Projet de loi EGA et respect du bien-être animal

À la suite des États généraux de l’alimentation (EGA), le projet de loi « pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine et durable » a été adopté le 29 mai par l’Assemblée nationale.L’article 13 porte sur le « respect du bien-être animal ».

Même si de nombreux amendements ont été déposés, il est à regretter que cet article soit une coquille vide. En effet, il ne traduit dans la loi ni les promesses du candidat à la présidentielle Emmanuel Macron, ni les attentes des citoyens pourtant de plus en plus demandeurs de modes de production plus respectueux des animaux qu’ils consomment.

bien-être animal

Des EGA au vote par l’Assemblée nationale : des avancées pas à pas mais globalement insuffisantes

Lancés le 20 juillet 2017, les États généraux de l’alimentation ont marqué le point de départ de la mise en oeuvre du programme agricole du président de la République fraîchement élu. L’objectif de ces EGA était double : déterminer d’une part les orientations pour créer et répartir la valeur entre les acteurs des filières agricoles et d’autre part répondre aux attentes des consommateurs pour une alimentation saine, sûre, durable et accessible à tous.

Durant cinq mois, citoyens comme professionnels ont ainsi pu faire des propositions, sur une plateforme Internet qui a recueilli près de 17 000 contributions et dans le cadre des 14 ateliers de travail réunissant professionnels, élus et membres de la société civile.

Certains ateliers visaient à mieux prendre en compte le bien-être animal à l’image du premier d’entre eux dont l’objectif était de « mieux répondre aux attentes des consommateurs en termes de qualités nutritionnelles et environnementales, d’ancrage territorial, de bien-être animal et d’innovation ». L’interdiction des cages, la transition des élevages intensifs vers des modes de productions plus respectueux de l’animal, ou encore la mise en place d’un étiquetage du mode d’élevage et d’abattage ont fait partie des revendications qui ressortent des ateliers et de la consultation citoyenne.

Le 11 octobre 2017 à Rungis, à mi-parcours des EGA, Emmanuel Macron demandait à chaque interprofession de remettre au Gouvernement fin décembre un plan de filière définissant pour chacune d’entre elles sa feuille de route pour intégrer à moyen et long terme les filières dans une démarche de progrès.

Ces plans de filières, disponibles en ligne, mentionnent le bien-être animal comme enjeu sociétal et proposent notamment de mettre en place des concertations avec les ONG de protection animale, à l’image de celles en cours avec l’interprofession bovine et caprine et dont la LFDA fait partie.

À l’issue des EGA qui se sont clos le 21 décembre 2017, le ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation Stéphane Travert a présenté un projet de loi en Conseil des ministres le 31 janvier. Les 17 articles y sont répartis en deux titres. Le premier porte sur l’amélioration de l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire en proposant notamment d’inverser la construction des prix agricoles en partant des coûts de production et non plus des prix dictés aux producteurs par l’aval de la filière.

Le second titre porte sur les mesures en faveur d’une alimentation saine, de qualité, durable, accessible à tous et respectueuse du bien-être animal. Les termes « respect du bien-être animal » sont d’ailleurs non seulement dans le titre du projet de loi mais aussi comme titre du chapitre II avec un article qui y est spécifiquement dédié : l’article 13.

Fin janvier, lors de sa présentation en Conseil des ministres, l’article 13 comportait trois dispositions :

  • l’extension du délit de maltraitance animale aux établissements d’abattage et de transport d’animaux vivants (article L215-11 du code rural et de la pêche maritime) ;
  • le doublement des peines pour maltraitance animale : passant de six mois à un an d’emprisonnement et assorti d’une amende de 15 000 € (article L215-11 du code rural et de la pêche maritime). Ce durcissement des peines reste cependant insuffisant car bien que doublée, la peine encourue pour délit de maltraitance reste trois fois inférieure à la peine encourue pour vol d’un animal, alors qu’il est moralement plus grave de maltraiter un animal que de le voler ;
  • la possibilité pour les associations de protection animale de se porter partie civile dans les cas réprimés par les articles L215-11 et L215-13 du code rural et constatés par un contrôle officiel (article 2-13 du code de procédure pénale).

Ces dispositions reprenaient partiellement celles de la proposition de loi relative au respect de l’animal à l’abattoir d’Olivier Falorni, proposition qui avait été adoptée par l’Assemblée nationale en janvier 2017 et qui faisait suite à la commission d’enquête parlementaire sur les conditions d’abattage de 2016. Une fois votée, cette dernière n’est jamais parvenue jusqu’au Sénat.

Par la suite, le projet de loi EGA a été transmis à l’Assemblée nationale. Il a été dans un premier temps saisi pour avis par la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire fin mars. Une dizaine d’amendements portant sur l’article 13 ont été adoptés, parmi lesquels : l’interdiction de la vente d’oeufs de poules élevées en cage au 1er janvier 2022, l’interdiction des élevages cunicoles non respectueux des impératifs biologiques de l’espèce au 31 décembre 2024 ou encore la limitation de la durée des transports à 8 heures pour les ruminants, porcs et chevaux et à 4 heures pour les volailles et lapins.

Alors que ces amendements auraient permis d’améliorer les conditions de vie de millions d’animaux d’élevage, ils n’ont pas été repris par la suite et seuls quatre d’entre eux ont finalement été retenus puis votés par l’Assemblée en séance plénière.

La généralisation des responsables protection animale (RPA) à tous les abattoirs (nouvel article : L.654-3-1 du code rural)

Cela met fin à la dérogation permise par l’article 17.6 du règlement (CE) n° 1099/2009 qui dispensait de RPA les petits abattoirs tuant par an moins des 1 200 bovins ou 3 800 porcs ou 6 600 ovins ou 150 000 oiseaux ou lapins.

Le renforcement des dispositions relatives aux lanceurs d’alertes dans les abattoirs (nouvel article : L.654-3-2 du code rural)

Ce point est essentiel puisque dorénavant tout salarié qui constate un acte de maltraitance ou de cruauté pourra en faire part à ses responsables sans risquer de se retrouver dans une situation de conflit d’intérêt où il pourrait perdre son emploi.

L’intégration de la sensibilisation au bien-être animal dans les missions de l’enseignement et de la formation aux métiers de l’agriculture (article L.811-1 du code rural)

Cette disposition va d’ailleurs de pair avec la création, en mars, d’une chaire partenariale à l’école vétérinaire VetSupAgro de Lyon et dont l’objectif est de développer le volet formation au bien-être animal à destination des professionnels.

L’expérimentation pour une durée de quatre ans des dispositifs d’abattoirs mobiles avec la remise d’un rapport au Parlement

Ce rapport portera sur la viabilité économique, l'impact sur le bien-être animal et les éventuelles difficultés d’application par rapport à la réglementation européenne.

Avant sa discussion dans l’hémicycle, le projet de loi a également été saisi sur le fond par la commission des affaires économiques, fin avril. Malgré le dépôt de nombreux amendements, seulement un, non contraignant, a été ajouté à l’article 13 :

Le Gouvernement remet au Parlement d’ici un an et demi un rapport portant sur les évolutions et les réalisations concrètes des volets relatifs au bien-être animal prévus par les plans de filière. 

Enfin, durant la dernière semaine de mai, les députés ont discuté en séance plénière quelque 2 310 amendements durant 8 jours et 8 nuits consécutives. En amont des discussions, ces derniers ont été interpellés par de nombreux citoyens et plus de 14 000 emails leur demandant de se mobiliser en faveur du bien-être animal leur sont parvenus. À l’occasion de la discussion de l’article 13, débattu dimanche 27 mai en fin de journée et durant la nuit, des présidents de groupes se sont mobilisés et sont venus témoigner de l’importance de légiférer en faveur d’une meilleure prise en compte du bien-être animal.

Cependant, ils n’étaient que 70 députés à voter les amendements et l’article 13, soit moins de 15 % de l’hémicycle. Alors que 88 % des Français estiment que le bien-être des animaux d’élevage devrait être mieux protégé, il est regrettable que les élus ne se soient pas plus déplacés et mobilisés. Lors de la discussion deux amendements, élaborés par la majorité et avec l’accord du ministre, ont finalement été ajoutés à l’article 13.

L’interdiction de la construction et de la rénovation des élevages en cage pour les poules pondeuses (nouvel article L.214-11 du code rural)

Cependant cette interdiction n’est en rien une révolution car aujourd’hui quel éleveur est prêt à investir dans des cages aménagées, alors même que les entreprises agroalimentaires et les consommateurs rejettent de plus en plus ce mode d’élevage.

Un signal fort aurait été d’inscrire dans la loi l’interdiction de la vente d’oeufs et d’ovoproduits issus de poules en cage, à une date butoir précise, ce qui aurait bénéficié directement, à moyen terme, aux 33,6 millions de poules pondeuses qui y vivent.

L’engagement du président de la République, pris lors de sa réponse au Manifeste AnimalPolitique, n’est donc à ce jour pas respecté. Le ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation préfère s’en remettre à la filière pour bannir d’ici à 2022 les cages pour les poules pondeuses.

L’expérimentation sur la base du volontariat, pour une durée de deux ans, du contrôle vidéo des postes de saignée et de mise à mort

Cette disposition basée sur le volontariat n’est en rien contraignante. Le risque est de voir soit quelques abattoirs se lancer dans ce dispositif afin de tester de nouveaux débouchés, non pas au nom de la protection animale mais à des fins marketing, soit qu’aucun établissement ne joue le jeu ce qui enterrera définitivement le contrôle vidéo.

Afin que l’expérimentation du contrôle vidéo ne reste pas lettre morte, le ministre et ses équipes doivent veiller et inciter les abattoirs, toutes catégories confondues (abattoirs privés, publics, mono-espèces, multi-espèces), à participer au dispositif.

abattoir

Les États généraux de l’alimentation devaient permettre de tracer les voies d’un élevage plus respectueux du bien-être animal, pourtant l’article sur le respect du bien-être animal est une coquille vide et n’a de bien-être animal que le nom.

Aucune disposition ne vise à faire évoluer significativement les pratiques d’élevage, de transport et de mise à mort. À ce stade, le rendez-vous est manqué.

Nous ne pouvons que regretter l’absentéisme et les votes défavorables des députés présents. L’article 13 tel qu’il est aujourd’hui, n’est en rien le reflet des attentes des citoyens mais le reflet des tactiques politiques et des consignes de vote.

Alors que 60 % des Français estiment qu’offrir un accès plein air à tous les animaux d’élevage est une priorité, la France ne met clairement pas fin à moyen terme par la loi à l’élevage en cage des poules pondeuses, alors que l’Allemagne s’y est engagé d’ici à 2025.

Alors que 85% des Français sont défavorables aux mutilations faites par exemple aux porcs, les députés ont voté en majorité contre l’interdiction de la caudectomie et de la castration (60 votes contre sur 76).

Enfin, alors que 85 % des Français sont favorables au contrôle vidéo en abattoir, les députés ont voté contre et ont préféré une expérimentation du dispositif. Pourtant la généralisation du contrôle vidéo avait été votée en janvier 2017 à l’Assemblée nationale et le candidat Emmanuel Macron, en réponse au Manifeste AnimalPolitique, s’y était engagé : « La vidéosurveillance dans les abattoirs, selon des modalités inspirées de la proposition de loi Falorni, sera mise en place ».

Nous ne pouvons également que regretter que le ministre Stéphane Travert n’ait pas traduit dans la loi les intentions qu’il énonçait encore quelques jours auparavant : « Le bien-être animal est une préoccupation forte de ce gouvernement. Je n’accepterai jamais des modes d’élevage et d’abattage qui vont à l’encontre du respect de l’animal ». Ce dernier, tout au long des discussions, n’a eu de cesse de rejeter les amendements en évoquant bien souvent que les plans de filière permettront de répondre aux enjeux.

Le projet de loi doit maintenant être soumis au Sénat mi-juin avant d’être promulgué à l’issue d’une commission mixte paritaire cet été. Nous ne pouvons qu’espérer que les quelques dispositions acquises soient conservées voire même, qui sait, que de nouvelles demandes plus ambitieuses soient intégrées au texte ; sans cela il faudra s’en remettre aux seuls plans de filière pour espérer des avancées pour améliorer les conditions de vie des animaux d’élevage dans les prochaines années.

Florian Sigronde Boubel

Article publié dans le numéro 98 de la revue Droit Animal, Éthique & Sciences 

ACTUALITÉS