Hommage à Pierre Pfeffer

Pierre Pfeffer est décédé le 29 décembre 2016. La Fondation Droit animal, Éthique et Sciences rend hommage à ce scientifique éminent, qui a joué un rôle primordial dans la mobilisation mondiale pour la protection de la nature et la préservation des espèces de la faune, en particulier d’Afrique et d’Asie, mais aussi de France.

Directeur de recherche au CNRS attaché au Muséum national d’Histoire naturelle, il a assumé les charges et les responsabilités d’administrateur puis de vice-président du parc national du Mercantour, de président du WWF-France, de secrétaire général de la Société nationale de protection de la nature (SNPN).

Pierre Pfeffer

Jeune zoologiste, il a participé à des missions de « collecte de spécimens » pour le compte du Muséum, puis il a été chargé de ces missions, notamment en Asie et en Inde : il en rapporte d’innombrables mammifères, oiseaux, reptiles et insectes. Il en rapporte surtout le dégoût de ces collections en constatant les conditions de capture et de transport et la mortalité effroyable des animaux, avant et après leur arrivée au zoo, au point qu’un seul animal sur dix survit. En dépit des conséquences sur sa carrière, et de la désapprobation de nombreux de ses collègues zoologistes plus préoccupés de taxinomie que d’observations sur le terrain, il s’engage alors avec conviction dans la voie de la protection de la nature dans les pays où il se rendra, contribuant fortement au maintien du parc national de Zakouma (Tchad), à la création du parc de Manovo-Gounda (République centrafricaine) et du parc de Taï (Côte d’Ivoire) et devient président du Réseau des Aires protégées d’Afrique centrale qui couvre huit pays.

C’est en 1973 qu’il rencontre Diolé et Nouët, qui bientôt créeront la LFDA : suivent alors articles de presse, dossiers, émissions de radio, éditions d’ouvrages, manifestations qui se succèdent pour dénoncer les trafics d’animaux et les zoos, qui en étaient les clients. En 1975, il réchappe d’un très grave accident de la circulation à Bangui, d’où il est rapatrié à Paris en état critique. Confié à un chirurgien spécialiste des polytraumatismes des ouvriers du bâtiment, il pourra reprendre ses activités. Cela a été l’occasion de nouer entre nous des rapports d’amitié plus étroits, et de connaître mieux ses engagements, son courage, son humilité, de découvrir l’immensité de ses connaissances en zoologie et notamment en science du comportement des animaux et de leur « communication », qu’il a acquises sur le terrain au long de ses innombrables voyages. Lors de la visite d’un parc animalier proche de Paris, organisée à la demande de son propriétaire, nous l’avons vu, avec beaucoup d’inquiétude, pénétrer dans l’enclos du rhinocéros, et se diriger vers lui, face à face, jusqu’à le toucher ! Ce qui nous a paru comme folle imprudence, était en réalité dû à sa connaissance des comportements ; il avait observé l’absence de signes annonçant une réaction à cette approche ! Il savait !

C’est au long de ses missions qu’il avait acquis cette science ; en brousse, elle lui a permis d’approcher l’animal sauvage au plus près, sans se mettre en danger. L’accompagnant au départ de l’une de ses missions africaines, avec un bagage très réduit, il nous a dit que pour survivre en brousse en Afrique, il lui suffisait d’avoir une moustiquaire, un briquet à amadou, un couteau, et 4 mètres de nylon à pêche avec un hameçon… À quoi s’ajoutait sa passion…

En 1976 il est l’un des principaux inspirateurs de la loi sur la protection de la nature, et en 1977 du décret du 25 novembre 1977 réglementant les « établissements détenant des animaux d’espèces non domestiques ». Élu président du WWF France, il se concentre sur la protection de l’éléphant, dont il dénonce déjà l’effondrement des populations.

Durant les années 1980, il multiplie ses interventions, et se révèle un extraordinaire vulgarisateur, convainquant, recherché par les médias, consulté par les politiques et les instances internationales. Par tous les moyens, il défend avec conviction sa thèse : la cause principale de la disparition progressive des éléphants, en Afrique comme en Asie, est le trafic de l’ivoire. Il est écouté : les pays signataires de la Convention de Washington, ou CITES, qui réglemente le commerce international des espèces menacées de la faune et de la flore, décident lors de leur réunion d’octobre 1989, à Lausanne (Suisse), d’inscrire toutes les populations d’éléphants en Annexe I de la Convention, c’est-à-dire parmi les espèces dont tout commerce international est formellement interdit. Le résultat fut proprement miraculeux : les pays d’Extrême-Orient, tous signataires de la CITES, ont alors suspendu leurs importations d’ivoire, mettant ainsi fin au braconnage généralisé. Conséquence immédiate, les effectifs des populations d’éléphants se sont accrus.

Mais de puissants intérêts étaient contrariés, et des plans s’établissent en sous main. En même temps, peu à peu, P. Pfeffer est écarté des instances officielles et même des cercles des décideurs politiques : il est accusé, y compris par des collègues zoologistes et des organisations de protection de la nature, de défendre « sa » position, et non la cause de l’éléphant.

Ces manœuvres aboutissent en 1997 : la CITES accepte de rétrograder en Annexe II (commerce autorisé) les populations d’éléphants du Botswana, de la Namibie, du Zimbabwe et de l’Afrique du Sud, cédant à la pression politique de la Grande-Bretagne et de l’Afrique du Sud, très étrangement soutenue par le World Wildlife Found (WWF) et l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). Immédiatement, et exactement comme Pfeffer l’avait annoncé, le braconnage a repris sur l’ensemble du continent africain, et le circuit du trafic d’ivoire avec les pays d’Extrême-Orient s’est reconstitué. Et les populations d’éléphants reprennent un déclin accéléré.

Dossier "Pour les éléphants"En 2000, la LFDA lance une campagne de sensibilisation sur la mise en danger de l’espèce. Pfeffer fournit l’essentiel du dossier de la LFDA Pour les Éléphants en collaboration avec la Fondation 30 Millions d’Amis, qui sera traduit en anglais et envoyé à toutes les délégations des pays participant à la réunion de la CITES à Nairobi. Ce dossier réaffirme et démontre le lien entre le « commerce autorisé » et l’extension du braconnage. La CITES maintient le déclassement de l’éléphant en Annexe II. À nouveau, en 2002, la LFDA aidée de Pfeffer réactualise le dossier, en assure la traduction et l’envoi à toutes les délégations participant à la réunion de Santiago. En dépit du péril menaçant l’espèce, la CITES confirme sa décision. Pfeffer se dit désabusé devant un tel aveuglement, devant une telle absence de volonté politique, et devant les larmes de crocodile versées par les organisations internationales de protection de la nature devant l’effondrement accéléré des populations d’éléphants, alors qu’elles en sont historiquement responsables.

La revue LFDA a tenté d’entretenir l’attention en publiant des articles signés de lui : Ivoire, et défense d’y voir du n° 60 de janvier 2009, Grave menace sur le Parc du Serengeti du n° 68 de janvier 2011, Massacres d’éléphants en Afrique du n° 74 juillet 2012 : ces trois articles sont absolument à relire.

Malgré les désagréments et les inconvénients d’une affection douloureuse et invalidante, Pfeffer continue d’accorder des interviews et d’écrire des articles, témoignant de l’abnégation, du courage physique et de l’engagement qu’il a montré depuis sa jeunesse*, et qu’il montrera jusqu’au terme de sa vie, le 29 décembre 2016.

Ami Pierre, tu es celui qui a porté les coups les plus sévères aux destructeurs de la nature et aux geôliers de l’animal sauvage. Pourtant au dernier moment, le sort a été pour toi ingrat, ironique et cruel. Tu as disparu la veille de ta victoire finale, annoncée le 30 décembre 2016 : la Chine a pris la décision d’interdire le commerce et le travail de l’ivoire. Tu aurais mérité la récompense de l’apprendre avant ton départ.

Jean-Claude Nouët

* Pierre Pfeffer s’engage à 16 ans dans le maquis des FFI d’Ardèche. Falsifiant son âge, il rejoint la 1re armée française du général de Lattre de Tassigny, et fait les campagnes de France, d’Allemagne et d’Autriche. Démobilisé en janvier 1947, il passe son bac et entreprend ses études universitaires en s’inscrivant à la faculté des sciences en sciences physiques, chimiques et naturelles (SPCN).

Brève bibliographie

  • Pfeffer Pierre – Bivouacs à Bornéo, Paris : Flammarion, 1963.
  • Pfeffer Pierre – Aux îles du Dragon, Paris : Flammarion, 1964.
  • Pfeffer Pierre – L’Asie, Paris : Hachette, 1970.
  • Pfeffer Pierre et Dhuit Guy – Zoo sans frontières : animaux d’Afrique orientale, Paris : Hatier, 1970.
  • Pfeffer Pierre – L’Ours, un géant pas si tranquille, Paris : Gallimard Jeunesse, 1985.
  • Pfeffer Pierre – Grand, fort et sage, l’éléphant, Paris : Gallimard, cop. 1986.
  • Pfeffer Pierre – Vie et mort d’un géant, l’éléphant d’Afrique, Paris : Flammarion, 1989.

 

 

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