Il ne faut pas tuer les prédateurs

La revue Frontiers in Ecology and the Environment du 1er septembre rapporte le travail de trois chercheurs, Adrian Treves (université du Wisconsin), Mihha Krofel et Jeannine McManus publié sous le titre « Predator control should not be a shot in the dark ». La conclusion de cette étude scientifique est que tuer les prédateurs des troupeaux d’animaux d’élevage se révèle contre-productif.

prédateurs, loup

Cette publication nous permet de revenir sur la destruction du loup, sujet d’un article de Sophie Hild, publié dans le n° 84 de cette Revue (janvier 2015). Voyons quelle est l’argumentation de l’article de Frontiers in Ecology.

Ces biologistes ont étudié les cas d’attaques de troupeaux par des carnivores dans des exploitations européennes et nord-américaines. Dans 70 % des cas, l’abattage, qu’il soit par projectile, poison ou piège, se révèle rester sans effet, voire augmente la prédation. À l’opposé, les méthodes non létales sont efficaces à 80 %, qu’elles soient dissuasions sonores ou visuelles, rubans répulsifs, ou filets de capture. À ce dernier titre, en France, la dissuasion est assurée par la présence de chiens de protection, 1 500 dans les Alpes contre le loup, 1 000 dans les Pyrénées contre l’ours (voir les articles pp. 10 et 30 dans la Revue n° 90 de juillet).

Pourquoi donc une augmentation des prédations par le loup ?

Trois hypothèses sont avancées.

  • La première est due à l’organisation des meutes qui autorégulent leur population : l’abattage d’un animal provoque l’augmentation du nombre des individus.
  • La deuxième hypothèse est que cet abattage stimule le départ de loups qui partent explorer d’autres territoires ou s’y installent, ce qui diffuse les prédations.
  • La troisième est propre au cas de l’abattage d’un des deux membres du couple chef de meute : la cohésion du groupe est rompue, et certains membres chassent en solitaire, ce qui a pour effet de démultiplier les attaques.

Les conclusions de l’étude publiée dans Frontiers in Ecology ne sont pas exemptes de réserves, ne serait-ce qu’au sujet de l’organisation sociale du loup américain qui n’est pas exactement la même que celle du loup d’Europe, et des différences dans les modes d’élevage. C’est pourquoi France Nature Environnement (FNE) a demandé qu’une étude similaire soit lancée sur le territoire français. Cette demande rejoint la conclusion d’Adrian Treves : « Sur la base des connaissances actuelles, nous recommandons la suspension de l’abattage des prédateurs tant que son efficacité n’a pas été prouvée. Il est nécessaire de conduire de nouvelles recherches dans chaque pays avant d’autoriser de nouveaux plafonds d’abattage. »

Qu’en est-il en France ?

Pour le moment, ce n’est pas dans les idées des puissants qui nous gouvernent (*). De juin  2015 à juillet  2016, Ségolène Royal, ministre de l’Environnement et Stéphane Le Foll ministre de l’Agriculture ont signé quatre arrêtés régissant la destruction du loup, un animal appartenant à une espèce protégée faut-il le rappeler.

  • Arrêté du 30 juin 2015 fixant les conditions et limites dans lesquelles des dérogations aux interdictions de destruction peuvent être accordées par les préfets concernant le loup (Canis lupus). Une subtile formulation en double négation pour ne pas écrire « autorisations de destruction ». Le texte mentionne les « opérations d’effarouchement » sur une demi-page, mais s’étend en quatre pages sur les tirs de défense (des troupeaux), les tirs de défense renforcée, les tirs de prélèvement, leurs conditions de déclenchement et leurs modalités d’exécution (des tirs…).
  • Arrêté du 30 juin 2015 fixant le nombre maximum de spécimens de loups (Canis lupus) dont la destruction pourra être autorisée pour la période 2015-2016. Fi donc des subtilités de langage, la loi passe en force, on détruira ce qui est protégé. L’arrêté fixe ce nombre à 36, ce qui est considérable, l’effectif total étant de l’ordre de 300 (pour 2 000 en Espagne et 1 000 à 1 500 en Italie…).
  • Arrêté du 14 juin 2016 fixant un nombre supplémentaire de spécimens de loups (Canis lupus) dont la destruction pourra être autorisée pour la période 2015-2016. En vertu des dispositions de l’arrêté de juin 2015 sur les tirs de défense et les tirs de défense renforcée, deux loups sont ajoutés aux 36. Cela fait 38 sur 300 = 17 %).
  • Arrêté du 5 juillet 2016 fixant le nombre maximum de spécimens de loups (Canis lupus) dont la destruction pourra être autorisée pour la période 2016-2017 (la dite période court du 1er juillet 2016 au 30 juin 2017). Le nombre total est fixé à 36, sans pouvoir excéder 27 avant le 30 septembre 2016. Le nombre de 36 pourra être révisé selon « les données disponibles décrivant la situation biologique » avant le 30 septembre 2016.

Une consultation publique avait été lancée du 31 mai au 22 juin par le ministère de l’Environnement préalablement à la signature de l’arrêté du 5 juillet ; 90 % des réponses ont été rédigées contre le projet d’arrêté. Une pétition en faveur d’une cohabitation entre loup et pastoralisme, lancée par un groupe d’associations a recueilli 67 000 signatures. Cause toujours, comme on dit.

Le nouvel arrêté du 5 juillet renforce chaque degré de réponse.

  • Les tirs d’effarouchement et de défense seront possibles dans les cœurs des parcs nationaux qui autorisent la chasse (par exemple le parc national des Cévennes).
  • Les tirs de défense, prévus en cas d’attaque, seront autorisés même si le troupeau n’a jamais été attaqué, et seront possibles toute l’année.
  • Les tirs dits de prélèvement pourront être effectués sur plusieurs loups par opération, et en dehors du contrôle de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS), mais laissés sous la responsabilité des chasseurs, des lieutenants de louveterie et des gardes-chasses particuliers assermentés.

N’est-ce pas rassurant ? Pourquoi cette avalanche de tueries possibles ?

L’idée du ministère de l’Écologie est d’avoir des tirs efficaces et un dispositif réactif pour protéger les élevages face à la progression du loup. Mais depuis que le loup est victime de « destruction », les agressions dans les élevages n’ont cessé de croître : en 2014, 9 190 bêtes ont été attaquées, contre 6 812 en 2013 et 6 701 en 2012, et les indemnisations versées aux éleveurs de grimper pour atteindre 2,6 millions d’euros l’an dernier.

Et pour faire écho au travail des chercheurs publié dans Frontiers in Ecology and the Environment du 1er septembre, la population de Canis lupus a connu une légère baisse en France : 282 individus en 2015 contre 301 en  2014. De plus l’abattage de 36 loups en 2015-2016 entraînerait un risque de 38 % de décroissance de la population lupine, comme l’indique une modélisation réalisée par l’ONCFS avec l’université suédoise des sciences agricoles. « Le nombre de 36 loups devient un quota et non pas un plafond, et rien ne permet d’affirmer que cela permettra de baisser les dommages attribués au loup. Le recours aux tirs ne peut permettre une réelle cohabitation entre élevage et loup.  Le loup est maintenant davantage considéré comme une espèce nuisible que protégée », a déclaré justement Madline Raynaud, directrice de l’Association pour la protection des animaux sauvages (ASPAS).

La LFDA soutient fortement la demande présentée par la FNE, que soit lancée une étude scientifique similaire à celle d’Adrian Treves et collaborateurs ; elle suggère que cette étude ne se limite pas à la France mais s’étende à l’Europe, ce qui permettrait une comparaison objective des mesures de protection des troupeaux dans chacun des pays d’élevage où vit le loup, et des résultats que chacun constate.

Jean-Claude Nouët

(*) Déjà, il y a 13 ans, M. Hervé Gaymard ministre de l’Agriculture avait affirmé « sa conviction de la nécessité d’éradiquer le loup » (audience du 4 novembre 2003). Outre qu’une « conviction personnelle » fut-elle d’un ministre, n’avait pas à être formulée, elle ne devait en aucun cas contredire le statut d’espèce protégée accordée au loup par la Convention de Berne, et confirmée par un arrêté de 1993. Cela avait motivé un courrier de vive protestation de Pierre Pfeffer et J.-C. Nouët, et leur démission de l’Ordre du mérite agricole.

Sources : Le Monde 11-12 septembre, sites internet ASPAS, LPO, FNE

Article publié dans le numéro 91 de la revue Droit Animal, Éthique & Sciences.

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