Quelques curiosités en communication animale

La communication animale est omniprésente et souvent mal connue. Par exemple, pour séduire, le colibri de Costa exécute dans l’air des plongeons et utilise les plumes de sa queue pour produire un son strident. La baleine boréale montre quant à elle, une diversité et une variabilité de chants rarement observés parmi les mammifères.

Le « bluff » en vol du colibri mâle pour séduire la femelle

Le Colibri de Costa est originaire d’Amérique centrale. Pour séduire la femelle, le mâle exécute dans l’air des plongeons à grande vitesse au cours desquels il utilise les plumes de sa queue pour produire un son strident auquel la femelle est sensible. Celle-ci est très attentive aux fréquences du son produit car elles peuvent révéler la vitesse et l’accélération du plongeon, critères importants dans le choix du mâle par la femelle.

colibri de costa, communication animale

Dans un article du Monde du 18 avril, N. Herzberg rapporte les travaux de chercheurs américains (1) sur les stratégies développées par les mâles pour « tromper » les femelles sur les caractéristiques de leur vol. Les chercheurs ont utilisé des caméras très performantes ainsi que de nombreux micros pour capter en laboratoire le comportement des mâles pendant leur parade nuptiale. Les résultats ont mis en évidence le caractère astucieux de la stratégie du mâle pour l’adapter aux préférences de la femelle.

Signal honnête ou signal malhonnête?

Pour commencer, le mâle sait orienter sa queue de façon à ce que le son soit correctement dirigé vers la femelle visée. Ensuite, le mâle cherche à atténuer l’effet Doppler produit par son plongeon car cet effet déplaît à la femelle. Pour rappel, l’effet Doppler est la variation dans la fréquence perçue d’un son en mouvement (aigu, grave…). Cela se produit lorsque la distance entre un son et l’individu qui perçoit ce son varie pendant que le son est émis, comme par exemple dans le cas d’une voiture bruyante qui dépasse un passant arrêté au bord de la route. Le passant n’entendra pas un son uniforme mais un son déformé au fur et à mesure que le véhicule s’approche puis s’éloigne de lui, alors même que le son perçu sera constant si l’on est à l’intérieur du véhicule.

Ainsi, afin de tromper la femelle sur sa vitesse et son accélération pendant le plongeon – et ne pas risquer de trahir des compétences potentiellement peu attractives, le mâle a développé une stratégie qui consiste à s’éloigner un peu de la femelle et plonger sur son côté afin d’atténuer le fameux effet Doppler.

Signal malhonnête

Il s’agit ici de ce que l’on appelle un signal malhonnête, ou « bluff ». La stratégie la plus fréquemment observée dans le monde animal est celle des signaux honnêtes : il existe alors une vraie corrélation entre une qualité intrinsèque de l’individu, telle la force ou la résistance, et le signal qu’un individu émet à l’intention d’un autre individu (concurrent ou partenaire). Ainsi, les oiseaux de paradis ont développé des plumes d’une longueur qui peut paraître déraisonnable et même dangereuse : la gêne occasionnée pour les mouvements du mâle peut faciliter une capture par un prédateur.

Signal honnête

Néanmoins, si un individu réussit à survivre avec ce handicap, cela montre qu’il est réellement fort ou résistant (théorie du « handicap », voir Amotz Zahavi, 1975). C’est donc un signal honnête dont l’émetteur tire un avantage sélectif. Au contraire, certaines espèces ont développé des stratégies dites malhonnêtes.

Exemple du crabe violoniste

Crabe violoniste Uca pugilator, communication animale
Crabe violoniste, Uca pugilator

L’écrevisse et le crabe violoniste ont été très étudiés en particulier (2,3). Le mâle crabe violoniste possède une pince hypertrophiée qu’il peut perdre lors d’un combat avec un concurrent ou avec un prédateur. La pince a la capacité de repousser, tout en étant moins solide que l’originale.

Les crabes ne possèdent pas la capacité de distinguer une pince originale d’une repousse. Il est donc fréquent qu’un crabe avec une repousse puisse impressionner un concurrent ou une femelle comme si sa pince était d’origine.

Néanmoins, ce bluff est modéré par le fait que si un combat s’engage réellement, un crabe à repousse perdra face à un crabe à pince originale…

La remarquable diversité du répertoire des baleines boréales

Alors que le merveilleux chant des baleines à bosse a été abondamment étudié, celui d’une autre baleine à fanons, la baleine boréale, a fait l’objet de très peu d’études. Des chercheurs norvégiens et américains s’y sont récemment intéressés (4), comme le reportait Le Monde le 11 avril.

Chez les baleines boréales de la région du Spitzberg, une île au nord de la Norvège, les chercheurs ont pu montrer une diversité et une variabilité de chants rarement observées parmi les mammifères.

baleine boréale, communication animale

À l’aide d’enregistreurs hydrophones multidirectionnels déployés à l’ouest de l’île de Svalbard, l’équipe a enregistré les sons dans l’eau durant trois saisons.

Chaque année, les spectrogrammes enregistrés étaient analysés pour y repérer les chants des baleines, qui étaient ensuite caractérisés selon :

  • leur fréquence,
  • leur durée,
  • le nombre d’unités et de phrases dans chaque chant, etc.

Des chants ont ainsi été détectés d’octobre à avril tous les ans. Les mois de décembre et janvier se sont montrés les plus propices pour l’écoute de chants variés. Chaque chant unique n’a été retrouvé que lors d’une seule saison, et le nombre de chants ainsi que leur distribution sur l’année ont varié d’une année à l’autre. Certains chants n’ont été entendus que quelques minutes, d’autres toute une saison hivernale. Parmi les enregistrements, 53 % contenaient un seul type de chant à la fois, 37 % en contenaient deux et 10 % en contenaient trois ou plus.

Comment expliquer cette grande diversité dans les chants des baleines boréales de la région du Spitzberg ?

Les chercheurs avancent diverses hypothèses qui pourraient se combiner, parmi lesquelles :

  • la fonte des glaces a pu privilégier les mouvements de populations de baleines à l’échelle globale : les baleines des régions de l’Alaska et de l’est du Canada ont pu rejoindre celles du Spitzberg et enrichir leur registre vocal – néanmoins, cette possibilité n’explique pas la non-récurrence des chants d’une année sur l’autre et le nombre élevé de chants différents ;
  • les baleines du Spitzberg ont été presque exterminées par la chasse avant d’être protégées en 1931 par une convention signée par 22 nations ; on trouverait une plus grande diversité de chants au sein de petites populations d’animaux – mais l’inverse a également été observé…
  • les baleines boréales étant les seuls cétacés à fanon de la région, il est possible qu’une plus faible pression sélective pour un chant intraspécifique stéréotypé soit exercée sur les populations, permettant ainsi l’expression de chants très variables ;
  • alternativement, des chants innovants pourraient être considérés comme attractifs chez cette espèce.

Une chose est sûre, nous avons encore beaucoup de choses à apprendre sur cette espèce passée à deux doigts de l’extinction il y a moins d’un siècle. Étonnamment, la fonte des glaces a facilité la reprise de l’espèce en permettant les échanges entre populations de régions éloignées ; il reste maintenant à s’assurer que le réchauffement climatique ne finisse par priver les baleines de leur nourriture favorite : le krill, dont les populations ne cessent de décroître…

Sophie Hild

  1. Clark C.J. & E.A. Mistick. 2018. Strategic Acoustic Control of a Hummingbird Courtship Dive. Current Biology 28.8: 1257-1264.
  2. Wilson R.S. et al. 2007. Dishonest signals of strength in male slender crayfish (Cherax dispar) during agonistic encounters. The American Naturalist 170.2: 284-291.
  3. Bywater C.L., F. Seebacher & R.S. Wilson. 2015. Building a dishonest signal: the functional basis of unreliable signals of strength in males of the two-toned fiddler crab, Uca vomeris. Journal of Experimental Biology 218.19: 3077-3082.
  4. Stafford K.M. et al. 2018. Extreme diversity in the songs of Spitsbergen's bowhead whales. Biology letters 14.4: 20180056.

Article publié dans le numéro 98 de la revue Droit Animal, Éthique & Sciences.

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