L’animal, juste de la viande sur pied ?

Billet d'humeur : lorsque l'on constate avec colère que nombreux sont toujours ceux qui voient l'animal "de ferme" comme un simple morceau de viande en devenir, et non comme l'être vivant qu'il est en réalité : possédant conscience, sensibilité et intelligence.

« ...une belle bête, quand je la vois sur pattes, je me dis : une belle entrecôte, une belle côte de bœuf... »

Au cours d’une revue de presse des magazines ayant la réputation de traiter des sujets de fond, la lecture d'un article publié dans un magazine confessionnel se voulant moderne en reflétant la société actuelle et se disant porte-parole du Pape François, a fait naître un étonnement, puis une révolte et une colère sourde. Dans la revue Pèlerin numéro 7034 du 21 septembre 2017, l’article en question traite de la disparition du RSI, mais l'accroche du papier est la photo en pleine page d'un boucher en tablier de couleur rouge en train de découper une pièce de viande avec un sourire de serial killer. En soi, l'article n'est pas trop mal écrit, mais le journaliste aurait pu faire un choix plus judicieux en donnant la parole, par exemple, à un boulanger-pâtissier. Les contraintes décrites auraient été les mêmes (réveil à 4 heures du matin, mise en place des vitrines, accueil des clients, départ du commerce à 20 heures...), mais l’illustration du sujet moins choquante.

Au-delà de ces premiers constats, ce qui a motivé la colère, c'est que le journaliste met bien en exergue, dans un encadré et dans la marge en caractères majuscules, une phrase absolument inacceptable prononcée par le héros du jour :

« ...une belle bête, quand je la vois sur pattes, je me dis : une belle entrecôte, une belle côte de bœuf... » .  (*)

À l'heure où l'on stigmatise, à juste titre, les abattages sans étourdissement (qui ont été bannis dans certains pays), et où les scandales sur les pratiques honteuses de certains abattoirs déferlent dans les médias, on ne comprend pas qu'une revue résolument chrétienne puisse ainsi faire l'apologie de la mise à mort d'animaux et, surtout, dans des termes aussi irrespectueux. Car au-delà du choix malheureux de l’exemple d’un boucher, ce qui est bien le plus choquant est le manque de respect  pour un être vivant sensible, à contre-courant des nouveaux mouvements de pensée sur le statut de l'animal. Il est vrai que, d’aussi loin qu'on s’en souvienne, on conserve plutôt l'image d'une église catholique bénissant les chasseurs, leurs chevaux et leurs chiens le jour de la Saint Hubert, et ne condamnant pas la corrida, fleuron de la très catholique Espagne. Et on notera que le saint patron des bouchers est Saint Nicolas, le même qui tire du saloir les petits enfants assassinés par… un boucher et pour cela le même aussi qu’invoquent les écoliers dans le nord et l'est de la France.

Des échanges de courriers avec le journaliste en question ont conforté l’idée qu’il n’avait aucun état d’âme, et ses réactions frôlaient l’intolérance et l’agressivité. Laissons donc ce cuistre atrabilaire rejoindre le clan des « journaleux » qui ne partagent leur opinion qu’avec eux-mêmes et n’ont cure de celle du lecteur, et déchargeons notre colère dans ce billet d’humeur.

Henri-Michel BAUDET

* NDLR : Ce mépris de l’animal vivant, qui pourrait être du domaine de la déformation professionnelle chez un boucher, rappelle le cas beaucoup plus grave parce que porté par un monument de la langue et de la culture française, le Dictionnaire Larousse. Dans son édition de 2001, le Petit Larousse Illustré avait choisi, pour les mots « bœuf », « mouton » et « porc », les images non pas des animaux sur pied, mais seulement celles de leurs écorchés, avec les mentions des pièces de boucherie, filet, romsteck, gigot, jambon, côtes premières, etc. La LFDA avait fortement réagi dans un courrier adressé à la direction de Larousse, dénonçant à la fois le mépris de l’animal vivant, et la carence de l’information due au lecteur. Nous n’avions pas reçu de réponse, mais dans les éditions suivantes, et notamment celle de 2015, les illustrations sont doubles : l’une représente l’animal lui-même, l’autre la carcasse et les pièces de boucherie. Un progrès éthique acquis à moindre frais !

Article publié dans le numéro 95 de la revue Droit Animal, Éthique & Sciences.

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