Pas de lait sans progéniture

Par une journée d’été à la Fondation, nous avons été alertés : « Excusez-moi de vous déranger, est-il vrai que les vaches doivent avoir des petits pour produire du lait ? J’ai entendu ça, il y a peu et j’en suis étonnée. » Voilà à peu près les deux phrases qui nous ont mis la puce à l’oreille : si une personne ne sait pas comment est produit le lait animal, elle n’est sûrement pas la seule ! Nous avons donc cru bon d’apporter des éléments de réponse à toutes les personnes qui se posent la même question, et plus largement à toutes celles qui ne savent pas comment on obtient du lait.

Le cycle de lactation des vaches laitières

Oui, c’est vrai, les vaches doivent avoir un veau pour produire du lait. C’est également vrai pour les chèvres, les brebis, les ânesses, les juments, dont l’humain consomme le lait. C’est vrai pour tous les mammifères en fait, y compris la femelle humaine !

La génisse, autrement dit la vache qui n’a pas vêlé, atteint sa maturité sexuelle vers l’âge de 2 ans. À partir de ce moment-là, elle est inséminée (le plus souvent de manière artificielle) afin de devenir gestante. La gestation d’une vache dure entre 9 et 9,5 mois en fonction des races. À la naissance du veau et pendant une période d’environ 10 mois, la vache se met à produire du lait pour son petit. Le veau lui est enlevé très tôt (entre quelques heures et quelques jours) afin de récupérer le lait. Le veau deviendra alors un veau de boucherie : il sera nourri avec un lait de substitution puis engraissé avant d’être abattu au bout de quelques mois pour être mangé.

Tous les ans, environ 2 mois après le vêlage, la vache est à nouveau inséminée afin de reprendre le cycle. La vache produit donc du lait pour son veau actuel en même temps qu’elle est gestante du prochain. La production de lait baisse puis s’arrête environ 2 mois avant le prochain vêlage. Ce cycle dure jusqu’à ce que la vache soit moins productive en lait et baisse en rentabilité, à l’âge d’environ 5 ou 6 ans.

Pour résumer :

La génisse est inséminée à 2 ans, pendant 10 mois elle est gestante, puis elle vêle et commence à produire du lait, après 2 mois la vache est à nouveau inséminée mais continue à produire du lait pendant 8 mois, ensuite il lui reste 2 mois avant de vêler à nouveau et de reproduire du lait.

Ce cycle est commun à toutes les femelles de mammifères en élevage dont le lait est consommé par l’humain. Seuls les chiffres (maturité sexuelle, durée de gestation, durée de lactation, durée de vie, durée du cycle…) changent en fonction des espèces, des races, des systèmes d’élevage, des éleveurs… Chez les chèvres par exemple, des lactations longues peuvent être induites, c’est-à-dire que la chèvre produit du lait pendant 2 ou 3 ans sans avoir besoin d’avoir un petit, mais la productivité finit par être trop basse et l’insémination ou la reproduction redevient nécessaire.

L’hormone qui supprime le besoin de gestation pour la production de lait

Dans les années 1990, l’entreprise Monsanto, spécialisée comme l’on sait dans les biotechnologies agricoles (aventureuses ?), a mis au point une hormone de synthèse permettant de contrôler la lactation des vaches laitières et d’augmenter leur rendement, et ce, sans besoin de gestation. Commercialisée dès 1994 aux États-Unis sous le nom de POSILAC, l’hormone « bovin somatotropin » recombinée (rBST) est la synthèse de l’hormone « bovin somatotropin » (BST) présente naturellement chez les bovins en bonne santé. Chez la vache adulte, elle règle la production de lait.

À première vue, il pourrait s’agir d’une bonne idée

Plus besoin de sacrifier des veaux pour la production de lait. Mais à première vue seulement, car si l’on creuse le sujet, on s’aperçoit que l’hormone recombinée est néfaste pour les vaches : accroissement du nombre de mammites aiguës (inflammation mammaire), augmentation de la température de l’animal entraînant du stress, risques accrus de diverses manifestations pathologiques, tels troubles digestifs variés, tuméfaction des articulations, kystes ovariens, rétention placentaire, œdème au point d’injection, etc.

La rBST est également douteuse pour la santé humaine

Les composants de l’hormone sont susceptibles d’influer sur la santé. En outre, à cause des effets secondaires sur les vaches, elle entraîne des sécrétions de lait anormales avec présence de pus, ainsi qu’une consommation accrue de médicaments pour soigner toutes ces pathologies, dont les résidus risquent de se retrouver dans le lait.

L’utilisation de cette hormone avait été interdite dans l’Union européenne en 1990, avec une échéance au 31 décembre 1994. La LFDA et la Coalition pour l’élevage naturel et de plein air (CENPA) avaient alors mené des actions pour faire prolonger cette interdiction : dossiers complets et courriers aux ministres de l’Agriculture, de l’Environnement et de la Santé, communiqué de presse dans Le Monde… Le moratoire avait été prolongé jusqu’en décembre 1999.

Entre-temps, le Codex Alimentarius, commission qui établit les normes d’hygiène et d’emploi des produits alimentaires pour l’Organisation mondiale du commerce (OMC), n’a pas retenu la position américaine qui voulait obtenir l’interdiction de tout étiquetage mentionnant qu’un aliment donné avait été obtenu avec l’emploi d’une hormone de synthèse. D’autres pays, comme la Canada, le Japon et la Nouvelle-Zélande, ont également décidé d’interdire l’utilisation de la rBST.

Finalement, à la suite d’un rapport du comité scientifique de l’Union européenne faisant valoir les risques de la rBST, l’Union européenne a adopté le 17 décembre 1999 une décision (1999/879/CE) interdisant l’utilisation de cette hormone de croissance chez les vaches laitières, ainsi que la mise sur le marché de cette substance pour les mêmes fins, un succès auquel la LFDA est fière d’avoir activement participé. L’utilisation de la rBST est donc restée interdite en Europe, mais est toujours autorisée aux États-Unis.

Nikita Bachelard

Sources :

Article publié dans le numéro 99 de la revue Droit Animal, Éthique & Sciences.

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