La revanche du mammouth

Durant la période préhistorique allant à peu près de moins 30  000 à moins 15 000 ans, les vastes steppes froides, sèches et partiellement boisées de Sibérie étaient parcourues par des troupeaux de grands animaux, mammouth laineux, rhinocéros laineux, bœuf musqué et bison.

 

mammouth squelette

Disparition du mammouth

Cette région était aussi occupée par des groupes de chasseurs-cueilleurs, dont les techniques étaient suffisamment développées pour concevoir et fabriquer des outils et des armes efficaces en utilisant silex, bois végétal, bois de cervidés ainsi qu’ivoire, os, peau et tendons d’animaux. Ils savaient modifier les propriétés des matériaux organiques par la chaleur et le trempage, tailler des pierres affûtées, fabriquer des colles. Au résultat, ils disposaient assez aisément de lances de bois armé de silex tranchants fixés au goudron ou à la cire, renforcés de courroies en cuir ou de tendons préalablement trempés.

Tout en ayant perfectionné leurs techniques de chasse au gibier – affût, poursuite, capture dans des fosses – ils disposaient ainsi d’armes leur permettant de s’attaquer aux plus gros animaux, les plus « rentables » en termes de nourriture. Ces populations humaines ont été soupçonnées d’avoir beaucoup contribué à la disparition, dans cette région, de la plupart de ces grands mammifères, lesquels, de plus, subissaient un changement climatique qui bouleversait la végétation et raréfiait leurs ressources.

Une preuve de l’effet de cette prédation humaine a été apportée en 2015 par un groupe de chercheurs de l’université du Michigan dirigé par Michael Cherney. En étudiant la composition chimique et isotopique des défenses de mammouth au cours de cette quinzaine de millénaires, ces chercheurs ont évalué la ration alimentaire des animaux. Ils ont constaté que leur régime journalier était devenu progressivement plus riche en aliments solides, en même temps que se réduisait l’allaitement maternel. Ils en concluent qu’au long de cette période, la période d’allaitement des mammouths a diminué de près de moitié. Ainsi, les jeunes mammouths atteignaient la puberté plus tôt que leurs ancêtres. Cette puberté précoce est survenue en réaction adaptative à l’extermination massive de l’espèce : au résultat, le jeune mammouth atteignait l’âge adulte plus rapidement pour être capable de se protéger contre les chasseurs. Une étude identique publiée en 2014 par Bob Yirka dans la revue Proceeding B avait déjà montré que la chasse accélère un sevrage précoce c’est-à-dire la maturité des animaux, alors qu’au contraire le stress lié au climat a tendance à retarder ce sevrage.

À l’issue de l’époque glaciaire, le changement climatique en cours concurrençait la chasse : c’est la chasse qui a eu l’importance prédominante. La chasse est bien responsable de l’extinction des mammouths et des autres grands herbivores, rôle déterminant et aggravé par la prolifération des hominidés, l’augmentation de leurs besoins alimentaires et l’augmentation du nombre des chasseurs.

Et la revanche alors ? Elle arrive…

Au total, des milliers de cadavres de grands herbivores plus ou moins dépecés ont parsemé la steppe, se sont enfoncés progressivement dans le sol avec la végétation, pour y être emprisonnés dans le permafrost, cette couche constamment prise en glace depuis la fin de l’ère glaciaire. Le réchauffement climatique actuel a déjà commencé à faire fondre le permafrost, comme il a déjà réduit considérablement l’étendue et l’épaisseur des glaciers.

En fondant, le permafrost va permettre la reprise de la décomposition et de la fermentation de ses composants organiques, végétaux et animaux. Cela va entraîner un dégagement considérable de méthane, un gaz dont « l’effet de serre » est très supérieur à celui du gaz carbonique. Un autre danger menace, d’ordre infectieux : la résurgence d’agents bactériens, notamment de Bacillus anthracis, le bacille de l’anthrax ou « maladie du charbon », conservé sous forme de spores dans les cadavres de milliers de rennes sauvages qui en sont morts il y a un siècle, et ont été ensevelis dans d’immenses fosses communes.

Rien ne permet de nier que des spores de bactéries (de l’anthrax ou d’autres bactéries) aient pu survivre aux millénaires de surgélation dans les restes des grands herbivores du glaciaire, ou même que des virus comme celui de la variole, ne se trouveront pas libérés eux aussi. Déjà des cas d’anthrax ont été enregistrés en Russie, dont un foyer de 23 cas humains cet été même, alors que la maladie avait disparu depuis 1941. La menace virale ne s’est pas encore matérialisée, mais elle inquiète beaucoup, dans une population humaine où la vaccination antivariolique n’est plus pratiquée, la maladie ayant été jugée « définitivement » éradiquée…

Jean-Claude Nouët

Article publié dans le numéro 92 de la revue Droit Animal, Éthique & Sciences.

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