Du canard pour des pigeons

L’hiver venu, il est normal de chercher à se prémunir d’un rhume, d’une « grippe », ou à s’en guérir. D’innombrables spécialités pharmaceutiques sont disponibles sans prescription médicale, donc heureusement non prises en charge ; mais cette automédication est dénoncée comme présentant de réels risques, car les substances ou les doses absorbées peuvent avoir des effets toxiques, méconnus du public non informé. Et beaucoup de spécialités en vente libre n’ont aucun autre effet que placebo ; leur seul inconvénient est de ponctionner abusivement le porte-monnaie des crédules et des malades imaginaires candidats Argan : tant pis pour eux.

El pitareio [CC BY-SA 4.0], via Wikimedia Commons

 

Parmi les spécialités disponibles, l’une bénéficie d’une réputation assez étonnante, et d’un chiffre d’affaires colossal : en France, elle est l’un des médicaments homéopathiques les plus vendus avec plus de 50 % des ventes de médicaments antigrippaux, malgré un prix d’environ 50 % plus élevé. Il s’agit de l’Oscillococcinum, vendu sous l’appellation ambigüe « contre les affections grippales », ce qui n’a aucune signification pathologique.

Pourquoi un tel succès ?

Cherchons donc quelques renseignements : essayons sur Wikipédia. Le résultat est proprement surprenant. Le nom de la spécialité vient de l’erreur d’un médecin, le Dr Roy, lequel, lors de l’épidémie de « grippe espagnole » de 1918, a cru en découvrir au microscope l’agent bactérien dans le sang de malades atteints de la grippe, agent qu’il a appelé oscillocoque. Il l’aurait observé ensuite dans de nombreuses autres pathologies, au point qu’il a cru trouver un germe universel, qu’il a cherché à cultiver.  Ses expérimentations n’ont évidemment donné aucun résultat démonstratif, et tout s’est effondré plus tard avec l’identification des virus. Un laboratoire homéopathique a repris sa suite en 1933, et depuis 1967 les Laboratoires Boiron assurent la commercialisation de l’Oscillococcinum.

Recette

Outre ces renseignements, Wikipédia en fournit la recette, qui n’est plus protégée et qui sert à commercialiser des produits identiques sous d’autres noms. L’Oscillococcinum résulte d’un broyat de foie et de cœur de canard de Barbarie macéré dans 1 litre d’eau. Le liquide, filtré, est dilué au 100e, et cette dilution au 100e est répétée 200 fois. La deux centième dilution est utilisée pour imprégner des granules de lactose qui servent d’excipient. Une fois séchés, quelque 200 granules sont répartis en 6 « doses » dont l’ensemble constitue le médicament Oscillococcinum.

En somme, les tenants d’une médecine douce, naturelle, à l’opposé de l’allopathie et de ses drogues chimiques, généralement préoccupés d’écologie et de la condition animale, voire véganes, absorbent un produit issu du canard ! Mais si leur éthique n’est pas intacte, au moins est-elle sauvée : on peut considérer qu’à la suite des dilutions répétées, la préparation finale ne contient plus aucune trace de l’autolysat de départ : les calculs montrent qu’une boîte d’Oscillococcinum contient moins de 1×10-400  gramme de canard !

Il reste à réfléchir à l’utilité de dépenser 9 € pour un perlimpinpin en se donnant l’illusion de se prémunir ou de se traiter sainement, et de se faire pigeonner. Il nous reste aussi à nous demander pourquoi l’Oscillococcinum figure en « tête de gondole » dans les pharmacies, et pourquoi les pharmaciens en recommandent l’usage, quand il leur est demandé un conseil de traitement ! Cyrano de Bergerac n’aurait pas aimé qu’on le ridicocciculise…

Jean-Claude Nouët

Article publié dans le numéro 96 de la revue Droit Animal, Éthique & Sciences.

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