L’animal: carence de définition réglementaire

L’arrêté du 11 août 2006 a été le bienvenu en fixant la « liste des espèces, races ou variétés d’animaux domestiques », et en donnant des définitions importantes et enfin cohérentes et valables, parce que choisies sur des critères scientifiques. Il était temps, parce que le terme animal domestique a longtemps reçu des définitions imprécises, inexactes, et évoluant au cours du temps, en s’éloignant de sa signification originelle basée sur l’étymologie. 

Une définition de l'animal domestique

Les caprins domestiques: sensibles selon le droit français (Photo Alice Bernard)

Étaient domestiques les animaux vivant avec l’homme, à la maison (domus) : il en reste encore aujourd’hui quelques traces dans les noms communs, comme « mouche domestique ». À ce critère ancien de la proximité avec l’homme s’est ajouté celui de l’opposition avec la nature sauvage. Sans effectuer un balayage historique détaillé du vocabulaire, retenons quelques exemples. Pour l’animal domestique, le Dictionnaire de Trévoux (1762) le « prend aussi pour apprivoisé, et est opposé à sauvage », et cite « domestique : surnom des guêpes souterraines, qui leur a été donné, parce qu’elles entrent très familièrement dans nos appartements » (sic). Le Littré ne fait que citer « l’état domestique opposé à l’état sauvage ». Le Nouveau Larousse illustré en sept volumes (1898) ne s’attarde pas aux détails et déclare domestique « l’animal que l’homme a dompté et soumis à son usage ».

Les ouvrages plus récents ne sont ni plus précis, ni plus exacts. Le Petit Larousse voit en domestique « un animal qui a été dressé ou apprivoisé et qui vit dans l’entourage de l’homme (par opposition à sauvage) ». Le Robert ne fait guère mieux, et témoigne d’un anthropocentrisme consternant  : l’animal domestique « vit auprès de l’homme pour l’aider, le nourrir, le distraire » et « se reproduit dans les conditions fixées par l’homme », plus ou moins confondu ainsi avec l’animal familier. Quant au Dictionnaire des synonymes Robert, il confond dans la même signification domestique, familier, dressé, acclimaté, apprivoisé, et dompté !

L’arrêté d’août 2006 a rompu avec toutes ces appréciations subjectives. Le critère sur lequel il définit la nature de « domestique » est la sélection effectuée par l’homme. Il apporte diverses autres précisions :

  • La « population animale sélectionnée » est distinguée par des caractères identifiables (phénotype) et héréditaires (génotype) qui sont la conséquence d’une « gestion spécifique et raisonnée des accouplements ».
  • Les animaux constituant une espèce domestique appartiennent tous à une même population animale sélectionnée.
  • Une race domestique est constituée d’animaux de la même espèce, mais présentant entre eux divers caractères héréditaires communs dont le nombre et l’intensité d’expression permettent de distinguer un modèle au sein de l’espèce.
  • Une variété domestique résulte d’une sélection particulière appliquée à une fraction d’une espèce ou d’une race domestiques et visant à obtenir quelques caractères distinctifs.

L’arrêté comporte, en annexe, l’énumération taxonomique d’espèces domestiques (beaucoup sont détaillées en races et variétés) dont 25 de mammifères, 90 d’oiseaux, 5 de poissons, ainsi que 2 amphibiens (l’axolotl albinos et une race de grenouille rieuse), sans oublier 3 espèces d’insectes (le bombyx du ver à soie, l’abeille, et la drosophile).

L’arrêté était nécessaire, car il fallait donner des définitions modernes et conformes aux connaissances, ne serait-ce que parce que les animaux « domestiques » sont visés par des dispositions, notamment protectrices, qui leur sont particulières, édictées par le code pénal et le code rural, et également par le code civil, puisque même « êtres vivants doués de sensibilité », ils sont toujours soumis à l’appropriation et aux règles du commerce.

À quand une définition de l'animal sauvage ?

Il manque une définition, qui pourrait être fondée sur leur état de liberté dans la nature et sur leur capacité à y vivre et à y reproduire leur espèce, dans le cadre des équilibres naturels.Mais il faut remarquer que si cet arrêté définit ce qu’est un animal « domestique », aucun texte ne s’intéresse à définir l’animal sauvage, l’état sauvage, et l’état de liberté dans lequel il vit. Il y a là une lacune, à la fois scientifique, éthique et juridique qui devrait être enfin comblée. Cela éviterait de devoir trouver une formulation stupéfiante, utilisée pour la première fois semble-t-il dans l’ordonnance du 5 janvier 2012, qui réglemente l’utilisation expérimentale des animaux de la faune sauvage, dénommés dans ce texte « animaux d’espèces non domestiques non tenus en captivité » ! N’est-ce pas inouï d’arriver à définir les animaux de la faune sauvage par deux termes négatifs exprimant que l’homme ne les a pas asservis par la domestication et dégradés par la détention ? C’est manifester un anthropocentrisme outrancier ! À l’évidence, il manque une définition, qui pourrait être fondée sur leur état de liberté dans la nature et sur leur capacité à y vivre et à y reproduire leur espèce, dans le cadre des équilibres naturels.

Les caprins sauvages: s'ils n'appartiennent à personne, ils ne sont pas sensibles, en tout cas selon le droit français... (Photo Alice Bernard)

Et à propos d’absence de définition, il serait grand temps, également, d’écrire noir sur blanc ce qu’est un « animal sensible », c’est-à-dire apte à ressentir douleur, souffrance et émotions, ainsi que la « sensibilité de l’animal ». Le simple bon sens permet d’y répondre ; mais le bon sens n’est pas le sens commun ! La seule évocation d’une officialisation réglementaire de l’existence de la sensibilité de l’animal fait surgir l’opposition obstinée, violente et intéressée de ceux qui le traitent mal et de ceux qui le tuent, que ce soit pour le profit qu’ils en tirent, ou pour le plaisir qu’ils y trouvent.

Jean-Claude Nouët

Article publié dans le numéro 96 de la revue Droit Animal, Éthique & Sciences.

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