Malin comme un corbeau

C’est une expression qui devrait s’imposer. Au laboratoire comme dans la nature, les corvidés (corbeaux, corneilles, pies, geais…) montrent des comportements qui étonnent par leur complexité, et font l’objet de documents vidéo indiscutables et de publications dans des organes scientifiques tels Biology Letters (Jolyon Troscianko, université d’Exeter) ou récemment Nature.

corbeau

On voit des corbeaux qui ont compris comment manger une noix dont ils ne peuvent casser la coque d’un coup de bec : en la lâchant au-dessus d’une route pour qu’une voiture l’écrase, et même, de préférence, le faire sur un passage pour piétons au niveau d’un feu rouge, afin d’éviter le trafic automobile. Et pour aller manger plus tranquillement au milieu du trafic automobile, le mieux est de viser un passage pour piétons au niveau d’un feu rouge. En Nouvelle-Calédonie, ce sont des corbeaux qui fabriquent des petits crochets à partir de brindilles, dont ils se servent pour fouiller sous les feuilles et extraire des insectes dans les crevasses d’écorces d’arbres morts (Jolyon Troscianko et Christian Rutz).

Filmer un tel comportement dans la nature a nécessité de mettre au point une technique d’enregistrement à la fois précise, et légère consistant à fixer une caméra miniature sur de grandes plumes et pouvant filmer vers l’avant entre les pattes (© Jolyon Troscianko, YouTube). On a pu voir ainsi, que non seulement un corbeau de Calédonie transforme un rameau en crochet en deux coups de bec, mais qu’il est capable de camoufler son outil sous les feuilles et d’aller le chercher plus tard pour s’en servir à nouveau.

La revue Nature du 14 septembre a publié une étude de Christian Ruitz (université de Saint-Andrews, Royaume-Uni) sur le comportement de recherche alimentaire de la corneille d’Hawaï (Corvus hawaiiensis), elle aussi capable de fabriquer un outil, pour un usage précis (à l’instar, sinon à l’égal, du chimpanzé !). Cet oiseau a disparu dans la nature, mais 131 survivent encore dans deux installations de l’île. Sa ressemblance morphologique avec le corbeau calédonien a conduit Ruitz à penser à une capacité commune aux deux espèces : l’une et l’autre ont des yeux rapprochés, permettant une vision binoculaire droit devant.

Sur 104 oiseaux testés, 81 % utilisent spontanément des brindilles pour fouiller dans les creux des arbres à la recherche de larves d’insectes, un comportement effectué par 93 % des adultes et 48 % des jeunes.

Ce comportement est-il inné ?

Oui, car de jeunes corneilles élevées sans contact avec les adultes utilisent autant d’outils que celles élevées en groupe. Comment expliquer la ressemblance comportementale avec le corbeau calédonien ? Ce ne peut être par imitation, ne serait-ce qu’à cause des quelque 6 200 km de distance entre les îles Hawaï et la Nouvelle-Calédonie. Il s’agit très vraisemblablement d’une convergence d’adaptation à des facteurs environnementaux comparables, voire identiques : dans les deux cas la situation insulaire du territoire, en conséquence l’absence de compétiteurs (tels les pics), et la rareté des prédateurs (ce qui laisse du temps et n’oblige pas à fuir). C’est d’ailleurs ce qui, dans les Galapagos, a conduit le pinson-pic lui aussi à utiliser une épine de cactus pour aller dénicher des insectes.

Jean-Claude Nouët

Article publié dans le numéro 92 de la revue Droit Animal, Éthique & Sciences.

 

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