Ah les p’tits pois, les p’tits pois…

Qui ne la connaît, avec son dos bombé rouge vif, et ses pois noirs ? Qui n’en a fait passer une délicatement sur son doigt et attendu qu’elle s’envole, pour porter bonheur. La « demoiselle rouge » pourrait être aussi son nom, qui vient du latin coccinus, rouge écarlate. Elle aurait pu aussi être appelée « princesse aux petits pois », mais le titre attendait Andersen qui s’en emparera, pluriels en moins, pour son conte…

La jolie coccinelle a pour elle de s’appeler la bête à Bon Dieu. La légende dit qu’elle avait sauvé la vie à un homme en se posant sur sa nuque, empêchant le bourreau de lui trancher le cou : le condamné avait été gracié par le roi, Robert le Pieux, qui avait vu là un signe divin. Si l’anecdote est réelle, le hasard avait bien fait les choses : le véritable coupable devait être découvert quelques jours après… D’auxiliaire de justice, elle est devenue aujourd’hui auxiliaire d’écologie efficace dans la lutte biologique contre les pucerons, que sa larve dévore avec appétit. Sa larve, dès la sortie de l’œuf, s’attaque aux pucerons. Adulte, elle conserve ce régime, hautement nutritif : les protéines du puceron sont agrémentée du miellat qu’il tire de la sève des plantes. Menu plat et dessert, en quelque sorte. La coccinelle en absorbe au moins 150 par jour. Avec un total d’environ 1 000 œufs pondus dans sa vie, elle est un redoutable insecticide spécialisé, bien supérieur aux pulvérisations chimiques.

Mais elle n’est pas la seule à se gaver de pucerons : les fourmis les apprécient tout autant, et elles défendent leur garde-manger en attaquant les coccinelles, sans grand dommage : elles sont protégées par leur enveloppe de chitine solide. Et si les mirmidons insistent et s’accrochent aux pattes, la demoiselle rouge s’envole. Sa larve, elle, ne peut s’envoler : les fourmis s’en délectent. C’est le jeu de l’équilibre des espèces.

On dénombre plusieurs espèces de coccinelles en Europe, distinguées et dénommées par le nombre de pois noirs sur leurs élytres rouges. La plus fréquemment observée est la coccinelle à sept pois (ou points) ; la coccinelle à deux points est un peu moins nombreuse. On trouve aussi des espèces à cinq, dix, quatorze, vingt-deux et même vingt-quatre points.

Ces points ont été interprétés comme marqueurs de l’âge de l’insecte. Il n’en est rien : le déterminisme est évidemment génétique. De récents travaux, conduits à l’INRA de Montpellier et au CNRS de Marseille, et publiés dans la revue Current Biology du 23 août, démontrent que les différentes colorations des coccinelles sont dues à un gène qui à lui seul possède toutes les instructions nécessaires pour générer des variations génétiques qui dessinent les différents motifs.

Les espèces européennes sont menacées par l’introduction d’espèces asiatiques introduites imprudemment par les jardineries au nom de la lutte biologique contre les pucerons ; elles sont en effet particulièrement voraces, au point d’attaquer nos coccinelles si la nourriture vient à manquer. Les dites jardineries ne vendent plus, actuellement, qu’œufs et larves de la « deux points ». C’est réellement le moyen écologique de se débarrasser des pucerons. Et celui de multiplier les coccinelles, le plaisir de les voir, et de faire chanter des comptines, Coccinelle, demoiselle, vole jusqu’aux cieux.

Jean-Claude Nouët

Article publié dans le numéro 99 de la revue Droit Animal, Éthique & Sciences.

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