Delphinariums : l’arrêté qui met fin à la captivité des cétacés

Les conditions de vie des quelque 50 orques et des 2 000 dauphins détenus dans les 340 delphinariums dans le monde sont de plus en plus dénoncées (Dauphins et orques : dans l’enfer des piscines, LFDA), de plus en plus médiatisées (Le Monde ; France 3), et de plus en plus remises en cause.

La France vient enfin de prendre position : « La reproduction des orques et des dauphins détenus en France est désormais interdite. Ainsi, seuls les orques et les dauphins actuellement régulièrement détenus peuvent continuer à l’être, sans ouvrir à de nouvelles naissances. ». L’arrêté du 3 mai 2017 fixant les caractéristiques générales et les règles de fonctionnement des établissements présentant au public des spécimens vivants de cétacés est paru au Journal officiel du 6 mai 2017, quelques jours avant la fin du dernier quinquennat et après 20 mois de discussion. Le nouvel arrêté et ses 33 articles imposent des normes auxquelles le Marineland d’Antibes, Planète sauvage, le Parc Astérix et le Moorea Dolphin Center devront s’être soumis pour le gros œuvre d’ici à 6 mois et à 3 ans s’ils souhaitent continuer à faire leur business de la captivité des cétacés.

La Fondation Droit Animal, Éthique et Sciences a participé activement à l’élaboration du nouveau texte, qui abroge l’arrêté de 1981, une année au cours de laquelle la LFDA avait obtenu l’abandon du projet d’aquarium et de delphinarium dans le Trou des Halles à Paris (40 ans années au service de l'animal, LFDA). Trente-six années se seront écoulées avant que la France interdise l’exploitation des dauphins et orques exhibés dans des piscines contre-nature.

De la genèse à la nouvelle réglementation

Dans le cadre de la loi pour la reconquête de la biodiversité, adoptée le 20 juillet 2016, plusieurs amendements avaient été déposés réclamant notamment que « la capture, l’importation et la commercialisation de cétacés à des fins de dressage récréatif soient interdites. ». En réponse, la ministre de l’Environnement, de l’Énergie et de la Mer, Ségolène Royal, avait demandé un réexamen complet de la règlementation en vigueur, dans l’objectif de « mettre en place des règles de fonctionnement très strictes pour ces établissements afin de garantir des conditions de détention et d’entretien de haut niveau pour les animaux détenus, qui satisfassent au mieux les besoins biologiques, leur santé et l’expression optimale de leurs comportements naturels ». Dans l’attente d’un nouveau texte, les demandes d’autorisation d’ouverture de nouveaux établissements, déposées par le zoo de Beauval et celui d’Amnéville, ont été suspendues. La ministre, ainsi qu’elle s’y était engagé, a mis en place un moratoire à l’ouverture de nouveaux établissements, en attente de la publication de la nouvelle réglementation.

Le projet d’arrêté a alors été discuté entre les services du ministère, les titulaires des certificats de capacité des delphinariums français, le Muséum national d’histoire naturelle et des experts en mammifères marins. Puis le 3 mai 2016 il a été communiqué aux organisations de protection animale, aux députés dépositaires des amendements et aux professionnels des delphinariums et des zoos. Invitée aux discussions, la LFDA a dénoncé cette première version du projet d’arrêté dans la mesure où elle ne tenait nullement compte des besoins physiques, sociaux, biologiques, éthologiques et écologiques des cétacés, tels qu’ils sont pourtant bien connus chez les animaux à l’état sauvage. Dans un rapport écrit, la LFDA a fait part de ses remarques, questions et propositions afin d’améliorer le contenu du texte, en concluant sur un constat simple : la détention des cétacés est éthiquement, biologiquement et scientifiquement indéfendable.

Constitué autour d’un « Collectif pour la fermeture des delphinariums en France », la LFDA et sept organisations de protection animale ont été reçues le 25 octobre 2016 par les conseillers de la ministre et de la secrétaire d’Etat chargée de la biodiversité. Lors de cette entrevue, nous avons eu l’occasion d’affirmer nos trois principales demandes : la fin de la reproduction en captivité des dauphins et des orques en France, la fin des programmes de spectacle et d’interaction avec le public, et l’interdiction d’ouverture de nouveaux delphinariums. Nous avons également insisté sur nos autres demandes, notamment l’augmentation des volumes des bassins, au cas où les principales ne seraient pas écoutées. Une nouvelle version du projet d’arrêté nous a été proposée en décembre. La LFDA et quatre organisations de protection animale ont donné par écrit leur avis sur le projet d’arrêté, le qualifiant « de plus acceptable » puisqu’il présentait « certaines avancées minimales ».

Un total de 66 973 signatures réclamant la réhabilitation et la liberté des cétacés, et de 37 manifestes signés par des personnalités, réunis par l’association «  C’EST ASSEZ ! » a été remis le 10 janvier 2017 à la secrétaire d’Etat chargée de la biodiversité, Barbara Pompili. Lors de cette entrevue, la LFDA, l’association C’EST ASSEZ ! et cinq organisations de protection animale ont demandé que l’arrêté soit complété sur plusieurs points. Ensemble, les 7 organisations de protection animale ont une nouvelle fois réclamé la fin de la captivité des cétacés, considérant que les connaissances scientifiques actuelles, les initiatives prises dans de nombreux autres pays, et les conséquences de la captivité, visibles directement sur les animaux, ne justifient plus l’exploitation commerciale de ces animaux dotés de capacités cognitives et émotionnelles développées.

Au nom de la démocratie participative, une nouvelle version du texte a été soumise à consultation publique en février 2017. Cette nouvelle version du texte, par rapport à celle discutée avec les services du ministère, intégrait quelques-unes de nos attentes mais toujours pas les trois principales. Certains acteurs initialement présents au sein du « Collectif pour la fermeture des delphinariums en France » ont appelé leurs sympathisants à s’exprimer sur le site du ministère demandant unanimement la fin de la captivité des cétacés français. Des milliers de commentaires plus tard (consultation publique), le texte a été ouvert à l’examen de deux conseils : le CSPRT (Conseil supérieur de la prévention des risques technologiques) et le CNPN (Conseil national de la protection de la nature). Diverses organisations de protection de l’environnement qui y siègent ont été contactées, nos remarques et expertises, dont celles de l’association C’EST ASSEZ ! et de la LFDA, leur ont été communiquées.

Dans une lettre adressée à la LFDA le 31 mars 2017, la secrétaire d’Etat chargée de la Biodiversité nous annonçait la parution de l’arrêté au début avril, le texte ayant été signé le 28 mars par la ministre, la secrétaire d’Etat et le ministre de l’Agriculture, Stéphane Le Foll. La veille de la parution au Journal officiel, la ministre de l’Environnement, de l’Energie et de la Mer, Ségolène Royal, en déplacement à Monaco pour signer l’accord pour protéger les cétacés en Méditerranée, a souhaité « refaire un tour de table avec les ONG pour obtenir un arrêté plus ambitieux ». La LFDA, la LPO et C’EST ASSEZ ! ainsi que les fondations 30 millions d’amis et Assistance aux animaux, ont alors adressé une lettre à la ministre le 7 avril réclamant un peu de courage politique à un mois de la fin du quinquennat.

Et à moins d’une semaine de la fin de la mandature, la ministre a finalement validé la parution du texte, grâce à l’intervention d’Allain Bougrain-Dubourg, après avoir décidé, sans en avertir ni les professionnels ni les ONG, d’ajouter dans l’arrêté l’interdiction de la reproduction des orques et des dauphins. Et un an jour pour jour après l’entrée dans la discussion des ONG et de la LFDA, le 3 mai 2016, l’arrêté a été validé le 3 mai 2017 et finalement publié au Journal Officiel du 6 mai 2017, quelques heures avant la fin du quinquennat de François Hollande. Un quinquennat durant lequel a été reconnue la sensibilité de l’animal dans le Code Civil (article L515-14; loi 2015-177 et durant lequel il aura été mis fin à la captivité des cétacés (arrêté du 3 mai 2017). Le caractère de l’animal comme «  être vivant doué de sensibilité » aura été enfin écouté, compris et respecté.

En parallèle aux discussions sur l’arrêté, la LFDA, en lien avec l’association C’EST ASSEZ !, a participé à divers débats au sujet des delphinariums, auxquels la LFDA s’est constamment opposée depuis sa création. Une tribune signée par sept scientifiques et philosophes dont Georges Chapouthier, neurobiologiste, philosophe, directeur de recherche au CNRS et membre du conseil d’administration de la LFDA est parue dans le journal Le Monde. Plus tôt la LFDA avait été invitée à discuter de la captivité des cétacés dans le cadre des Journées Éthique et Droit animal organisées au CEERE de l’université de Strasbourg, le 21 octobre 2016. Suite à ce débat , organisé par Cédric Sueur, membre du comité scientifique de la LFDA et ses étudiants, la LFDA a été invitée au Comité «  Bien-être animal » du Parc Astérix, en mars 2017, pour discuter des projets de recherche qui y sont (et y seront ?) menés. Les travaux présentés, les manipulations réalisées sur les animaux poussent à s’interroger et à remettre en question les travaux qui y sont réalisés. Les recherches, lorsqu’elles ont lieu en captivité, doivent-elles encore servir de prétexte à la captivité ? Les travaux de recherche qui sont envisagés et leurs conclusions doivent-ils aller jusqu’à démontrer que les dauphins souffrent dans leurs bassins, surtout en utilisant des techniques invasives ?  Avec l’arrêt prochain de la captivité, la possibilité est maintenant offerte aux équipes de recherche de travailler à la réhabilitation des animaux captifs. Enfin, en parallèle de cette visite, de ces échanges, un article est paru dans la revue Droit Animal, Ethique & Sciences n° 90. Plusieurs articles sont également parus dans la presse notamment le Parisien et 20 minutes le 4 avril, Le Monde le 7 avril, Le Monde et Le Parisien le 3 mai 2017, et La Croix le 8 mai 2017.

Florian Sigronde-Boubel

 

Article publié dans le numéro 93 de la revue Droit Animal, Éthique & Sciences.

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