Perte de biodiversité, l’urgence d’agir : retour sur trois congrès majeurs et leurs tristes conclusions

58% des populations animales ont été décimées en moins de 50 ans, 28% des espèces animales et végétales recensées par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) sont aujourd’hui menacées d’extinction. Enfin, plus de 5 000 espèces animales sont inscrites dans les annexes de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées (CITES) avec l’espoir de mettre un frein à leur déclin.

Ces chiffres émanent des trois congrès qui se sont tenus en septembre dernier à Hawaï pour l’UICN, à Johannesburg en octobre pour la CITES et fin octobre à l’occasion de la mise à jour du Rapport Planète vivante de l’ONG World Wildlife Fund (WWF).

Girafe

Enfin, en décembre dernier à Cancun s’est tenue la 13e conférence des Parties à la Convention de diversité biologique (CDB COP13). Les experts mondiaux participant à ces rencontres et rapports ont ainsi rappelé une nouvelle fois l’extrême nécessité et l’urgence de préserver la biodiversité qui constitue le socle même de la vie sur Terre.

Qu’il soit victime collatérale de la globalisation des échanges ou du développement exponentiel des activités humaines, l’animal, tous groupes taxonomiques confondus, est plus que jamais en danger : en tant qu’individu, en tant que membre d’une population et en tant que représentant de son espèce ou sous- espèce.

La 6e vague d’extinction : des espèces disparaissent avant même qu’elles ne soient découvertes

La vie sous ses diverses formes, celles que nous connaissons actuellement, a mis 4 milliards d’années à se former. Dans l’histoire de la vie, l’espèce Homo sapiens est apparue il y a seulement 200 000 ans. Le développement industriel, pour répondre aux « besoins » des Hommes, s’est tellement intensifié au cours du XXe siècle qu’aujourd’hui l’histoire de la vie entre dans sa 6e vague d’extinction massive d’espèces, dénommée « anthropocène » puisque les activités humaines sont à l’origine des principales causes de perte de biodiversité.

Avant même d’illustrer ces pertes de biodiversité et leurs causes, questionnons-nous sur notre connaissance du nombre des espèces animales et végétales qui nous entourent ? 1,24  million d’espèces ont été découvertes et répertoriées. Or on estime, par modélisation, que 8,75  millions d’espèces peuplent la planète Terre : donc à ce jour, nous ne connaîtrions que 14 % du vivant. 10 000 espèces sont découvertes chaque année, principalement des insectes.

À ce rythme et avec les mêmes moyens, 1 200 ans seront nécessaires pour décrire l’ensemble des espèces encore inconnues si elles n’ont pas disparu d’ici là. Les taux d’extinction des différents groupes taxonomiques sont tels que :

« la bibliothèque de la vie brûle et nous ne connaissons même pas les titres des livres »

(Dr Gro Harlem Brundtland)

En effet, chaque année, trois fois plus d’espèces disparaissent que d’espèces sont découvertes. Selon les groupes taxonomiques, les taux d’extinction sont 100 à 1 000 fois supérieurs aux rythmes d’extinctions naturelles et ces taux ne sont globalement pas à la baisse. Ainsi dans le monde, une espèce s’éteint toutes les 20 minutes, qu’elle ait été ou non découverte et décrite.

Des espèces menacées d’extinction en veux-tu en voilà !

Les travaux de mise à jour de la Liste Rouge des espèces répertoriées par l’UICN depuis 1964 dressent un constat alarmant quant à l’état de la biodiversité. Alors même que l’on estime ne connaître que 14 % des espèces animales et végétales, 7 % seulement des espèces connues sont répertoriées dans la Liste Rouge. Parmi les 85 604 espèces suivies par les 16 000 experts mondiaux de l’UICN, 28 % d’entre elles sont aujourd’hui menacées d’extinction. Parmi les 24 307 espèces menacées classées dans les catégories « vulnérable », « en danger », ou « en danger critique » se trouvent :

  • La girafe qui passe de la catégorie « préoccupation mineure » à « vulnérable ». En effet, les populations du plus grand mammifère terrestre sont en déclin : 40 % des girafes ont disparu en 30 ans. Cinq de ses neuf sous-espèces sont particulièrement décimées en raison de la destruction de leur habitat, de leur braconnage ou encore à cause des troubles politiques dans les régions dans lesquelles elles vivent. Il resterait aujourd’hui moins de 100 000 girafes vivant à l’état sauvage ;
  • le guépard Acinonyx jubatus, classé lui aussi dans la catégorie «  vulnérable  », a vu sa population diminuer de plus de 95 % depuis le début du XXe siècle pour atteindre aujourd’hui seulement 7 100 guépards vivants à l’état sauvage. L’une de ses sous-espèces classée « en danger critique d’extinction  » se compose aujourd’hui de moins de 50 animaux vivant à l’état sauvage. Les experts demandent que l’espèce tout entière soit classée « en danger » afin qu’elle puisse bénéficier de plus de moyens de protection ;
  • sur les 5 373 espèces animales répertoriées par l’UICN sur les territoires de France métropolitaine et d’outre-mer, 9 % des mammifères, 24 % des reptiles, 23 % des amphibiens, 22 % des poissons d’eau douce, 28 % des crustacés d’eau douce et 32 % des oiseaux nicheurs sont aujourd’hui menacés d’extinction.

La liste et les chiffres associés aux 24 307 espèces animales mondiales menacées seraient malheureusement longs à établir. Quoi qu’il en soit, les causes de perte de biodiversité ont pour dénominateur commun l’Homme et ses activités.

Anthropocène : l’homme comme dénominateur commun à la disparition des espèces

Le rapport Planète vivante 2016 de WWF s’ouvre sur un triste constat :

« La menace la plus fréquemment subie par les populations animales est la perte et la dégradation de leur habitat. Le nombre d’êtres humains victimes de la détérioration de l’état de la nature va également croissant. Faute d’action, la Terre deviendra beaucoup moins hospitalière pour notre société mondialisée moderne en entrant dans l’anthropocène. »

D’ici 2030, afin d’accueillir les 5  milliards d’êtres humains citadins, l’espace urbain mondial aura triplé avec 1,2 million de kilomètres carrés supplémentaires transformés en villes. En 2050, la population mondiale devrait atteindre 10 milliards d’êtres humains. Étant directement dépendants des ressources de la nature pour nous nourrir, nous vêtir et nous soigner, les impacts sur les écosystèmes et les espèces risquent d’être fatals à notre survie sur la Terre. Pour fournir les ressources et services naturels consommés par l’humanité, 1,6 planète est aujourd’hui nécessaire. Le jour de dépassement, jour de l’année à partir duquel nous devons puiser, à crédit, dans les réserves de la planète, était estimé au 23  décembre, pour l’année 1986. Il a été prévu en 2016 autour du 8 août et sera en 2030 encore avancé et estimé au 28 juin.

Parmi les principales causes à l’origine de la perte de biodiversité se trouvent :

1re cause : la disparition et dégradation des écosystèmes

Parmi les exemples de disparition du milieu naturel les plus spectaculaires se trouve la fonte de la banquise arctique qui a connu une nouvelle fois une fonte record en 2016, l’année 2016 ayant été à nouveau l’année la plus chaude depuis les premiers registres de température de 1850. 13 % de la surface de la banquise disparaît tous les 10 ans et avec elle les ours polaires classés parmi les espèces menacées. 42 % de la surface de l’habitat estival des ours polaires aura disparu d’ici 2050.ours polaire

2e cause : La surexploitation des espèces

La faune marine est particulièrement menacée par nos habitudes de consommation toujours plus voraces. Chaque année toujours plus de poissons sont péchés, plus que le nombre nécessaire pour assurer le renouvellement durable des populations de poissons. Plus de 30 % des espèces consommées sont surexploitées ou déjà épuisées. D’ici 2050, les réserves de poissons destinées à la consommation seront épuisées si nous ne changeons pas nos habitudes alimentaires, si nous ne trouvons pas des moyens de production durables ou si nous décidons d’ignorer tout simplement les conséquences liées à la surpêche.

3e cause : l’introduction d’espèces invasives et les zoonoses

Importées volontairement ou non par les nombreux moyens de transport de ce monde globalisé pour devenir des animaux de production ou de compagnie relâchés plus tard volontairement ou non par leurs propriétaires, certaines espèces sont devenues des espèces invasives qui entrent en compétition avec les espèces initialement présentes. 10 000 espèces exotiques ont à ce jour été introduites en Europe.

Importé d’Amérique pour la production de fourrure au début de XXe siècle, le vison d’Amérique est plus grand et robuste que le vison d’Europe, le grand a ainsi pris le dessus sur le petit européen. Aujourd’hui, le vison d’Europe est classé en « danger critique d’extinction ». De nombreuses espèces invasives sont également porteuses de maladies à l’image de l’écrevisse rouge des marais qui a introduit en Europe la peste de l’écrevisse dont le champignon est fatal à l’écrevisse d’Europe. Les espèces végétales invasives comme la jacinthe d’eau, plante d’ornement originaire du Brésil, est devenue un véritable fléau en l’absence de ses consommateurs naturels comme le lamantin. En Asie, dans la baie de Bangkok ou en Afrique dans le lac Victoria, cette plante est à l’origine de l’eutrophisation des étendues d’eau douce. Enfin les zoonoses comme l’influenza aviaire due au virus H5N8 sévit actuellement en France et en Europe. Au nom du principe de précaution, un abattage massif et préventif de centaines de milliers de canards élevés en plein air a été déclenché.

4e cause : La pollution

En France, plus d’une quarantaine d’espèces animales sont menacées directement par les pollutions d’origine anthropiques. Parmi les principaux polluants se trouvent les produits phytosanitaires, les hydrocarbures et matières plastiques et les perturbateurs endocriniens que l’on retrouve notamment dans les eaux usées.

Aux pollutions chimiques et organiques s’ajoute la pollution acoustique qui affecte particulièrement les cétacés en milieu marin et les chauves-souris en milieu aérien à l’image du Rhinolophyle de Méhely, chauve-souris vivant autour de la Méditerranée et classée en « danger critique d’extinction » en France. La pollution lumineuse est quant à elle à l’origine du déclin des espèces de tortues marines métropolitaines et d’outremer.

Le braconnage comme 4e trafic illégal au monde

Trafic illégal au 4e rang mondial derrière le commerce illégal de stupéfiants, la traite des êtres humains et les produits de contrefaçon, le braconnage et le commerce des défenses, cornes, peaux et écailles des animaux représentent 150 milliards € par an et portent sur des centaines de millions de spécimens. Le tiers des menaces sur les espèces seraient liées au commerce international. Parmi les 5 649 espèces classées dans les annexes de la CITES, certaines d’entre elles sont particulièrement à surveiller :

  • 3 rhinocéros sont braconnés chaque jour. En moins d’une décennie, plus d’un quart de ces pachydermes ont disparu. Bien que l’espèce ait été inscrite en 1977 sur l’annexe I de la CITES interdisant tout commerce à l’échelle internationale, le cours de la corne de rhinocéros reste au-dessus de celui de l’or. Inscrit également à l’annexe I en 1977, l’éléphant a été dégradé en annexe II en 1997, relançant le commerce de l’ivoire à l’origine de la reprise du braconnage. Cette inscription en annexe II avait été dénoncé par la LFDA, la Fondation 30 Millions d’Amis et le ROC lors des campagnes « Pour les éléphants ». Chaque année, 8% des pachydermes restants sont braconnés, principalement pour fournir en ivoire les marchés asiatiques. La Chine, comme destinataire des principaux flux du commerce illégal d’animaux vient tout récemment d’annoncer l’interdiction sur son territoire du commerce et de la transformation de l’ivoire d’ici à la fin 2017. Nous vous invitons pour plus de détails à lire l’hommage rendu à Pierre Pfeffer dans ce même numéro.
  • PangolinLe pangolin, mammifère à écailles vivant en Asie et Afrique et aux allures de fourmilier, est, si on le compare aux autres espèces braconnées, la victime du plus grand trafic planétaire. Il est capturé pour sa viande considérée comme un mets d’excellence en Asie, et ses écailles en kératine sont aussi recherchées, car considérées comme des porte-bonheur en Afrique et comme ayant des vertus aphrodisiaques et thérapeutiques par la médecine traditionnelle chinoise. Plus de 17 000 animaux sont braconnés chaque année, les huit sous-espèces de pangolins sont menacées dont deux sous-espèces asiatiques classées « en danger critique d’extinction ». Afin de tenter d’enrayer le braconnage de ce mammifère mangeur de termites, les parties de la CITES ont voté en octobre  2016 l’interdiction du commerce international des pangolins. Cependant fin décembre, 3,1 tonnes d’écailles équivalant à 7 500 pangolins ont été saisies en Chine pour une valeur marchande de plus de 2 millions €.
  • À l’occasion de la 17e convention de la CITES, les restrictions du commerce encadrant 500 espèces ont été discutées. Le perroquet gris du Gabon et le macaque de Barbarie, appréciés comme animaux de compagnie, sont maintenant des espèces inscrites dans l’annexe I, la population de Magot ayant chuté à moins de 8  000 individus. Le lion d’Afrique, quant à lui, n’a pas bénéficié de ce privilège alors qu’il est pourtant le roi des safaris africains, victime de la « chasse en boîte », consistant à acheter sur catalogue son lion pour l’abattre ensuite dans un enclos. Alors que le zèbre des montagnes du Cap est déclassé en annexe II, on apprend qu’une autre sous-espèce, le zèbre des plaines, a perdu quant à lui près d’un quart de sa population en moins de 15 ans, chassé pour sa peau et sa viande.

Pour Ian Burfield, coordinateur scientifique de l’ONG BirdLife, « plus nos connaissances s’approfondissent, plus nos préoccupations se confirment : l’agriculture non durable, la déforestation, les espèces invasives, le commerce illégal conduisent toujours plus d’espèces à l’extinction ». Le coût annuel d’érosion de la biodiversité est chaque année estimé entre 1 350 et 3 100 milliards € soit entre 2,5 et 6 % de la production des richesses à l’échelle mondiale. Puisque nos écosystèmes sont en partie à l’origine de cette création de richesses et devant ces chiffres vertigineux de perte de biodiversité, il devient indispensable d’enrayer cette dégradation de la planète et la disparition de la vie sous toutes ses formes.

Quelles actions pour limiter ou lutter contre les pertes de biodiversité

Devant ces constats alarmants, il est plus que jamais nécessaire d’agir. Il est plus que nécessaire de se doter de moyens contraignants aussi bien financiers ou législatifs qu’humains afin de tenter d’enrayer les conséquences qu’aura l’anthropocène, de protéger les espèces et les écosystèmes dans lesquels ils évoluent. Il y va de notre survie et ce à plus d’un titre.

En conclusion des divers congrès qui se sont déroulés à la fin de 2016, l’UICN et ses partenaires vont investir 9,5  millions € sur 5 ans pour doubler le nombre d’espèces à évaluer au sein de la Liste Rouge qui passerait ainsi de 7 à 14 % des espèces connues répertoriées et suivies. L’UICN a également annoncé sa volonté de mettre en place des « No-go zones », c’est-à-dire des zones interdites pour les activités industrielles. Elle souhaite mettre en œuvre une politique de compensation de la biodiversité avec pour objectif d’intégrer à terme la valeur de la nature dans les prises de décision des institutions et entreprises. Elle a également annoncé sa volonté d’ici à 2050 de restaurer 150 millions d’hectares de terres dégradées et de protéger au moyen d’une législation internationale 30 % des zones marines. Le prochain congrès de l’UICN se déroulera en 2020.

Close avec 24 heures d’avance, la conférence des Parties de la CITES réunie à Johannesburg a examiné les restrictions commerciales encadrant le commerce de 500 espèces soit 10 % des espèces inscrites dans ses annexes. Les 182 pays représentés ont également inscrit dans la Convention le principe de lutte contre la corruption intitulé « Interdire, prévenir, détecter et réprimer les activités en infraction avec la convention qui facilitent la corruption ». Les ONG de protection de la nature notent en conclusion de cette conférence un « réel changement dans l’état d’esprit des décideurs », espérons qu’il n’est pas déjà trop tard. La prochaine conférence des Parties se déroulera en 2019 au Sri Lanka.

Enfin, en vue de mieux protéger sa biodiversité, la France vient de se doter au 1er  janvier d’un nouvel établissement public : l’Agence française pour la biodiversité (AFB). La LFDA peut se réjouir de la création de cette agence, mais elle regrette qu’elle ait été mise en place aussi tardivement. En effet, le territoire français métropolitain et d’outre-mer fait partie de 5 des 34 hotspots de biodiversité mondiaux, c’est-à-dire des zones du globe qui concentrent sur 2,3 % du globe plus de 50 % des espèces végétales et 42 % des espèces de vertébrés terrestres. L’AFB aura ainsi la lourde mission de « protéger » ces espaces et les espèces qui les occupent. Mission difficile et ô combien urgente.

La LFDA affirme depuis sa création que la préservation des espèces animales doit être en réalité la préservation des espaces naturels dans lesquels elles évoluent. Ce « slogan » martelé depuis 40 ans maintenant se retrouve au sein de la Déclaration universelle des droits de l’animal :

« L’animal sauvage a le droit de vivre libre dans son milieu naturel, et de s’y reproduire » (article 4)

« Tout acte compromettant la survie de l’espèce sauvage, et toute décision conduisant à un tel acte constitue un génocide, c’est-à-dire un crime contre l’espèce. » (article 8)

Devant de tels constats de perte d’espèces et d’espaces, il est urgent plus que jamais d’amplifier nos actions pour tenter, si cela est encore possible, de freiner les déclins. Faute de quoi il sera impossible de sauver d’une disparition inéluctable et définitive des millions d’espèces animales, au péril même de la vie, laquelle repose pour une grande partie sur la diversité et l’équilibre de ses diverses formes.

Florian Sigronde Boubel

Article publié dans le numéro 92 de la revue Droit Animal, Éthique & Sciences.

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