovins à viande, par exemple des Charolais, vivent en stabulation et sont nourris à partir de prairies de fauche bénéficiant d’aides de la PAC, mais les bêtes ne voient jamais une prairie.

L’entrée dans le bien-être animal par la grande porte pourrait se faire grâce à l’article 33 du règlement du développement rural (16). Il prévoit des paiements annuels et par tête en faveur du bien-être animal, pour des « engagements allant au-delà des normes obligatoires établies en application du titre VI, chapitre 1, du règlement (UE) n° 1306/2013 et des autres exigences obligatoires pertinentes ». Ces paiements indemnisent les agriculteurs pour tout ou partie des coûts supplémentaires et les pertes de revenus résultant de l’engagement pris. Sous réserve d’erreur, cette aide ne semble pas utilisée en France. Le gouvernement ne l’a pas prévu au niveau national, mais les Régions auraient été libres de l’appliquer. D’autres pays l’utilisent largement. Dans certains cas, les exigences ne sont pas extraordinaires, par exemple des augmentations de surface par animal assez ridicules. C’est tout de même un levier appréciable. Nous avons traduit l’essentiel des paiements proposés par le Baden-Württemberg, le voisin de l’Alsace (17). Pour les porcs charcutiers comme pour les poulets, ce programme prévoit un niveau bas de gamme et un niveau haut de gamme. Le niveau bas de gamme cherche à initier des améliorations, fussent-elles modestes, dans la production industrielle standard. Le porc haut de gamme bénéficie, pour 14 € par porc, d’une augmentation de la surface, de litière et d’un modeste accès au plein air.

Le refus en France de l’introduction de ces aides est sans doute dû à l’inexpérience et à la peur de mettre le petit doigt dans l’engrenage du bien-être animal, et à la volonté de garder un maximum d’argent pour des objectifs liés directement à la production et à la compétitivité, sans aucune exigence de contrepartie. C’est une profonde erreur, puisque la compétitivité devra intégrer une prestation environnementale et une qualité éthique. Nous sommes encore en plein dans le mécanisme de verrouillage qui retarde la transition indispensable et urgente vers d’autres modèles agricoles.

Mesures existantes

Déclinons les différentes mesures du développement rural qui pourraient bénéficier au bien-être animal s’il existait une volonté politique et une dynamique locale (le bien-être animal n’étant jamais une obligation). Les différentes mesures peuvent faire l’objet d’un appel à projets. Les projets passent d’abord par des critères d’éligibilité, et sont ensuite évalués avec des critères de sélection qui déterminent l’attribution de points. Autant au niveau de l’éligibilité qu’au niveau des critères de sélection, les Régions sont libres de poser des exigences liées au bien-être animal, afin de privilégier de tels projets et/ou de leur attribuer un bonus. Or la réalité est celle-ci : il existe un plafond pour les aides. Les critères d’éligibilité et les critères de sélection constituent des listes qui sont des menus au choix pour le porteur de projet. Chacun peut y trouver ce qu’il lui faut pour atteindre le plafond des aides, avec ou sans effort à faire au niveau du bien-être animal. C’est décevant d’un point de vue du bien-être animal. Toutefois, des éléments de bien-être animal peuvent apparaître par ci par là. Sans doute faut-il passer par cette étape encore peu satisfaisante. C’est un premier petit pas. C’est un signal.

L’installation de jeunes agriculteurs est fortement aidée, qu’il s’agisse d’élevages intensifs en claustration ou d’élevages alternatifs. D’ailleurs, les critères de viabilité qui sont appliqués aux élevages par l’encadrement agricole et bancaire conduisent parfois à pousser les éleveurs à augmenter le nombre d’animaux prévus.

Le soutien aux démarches de qualité et la promotion des démarches de qualité mises en place par les groupements sont prévus par les Régions. Malheureusement, ces financements s’adressent de manière indifférenciée à trois types de produits qui sont d’un intérêt très inégal :

  • des signes dits de qualité et de l’origine qui ont un intérêt pour le bien-être animal (par exemple. des volailles fermières élevés en plein air) ;
  • d’autres signes de qualité et de l’origine reconnus au niveau européen mais qui n’ont aucun intérêt au niveau du bien-être animal, bien au contraire (par exemple. l’IGP Jambon de Bayonne, diverses autres IGP porcines, les chapons, les foies gras) ;
  • des marques régionales développées dans le but de défendre l’économie régionale et dont les cahiers des charges concernés ne sortent pas forcément de l’ordinaire. La légitimité d’un tel soutien à des produits somme toute « conventionnels » pourrait d’ailleurs être contestée.

Ce sont les filières régionales existantes qui font valoir leurs intérêts.

Partout se pratiquent des aides pour la transformation à la ferme et pour les circuits courts. Des productions à bien-être animal élevé peuvent en bénéficier. Cette possibilité existe aussi, il ne faut pas l’oublier, pour les aides aux industries agro-alimentaires. Il serait essentiel de faire le lien entre les pratiques éthiques dans l’élevage et l’indispensable transformation au moins artisanale sinon industrielle des produits. Il n’est ni réaliste ni souhaitable que chaque éleveur s’épuise en exerçant en plus le métier de transformateur et commerçant. Qu’il s’occupe d’abord bien de ses bêtes ; à chacun son métier et le libre choix de l’organisation de son travail.

→ Citons encore quelques autres mesures qui pourraient, théoriquement, bénéficier au bien-être animal. C’est d’abord la formation professionnelle, l’innovation, le transfert de connaissances. Il serait même imaginable d’inclure un projet qui s’intéresserait au bien-être animal dans un programme LEADER (18) ou dans des projets dits de coopération entre partenaires.

Citons pour mémoire que les programmes de développement rural financent aussi de nombreuses mesures pour l’environnement, notamment pour la protection de la nature et de l’eau et pour le climat.

→ La performance environnementale des exploitations est une préoccupation moderne, et cela se traduit en particulier par des économies d’énergie, mais aussi par une plus grande autonomie en protéines et en même temps une plus grande indépendance par rapport à la volatilité des prix de l’aliment pour animaux sur le marché mondial. Ainsi le Plan pour la compétitivité et l’adaptation des exploitations (PCAE) fait partie du développement rural et se définit au niveau régional. Il a « pour ambition de constituer des filières agricoles compétitives, de répondre aux enjeux de la triple performance économique, environnementale et sociale notamment en privilégiant les approches collectives telles que les GIEE (Groupements d’intérêt économique et environnemental) (19) et d’assurer une cohérence avec les autres dispositifs de soutien public. » (20) Il est cofinancé 50 %/50 % par l’Europe et des financeurs nationaux. Cette agro-écologie promue par le gouvernement s’intéresse peu au bien-être animal mais retient tout de même l’intérêt d’élever des porcs sur paille, pour leur bien-être, ainsi que l’intérêt de l’herbe pour les bovins.

Parmi les nombreuses et diverses aides à l’investissement il nous reste, avant de quitter le domaine du développement rural, à détailler les aides les plus importantes concernant directement le bien-être animal. Elles sont fortement sollicitées.

Le cas particulier du bien-être animal dans les aides aux bâtiments d’élevage

Chaque Région a défini des critères d’éligibilité et a ensuite élaboré une liste de critères de sélection. Ces critères correspondent à des éléments du projet, et le demandeur s’engage à les respecter. C’est le nombre de points obtenus qui décidera du financement. Regardons quelques exemples, au hasard. La Région Centre-Val-de-Loire (21) cite, dans la grille des critères de sélection, le bien-être animal ; cela signifie « Investissements liés au respect des normes (bien-être animal) nouvellement introduites ou allant au-delà du normatif (travaux d’ambiance dans les bâtiments…) » et « Équipement d’abreuvement au pâturage ». L’aide à l’abreuvement au pâturage peut être considéré comme une aide indirecte au pâturage. Quant aux investissements en bâtiments, le menu est largement ouvert. Il permet en particulier de financer des ventilateurs ou la brumisation qui réduisent les mortalités en élevage concentrationnaire. L’amélioration des conditions de travail est traitée de manière bien plus complète ; il y figure par exemple la vidéosurveillance des vêlages.

Région Bretagne

Prenons encore, non pas par hasard, la liste des investissements éligibles retenus à la mesure modernisation bâtiment de la Région Bretagne (mars 2015) (22). Les nombreux investissements éligibles aux bâtiments d’élevage répondent en priorité à une liste de huit domaines (23), dont un est libellé qu’ils « pourront permettre l’adaptation de la production avec des process performants, l’utilisation des nouvelles technologies, la prise en compte de la pénibilité, de l’astreinte et des conditions de travail ou l’intégration du bien-être animal ». Regardons de plus près le site de la Région Bretagne (24). A première vue, à peu près tous les équipements de l’élevage industriel semblent éligibles, et en particulier ceux en lien avec une économie d’énergie, une amélioration de l’ambiance dans les bâtiments, ou une meilleure gestion des effluents. Le bien-être animal est une petite option. Pour les herbivores figurent sous bien-être animal les équipements pédiluves, ventilateurs, brumisateurs, sols caoutchouc. Pour les lapins figure sous bien-être animal « cage polyvalente pour améliorer le bien-être de l’animal et le travail de l’éleveur ». Il est pourtant difficile à comprendre quel serait l’apport en termes de bien-être des cages polyvalentes (maternité et engraissement). Pour les poules pondeuses, la liste est plus longue : « Brumisation intérieure en bâtiments de ponte, dispositifs de perchage et de cloisonnements des lots, dispositifs de déstratification de l’air dans le bâtiment (brasseurs, mixeurs et appareils de régulation), travaux de structure et aménagements de jardins d’hiver ». C’est semblable en ce qui concerne les volailles de chair, les reproducteurs, les palmipèdes et les lapins. Nous retrouvons donc en priorité des technologies qui servent à améliorer l’ambiance, voire à prévenir les mortalités lors d’épisodes de canicule. Cela relève certes du bien-être animal, mais c’est aussi un enjeu clairement sanitaire et économique. Les jardins d’hiver par contre sont un « plus » authentique et pertinent pour répondre aux besoins comportementaux des volailles. Il s’agit d’une sorte de véranda ou parcours couvert, engrillagé, sur sol stabilisé et nettoyable, où les animaux peuvent prendre l’air et s’occuper (à condition qu’il soit bien aménagé et géré), même si le parcours extérieur est fermé en raison d’intempéries. Notons pour ces mêmes espèces encore la « création d’ouvertures en parois pour éclairage naturel ». Pour les palmipèdes est éligible le « logement collectif de gavages (non subventionnées par ailleurs) » ; nous reverrons cet élément plus loin, car il peut en effet bénéficier d’un autre type d’aides.

Très curieusement, pour les porcs en Bretagne, en matière de bâtiments d’élevage, un grand nombre d’équipements sont éligibles, dont le lavage d’air et… les caillebotis ! Le caillebotis est un sol perforé qui laisse tomber les déjections sous les animaux. Il peut être intégral, dans ce cas toute la surface de la case a un sol perforé. C’est incompatible avec le confort physique et thermique des porcs, avec l’apport (pourtant obligatoire) de matériaux manipulables appropriés et suffisants (comme la paille), et avec la mise à disposition de matériaux de nidification pour la mise-bas (25). Si le caillebotis n’est pas intégral mais partiel, il peut s’intégrer dans une structuration pertinente de la case. Hélas, plus de 90 % des porcs français vivent sur caillebotis intégral et subissent toutes les défaillances de ce système. Nous sommes donc très inquiets que la Région Bretagne finance ces caillebotis. Elle devrait financer uniquement du caillebotis partiel, à savoir des systèmes qui comportent une partie de sol plein.

Dans la grille de critères de sélection pour la filière porcine (26), le critère « Filière » P3 est libellé : « Produire plus et mieux : réalisation d’un suivi technico-économique ». Bref, malgré une légère touche environnementale, nous retrouvons ici l’état d’esprit très bien décrit par Jocelyne Porcher, sociologue et membre du comité scientifique de la LFDA, dans son livre « Cochons d’or » : le suivi technico-économique sélectionne les soi-disant « meilleurs » qui sont alors légitimés à avaler les « moins bons » appelés à disparaître. Ainsi il se pourrait que les critères de sélection de la Région Bretagne poussent les producteurs à la surproduction et dans la crise.

Parmi les critères de sélection figure aussi toute la liste des chartes et des systèmes de certification pour l’industrie, le commerce et le marketing. La traçabilité est assurée, mais il ne faut pas s’attendre à un bien-être animal supérieur aux normes minimales.

En conclusion, si la rubrique « bien-être animal » (27) existe bien au niveau des bâtiments d’élevage, elle est encore assez pauvre au niveau de son contenu. En dehors de l’objectif timide du bien-être animal, le pire peut être subventionné, par exemple les gaveuses. Quant aux éléments subventionnés au titre du bien-être animal, ils sont le plus souvent liés à des conditions d’élevage correctes élémentaires (ventilation). Bien sûr, cela convient parfaitement à la profession. A de rares exceptions près – et en particulier les jardins d’hiver pour certaines volailles – les critères éthologiques demeurent absents. C’est particulièrement surprenant pour le porc, d’autant plus que des travaux intéressants sur de l’élevage sur paille se font, avec le financement des collectivités bretonnes. En réalité, les aides le concernant se trouvent sous un autre intitulé. C’est dans l’aide régionale bretonne à la diversification d’activités et aux systèmes alternatifs de production (28) que figurent les conditions de recevabilité qui nous intéressent, à savoir les systèmes alternatifs : porcs sur paille, porcs sur litière biomaîtrisée, porcs en plein air.

Nous sommes donc ici dans une approche différente de l’approche que nous avons rencontrée avec l’application de l’article 33 au Baden-Württemberg. La Bretagne soutient une segmentation du marché, où le porc alternatif est soutenu en tant que segment de marché prometteur mais très minoritaire, destiné aux circuits courts. La production standard reste ce qu’elle est. L’Allemagne, sous la pression de la rue (29), cherche à se doter d’outils économiques et incitatifs qui permettent aussi de faire évoluer le modèle standard.

Région Alsace

Quant à la Région Alsace, les objectifs pour les filières animales visent entre autre l’amélioration des conditions de bien-être animal, de santé et d’environnement. Dans sa grille des critères de sélection, l’Alsace veut soutenir des systèmes d’élevage spécifiques, à savoir des porcs sur paille ou biologiques, des volailles plein-air et des élevages cunicoles avec des aménagements particuliers ou biologiques. La volonté est bonne et prometteuse. L’exécution reste ambiguë. En effet, une démarche qualité (bio, Label rouge, AOP, Bienvenue à la ferme…) reçoit 10 points, et une filière locale « valorisée par une démarche locale ou interrégionale » reçoit aussi 10 points. Malheureusement, certaines filières locales sont des productions standard. Le porc « Burehof » par exemple est du porc de type industriel standard pur et dur sur caillebotis intégral. La confusion entre filière de haut niveau (bio, et certains Labels rouges mais pas tous) et filière industrielle standard régionale est tenace. Cet amalgame en matière d’aide au bâtiment se répète pour l’aide aux investissements collectifs ainsi que pour l’aide à la transformation et à la commercialisation. Il faudrait que les filières standard évoluent.

Les aides d’Etat

Au-delà des financements européens existe la possibilité, dans certaines limites, d’accorder des aides d’Etat sans contrepartie européenne, dont les conditions sont précisées (30) par les Lignes directrices de l’Union européenne concernant les aides d’État dans les secteurs agricole et forestier et dans les zones rurales 2014-2020 (2014/C 204/01), sous 1.1.5.2. « Les engagements en faveur du bien-être animal admissibles au bénéfice de l’aide doivent prévoir des normes renforcées des modes de production dans l’un des domaines suivants :

  1. l’eau, les aliments et les soins pour animaux, conformément aux besoins naturels des animaux d’élevage ;
  2. les conditions de logement, notamment en ce qui concerne l’augmentation de l’espace disponible, les revêtements de sol, les matières manipulables, la lumière naturelle ;
  3. l’accès à des espaces extérieurs ;
  4. les pratiques permettant d’éviter la mutilation et/ou castration des animaux ou permettant l’utilisation de produits anesthésiques et anti-inflammatoires, dans les cas où la mutilation ou la castration des animaux est nécessaire. »

Nous reconnaissons ici un langage bien plus proche des attentes des protecteurs des animaux que le langage de la PAC. L’enjeu n’est pas le même – chaque EM décide en fonction de son opinion publique. La Suède par exemple finance les pratiques sous (d).

Avant l’échéance de nouvelles normes minimales pour la protection des animaux, l’État français subventionne des soi-disant mises aux normes qui ne sont que partielles et qui pérennisent des non conformités significatives. L’État aurait très bien pu, par des aides ciblées et/ou des bonus, privilégier des systèmes alternatifs de qualité. Non. Aussi bien que possible ou plus mauvais que permis – l’État paie le même soutien. Pour les poules pondeuses, il aurait pu privilégier les systèmes avec sortie au plein air. D’ailleurs, dans les cages de nouvelle génération, les poules devraient bénéficier d’une litière permettant le picotage et le grattage ; ce n’est pas le cas. L’État aurait pu inciter à privilégier, pour la mise en groupe des truies, des systèmes spacieux, avec une partie de litière. Non. Les truies manquent toujours des matériaux manipulables appropriés auxquels elles auraient droit. Quant au foie gras, l’État finance des cages de gavage collectives qui, en réalité, sont illégales puisqu’elles n’offrent pas aux canards la litière qui est obligatoire sur l’aire de repos.

Concurrence européenne et crise socio-économique

Jetons un regard vers l’Espagne, d’où nous viennent, avec l’Allemagne, ces porcs à bas prix qui désespèrent nos éleveurs. La production espagnole est très intégrée. Des sites de naisseurs-engraisseurs sont (sans besoin d’enquête publique) transformés en sites spécialisés de naissage. Pour engraisser les porcelets produits, de nouvelles unités sont construites. « 3000 places d’engraissement coûtent 600 000 € ; le plan de développement rural permet d’espérer jusqu’à 50 % de subvention, voire 60 % pour les jeunes, dans les zones défavorisées (…) cela permet d’amortir l’investissement sur cinq années. Ce système est très simple et très efficace, il rassure les financiers. C’est sur ce modèle particulièrement rentable que l’Espagne a augmenté sa production et sa compétitivité. » (31). Ces nouveaux sites de naissage disposent de terres pour l’épandage. L’argument environnemental et celui des zones défavorisées, pervertis, conduisent à financer le pire avec l’argent public européen et d’alimenter une crise devenant tragique.

Terminons par un regard sur cette crise. De plus en plus de personnes estiment que le système actuel qui est construit sur l’agrandissement des élevages et la compétition, est en train de rentrer droit dans le mur. Les Européens, heureusement, réduisent leur consommation de viande. Mais les filières animales, sous la pression des industries d’amont et d’aval, cherchent à produire plus. Elles exigent sans arrêt de la part de la Commission européenne (32) qu’elle leur trouve des marchés à l’exportation et qu’elle finance la promotion des produits. Quand rien ne va plus, la Commission finance du stockage privé dont elle avait elle-même souligné le non-sens (33). En même temps, elle négocie l’ouverture du marché européen à des viandes importées dans le cadre du TTIP (Transatlantic Trade and Investment Partnership) et CETA (Canada-EU Trade Agreement) (34).

Alors que les ONG de protection des animaux sont présentes dans l’arène du lobbying au niveau européen, elles manquent encore cruellement, c’est le cas de le dire, dans toutes les instances de gouvernance des questions agricoles en France, contrairement à ce qui se passe dans d’autres pays. Il serait pourtant utile de s’approprier les mécanismes possibles du financement du bien-être animal. Il serait sans doute intéressant et formateur pour la profession agricole d’entendre les arguments concernant les besoins des animaux, à respecter. En effet, la FNSEA a un système de formation de ses cadres qui est (redoutablement) efficace, mais le bien-être animal et en particulier l’éthologie, comme d’ailleurs la biodiversité, n’y figure pas encore. C’est un petit conseil à donner à tous les syndicats agricoles : abandonnez l’attitude défensive. Vous l’avez vous-mêmes verrouillée puisque durant plusieurs décennies vous avez donné à vos experts « bien-être » dans vos Instituts techniques la mission de développer des arguments permettant de s’opposer à d’éventuelles obligations européennes en matière de bien-être animal, selon la méthode des « marchands du doute » (35). Aussi, on attendrait un peu plus de l’INRA. L’éthologie doit entrer dans les Chambres d’agriculture. La vraie. Pas celle qui compte les quelques mouvements d’animaux enfermés, entassés et immobilisés. Mais celle qui adapte les conditions d’élevage aux besoins comportementaux des animaux. La sociologie peut toujours causer… les bâtiments d’élevage et les parcours annoncent la couleur.

Anne Vonesch

collectifpleinair.eu

1.Acceptabilité sociale de l’élevage en France. Recensement et analyse des controverses. Groupement d’intérêt scientifique Élevages Demain, 2014.
2.Le paiement vert exige un certain respect du maintien des prairies, de diversité et rotations des cultures, et de surfaces d’intérêt écologiques à hauteur de 5 % des surfaces arables. Ces règles de base sont d’une interprétation complexe. http://agriculture.gouv.fr/paiements-decouples-paiement-vert
3.http://agriculture.gouv.fr/conditionnalite
4.Il vaut mieux parler de « normes minimales » que de « normes bien-être ». Les directives parlent effectivement de « normes minimales » ; il s’agit des concessions obtenues de la part des filières industrielles. Ces normes sont loin de ce qui pourrait être considéré comme étant du « bien-être ». Il a été peu pertinent de suggérer aux éleveurs que les « normes minimales » seraient des « normes bien-être ». Cette confusion a induit des « mises aux normes » aussi mauvaises que permises (voire pire) et conduit à la persistance des conflits sociétaux.
5.http://agriculture.gouv.fr/telecharger/71808?token=dfe365722df4bf90347fca9b8797017f
6.Directive 2008/120/CE version consolidée ; la directive date de 2001
7.Directive 2008/119/CE version consolidée ; la directive date de 1997
8.http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/AUTO/?uri=celex:32006D0778 Décision 2006/778/CE Article 6
9.Section des queues et castration (à vif), raccourcissement des dents par meulage ou par section à la pince (méthode intolérable).
10.C’est une excellente chose, parce que les veaux biologiques bénéficient d’exigences supérieures en matière de bien-être. Or un grand nombre de veaux issus de vaches biologiques part en engraissement standard.
11.Dans le passé, plus d’1 million de broutards étaient exportés chaque année pour être engraissés surtout en Italie et un peu en Espagne. Ces exportations diminuent. Maintenant la filière espère que le marché turc se développe pour les broutards. Quant à l’exportation des bovins engraissés vivants vers les pays du pourtour méditerranéen pour y être égorgés, ni la filière ni la Commission européenne ne veulent y mettre fin, bien au contraire.
12.Les États membres doivent axer leurs programmes de développement rural sur au moins quatre des six priorités européennes communes :

  1. encourager les transferts de connaissances et l’innovation dans les secteurs de l’agriculture et de la sylviculture et dans les zones rurales ;
  2. améliorer la viabilité et la compétitivité de tous les types d’agriculture et promouvoir les technologies agricoles innovantes et la gestion durable des forêts ;
  3. promouvoir l’organisation de la chaîne alimentaire, le bien-être des animaux et la gestion des risques dans l’agriculture ;
  4. restaurer, préserver et renforcer les écosystèmes liés à l’agriculture et à la sylviculture ;
  5. promouvoir l’utilisation efficace des ressources et soutenir la transition vers une économie sobre en carbone et résiliente face au changement climatique dans les secteurs agricole, alimentaire et forestier ;
  6. promouvoir l’inclusion sociale, la réduction de la pauvreté et le développement économique dans les zones rurales.

http://ec.europa.eu/agriculture/rural-development-2014-2020/index_fr.htm
13.Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles
14.Les programmes de développement rural régionaux (PDRR) peuvent être téléchargés. Voir aussi les sites de « l’Europe s’engage en France » http://www.europe-en-france.gouv.fr/Des-programmes-pour-qui-pour-quoi/Programmes-2014-2020#/regional
15.Les cahiers des charges et les guides correspondants peuvent être téléchargés sur le site de l’Agence bio : http://www.agencebio.org/les-textes-reglementaires
16.http://www.reseaurural.fr/files/rdr3.pdf
17.http://collectifpleinair.eu/wp-content/uploads/2015/05/Baden-W%C3%BCrttemberg-Subventions-D%C3%A9velppmt-Rural.pdf
18.Liaison entre actions de développement de l’économie rurale.
19.http://agriculture.gouv.fr/les-groupements-dinteret-economique-et-environnemental-giee
20.http://www.cher.gouv.fr/Politiques-publiques/Agriculture-et-developpement-rural/Financement-et-modernisation-des-exploitations/Plan-pour-la-competitivite-et-l-adaptation-des-exploitations-PCAE
21.http://www.regioncentre-valdeloire.fr/files/live/sites/regioncentre/files/contributed/docs/appels-a-projets/feader/411-inv%20productif_Demande%20aide%20modif_150701.pdf
22.http://europe.bzh/upload/docs/application/pdf/2015-07/to_411-b_annexes_invest-eligibles.pdf
23.http://europe.bzh/upload/docs/application/pdf/2015-07/to_411-b_modernisation_batiments_notice.pdf
24.http://www.europe-en-bretagne.fr/content/download/1224/10205/version/1/file/411b-Batiment-PCAEA-03-InvestissementsEligibles_2015.pdf
25.http://www.agrociwf.fr/media/6760132/resume-info-4-alternatives-mise-bas.pdf
26.http://europe.bzh/upload/docs/application/zip/2015-07/to_411-b_annexes_grilles_selection.zip
27.http://www.draaf.bretagne.agriculture.gouv.fr/Bien-Etre-Animal28.http://www.bretagne.bzh/jcms/l_19789/fr/diversification-d-activites-systemes-alternatifs-de-production
29.50 000 personnes ont participé à la manifestation « Wir haben es satt » (ras-le-bol) à Berlin, en janvier 2015, contre le système agro-industriel et les fermes-usines. http://www.wir-haben-es-satt.de/start/home/rueckblicke/berlin-demo-2015/
30.http://ext-jur.franceagrimer.fr/Juridique/Lignes-directrices-aides-etat-%202014-2020.pdf
31.d’après Antonio Tavares, président du groupe viande porcine de la Copa-Cogeca, dans Porc magazine, juillet-août 2015, n° 500, pages 32-33
32.C’est ce qui se passe dans les Groupes de Dialogue Social auprès de la Commission européenne.
33.C’était le cas pour le stockage privé de viande de porc au printemps 2015.
34.voir l’article « Négociations du traité transatlantique : barre à mine ou poignée de main ? » de Katherine Mercier du n° 83 de la revue Droit Animal Éthique & Sciences
35.ORESKES N & CONWAY EM. Les marchands de doute : ou comment une poignée de scientifiques ont masqué la vérité sur des enjeux de société tels que le tabagisme et le réchauffement climatique. Éd. le Pommier, 2012.

Article publié dans le numéro 87 de la revue Droit Animal, Éthique & Sciences.

ACTUALITÉS