Table ronde: Droits de l’animal – Colloque « Droits et personnalité juridique de l’animal » (2019)

Par Louis Schweitzer, président de la LFDA, Jean-Paul Costa, juge puis Président de la Cour européenne des droits de l’homme de 1998 à 2011 et Olivier Duhamel, professeur émérite de droit constitutionnel et de science politique. Table ronde sur la Déclaration des droits de l’animal dans le cadre du colloque sur les droits et la personnalité juridique de l’animal organisé par la LFDA le 22 octobre 2019 à l’Institut de France. 

Une déclaration est un texte solennel qui proclame des principes fondamentaux. Elle a une portée symbolique, essentiellement politique. En procédant ainsi, le souhait des auteurs d’une déclaration est que celle-ci se transforme, dans un second temps, en lois, conventions ou traités, documents juridiques qui ont un caractère obligatoire. Parmi les exemples célèbres de déclaration devenues normatives, on retrouve la Déclaration universelle des droits de l’homme des Nations Unies adoptée en 1948. Ses principes sont intégrés dans deux pactes adoptés par l’ONU – le premier relatif aux droits civils et politiques et le second relatif aux droits économiques, sociaux et culturels –, ainsi que dans plusieurs conventions internationales. La Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du Conseil de l’Europe (ou Convention européenne des droits de l’homme), ratifiée par 47 États signataires, dont la France, s’y réfère également.

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Louis Schweitzer

La LFDA est à l’origine de la Déclaration universelle des droits de l’animal, proclamée à la Maison de l’UNESCO le 15 octobre 1978. Cette déclaration a fait l’objet d’une première actualisation en 1989. Elle a fait l’objet d’une seconde actualisation en 2018, qui en a changé un peu la nature. D’abord, nous avons renoncé à parler d’une déclaration universelle. À vrai dire, c’était un peu excessif pour une déclaration qui était strictement française, et il faut reconnaître que la conception des droits de l’animal n’est pas la même dans toutes les civilisations et dans tous les pays. C’est donc devenu une Déclaration des droits de l’animal. Le second point est que cette déclaration, qui à l’origine se voulait un texte très philosophique, un peu à l’image de la Déclaration universelle des droits de l’Homme, a été transformée en un texte beaucoup plus proche du droit positif, plus bref : elle comporte huit articles. Au cours de cette matinée, nous allons discuter de ce texte plus bref. Pour cette première table ronde, vous entendrez d’abord un exposé de Jean-Paul Costa, puis Olivier Duhamel interviendra en posant un certain nombre de questions à Jean-Paul Costa. Ensuite nous aurons une discussion avec l’ensemble de la salle. Je donne donc la parole sans plus attendre à Jean-Paul Costa, en le remerciant d’être parmi nous.

Jean-Paul Costa[1]

Merci beaucoup Louis.

Monsieur le Président Badinter, Monsieur le Ministre Vallini, Mesdames et Messieurs,

Je suis très content que la lumière soit revenue[2] pour deux raisons : d’abord parce que je ne sais pas très bien lire mes notes avec mon téléphone portable – mais peut-être Olivier Duhamel m’aurait aidé – et d’autre part, parce que sans faire de jeu de mots, je trouve le sujet des droits de l’animal et de leur déclaration, tout à fait passionnant mais parfois un peu obscur, donc c’est bien qu’il y ait de la lumière. Je vais faire comme l’a dit Louis Schweitzer un petit exposé et tenir quelques propos liminaires, et ensuite je m’efforcerai de répondre aux questions d’Olivier Duhamel. Nous sommes convenus qu’il me posera des questions non pas en rafale mais une par une, et puis j’espère que je pourrai y répondre et en tout cas introduire le débat.

Ce que je voudrais dire avant de commencer, c’est qu’il me semble qu’il n’y a pas d’opposition – il peut y avoir des conflits – mais il n’y a pas d’opposition de principe, mais plutôt une convergence entre les droits de l’homme et les droits de l’animal. Et sans vouloir tirer des conséquences trop importantes de ma propre subjectivité, mon engagement personnel pendant des décennies dans le domaine des droits de l’homme – et qui continue – ne me paraît pas contradictoire avec le soutien de la cause des droits de l’animal. J’ai accepté très volontiers la proposition de mon ami Louis Schweitzer de devenir membre du comité d’honneur de la fondation, et aussi de parler devant vous ce matin, et j’ai aussi accepté la proposition du professeur Jean-Pierre Marguénaud – qui est aussi un ami – de rédiger une contribution à la Revue semestrielle de droit animalier pour le dixième anniversaire de cette revue.

Pourquoi cette convergence ? En étant bref, car le temps nous est un petit peu compté, tout simplement parce que je suis de plus en plus convaincu que les hommes et les animaux participent du vivant. Ils vivent dans le même environnement, et je n’oublie pas que la Cour européenne des droits de l’Homme, dès le milieu des années 1990, et non sans audace, a tiré d’un article de la Convention européenne des droits de l’Homme – l’article 8 sur le droit au respect de la vie privée et familiale – l’idée que le droit à la vie privée et familiale pour un être humain comporte le droit de vivre dans un environnement sain. Et cet environnement sain, dans tous les sens du terme, me paraît convenir à la fois à l’homme et aux animaux, aux autres animaux. Alors, voici quelques brèves remarques pour précéder les questions que va me poser Olivier Duhamel.

[1] Juriste, il a fait carrière au Conseil d’État de sa sortie de l’ENA, en 1966, à 1998. De 1998 à 2011, il a été juge puis Président de la Cour européenne des droits de l’homme. Il a été aussi Directeur du cabinet du ministre de l’Éducation nationale, Alain Savary (1981-84) et président de la CADA (1994-98). Il a été professeur associé de droit public (1989-1998). Il a écrit plusieurs livres et de nombreux articles, notamment sur les libertés publiques et les droits de l’homme. Il préside la Fondation René Cassin.

[2] Une panne de courant a privé la salle de lumière pendant une dizaine de minutes durant lesquelles Louis Schweitzer a lu, à la lumière de son téléphone, le message de Hugues Renson.

Quels droits pour l’animal ?

Jean-Paul Costa

Les droits de l’animal ne sont pas absolument absents du droit positif : nous savons que la protection des animaux ou au moins de certains animaux est assurée juridiquement, mais elle l’est de façon éparse et disparate, par le code pénal, par le code civil, par des dispositions législatives et réglementaires plus techniques dans le code rural et de la pêche maritime ou dans le code de l’environnement. Et ce qui manque, et on le verra dans quelques instants avec la Déclaration, c’est une approche globale et des fondements communs.

Ces droits pour l’animal, ce sont à la fois des droits négatifs et des droits positifs. Les droits négatifs ce sont les prohibitions. Il faut bien entendu, comme d’ailleurs pour les droits de l’Homme, interdire certains comportements qui violent gravement les droits. Le droit à la vie, la torture, l’esclavage et la cruauté pour les êtres humains, mais mutatis mutandis un peu la même chose pour les animaux. Bien sûr, le droit à la vie des animaux n’est pas absolu. Il n’y a pas abolition de la peine de mort pour les animaux, mais il est de plus en plus évident qu’il faut consentir ou tolérer la mort de l’animal ou sa mise à mort en entourant de garantie ces actes. Il y a la notion de nécessité, et puis il y à l’idée qu’on retrouvera dans la Déclaration – j’en parlerai dans quelques minutes – de faire en sorte que la mort soit instantanée et indolore, et épargne à l’animal au maximum les souffrances et les angoisses. Il y a donc des différences : on ne peut pas transposer à l’identique les droits les plus fondamentaux de l’Homme à l’animal. Je disais qu’il y a d’ailleurs des conflits possibles, tant que la planète ne sera pas entièrement végétarienne, il y aura une consommation de viande, d’aliments carnés et il y aura donc des mises à mort des animaux. Mais je n’insiste pas là-dessus et peut-être que tout à l’heure nous aurons l’occasion dans mon échange avec Olivier Duhamel et ma tentative de réponse à ses questions l’occasion de préciser un peu tout ça.

Il faut donc, je crois, une approche globale mais il faut aussi des fondements communs, je veux dire qui soient communs à la fois à tous les êtres vivants, à tous ceux qui participent à la biosphère, mais aussi des fondements communs pour une protection juridique plus efficace des animaux. Depuis quelques dizaines d’années, on commence à parler du respect dû à l’animal. La notion de respect est évidemment très voisine du respect envers les êtres humains, mais là c’est l’aspect du respect de l’être humain envers les animaux. Se développe aussi beaucoup plus, avec d’ailleurs parfois des pièges sémantiques quand on passe de l’anglais au français, la notion de sensibilité. Et puis il y a aussi, j’y ai fait allusion, la notion de souffrance : éviter toute souffrance inutile dans la mesure du possible à l’animal.

J’ai été frappé de voir qu’aux États-Unis, notamment, qui sont souvent un peu en avance dans le domaine de la pensée, on commence à parler de dignité de l’animal. La dignité de l’être humain, nous savons depuis des décennies que c’est très important, et que c’est sous-jacent à beaucoup de droits fondamentaux de l’Homme, mais en assistant il y a quelques années à un colloque à Oxford extrêmement intéressant sur la dignité humaine, j’ai été surpris d’entendre un professeur de l’université du Michigan dire « la dignité de l’être humain, bien entendu, il ne faut pas l’oublier, il ne faut pas l’étouffer. Mais pourquoi ne pas parler de la dignité de l’animal comme fondement en quelque sorte éthique de garanties juridiques ? ». Je rappelle que certains pays voisins de la France – je pense à l’Allemagne, je pense à la Suisse, au Portugal – ont introduit dans leur Constitution la notion de la sensibilité de l’animal et de la nécessité de lui éviter des souffrances. Bien entendu, ce sont des notions – sensibilité, souffrance, respect – qui ne seront pas complètes. Certains disent qu’il n’est pas suffisant d’éviter aux animaux des souffrances, mais qu’il faut essayer de s’assurer de leur bien-être. C’est évidemment un peu utopique – on le verra peut-être au cours du débat avec la salle – mais c’est encore une notion qui mérite d’être développée.

Pourquoi une déclaration ?

Jean-Paul Costa

Alors maintenant pourquoi une Déclaration des droits de l’animal ?

Une déclaration – Louis Schweitzer a naturellement fait le rapprochement avec la Déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948 –, une déclaration a une valeur symbolique, une valeur solennelle, une valeur politique et morale et parfois une valeur universelle. C’est le cas bien entendu de la Déclaration de 1948. Mais comme l’a rappelé Louis Schweitzer, et je ne vais pas m’appesantir sur ce point, la Déclaration universelle des droits de l’animal, dite de l’Unesco, n’est pas véritablement universelle, ou elle a peut-être vocation à devenir universelle, et elle n’est même pas véritablement une déclaration de l’Unesco. Le texte remis à jour par la LFDA en 2018, me paraît préférable d’une certaine façon. Bien entendu, il a une portée moins philosophique, et moins symbolique, mais il est concis, il s’en tient à l’essentiel : préservation du milieu naturel pour l’Homme et pour l’animal, respect de la sensibilité des animaux, responsabilité pour les animaux sous la dépendance d’êtres humains, responsabilité à ceux qui en ont la garde, prohibition de la cruauté, des souffrances et de l’angoisse, exigences d’une justification de la mise à mort, préservation du bien-être d’un animal sensible en cas de manipulation ou de sélection génétique, obligation positive pour les États, et notamment obligation positive d’introduire dans la formation et l’enseignement la prise en conscience des droits de l’animal. Et enfin, un article final, l’article 8, qui dit que les gouvernements doivent mettre en œuvre la Déclaration par les traités internationaux, les lois et les règlements. Il manque peut-être quand même certains éléments : un préambule assez bref, plus bref que celui de la déclaration de 1978, car il y a dans cette déclaration de 1978 des affirmations fortes qui mériteraient peut-être d’être reprises : « Le respect des animaux par l’Homme est inséparable du respect des hommes entre eux » ; ou encore dans l’article 9 de la déclaration dite de l’Unesco, le passage sur la personnalité juridique : « la personne juridique de l’animal et ses droits doivent être reconnus par la loi ».

Quels effets d’une déclaration ?

Jean-Paul Costa

Troisième et dernier point : quels effets aurait cette déclaration ou une déclaration ? Bien sûr, une Déclaration des droits de l’animal n’est pas directement normative. Mais là encore, on peut reprendre l’exemple historique de la déclaration de 1948 – la Déclaration universelle des droits de l’Homme (DUDH) – ; elle a inspiré comme vous le savez les deux pactes de l’ONU sur les droits civils et politiques et sur les droits économiques, sociaux et culturels, qui sont garantis par des mécanismes quasi-juridictionnels, non contraignants, mais tout de même politiquement forts ; mais aussi, la DUDH, il ne faut jamais l’oublier, a inspiré étroitement les conventions internationales et régionales : la Convention européenne des droits de l’Homme, bien entendu, mais aussi la Convention interaméricaine et la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples. Or ces mécanismes, eux, ne sont pas quasi-juridictionnels, mais véritablement juridictionnels, et comme l’a rappelé Louis Schweitzer, la Cour européenne des droits de l’Homme a considérablement influencé depuis 60 ans le droit en Europe, et le droit en France. Et puis une déclaration a un possible effet d’entraînement, mais aussi d’encadrement. Cela pourrait tout à fait déboucher sur des textes législatifs ou réglementaires. Il y en a déjà dans les codes que j’ai cités. Ainsi de la loi de 2015, qui a introduit l’article 515-14 du code civil, c’est un bon exemple, même si cet article est perfectible et d’une certaine façon un peu contradictoire puisqu’il affirme que l’animal n’est pas un bien, ce qui est un grand progrès, mais en même temps on dit que sous réserve des lois qui le protègent, son régime est celui des biens. Il y a donc quelque chose certainement pour le législateur à améliorer à l’avenir.

Pour finir et pour ne pas être trop long, je dirais que je me pose quand même des questions sur les problèmes un peu difficiles : la sensibilité, par exemple : est-ce que la sensibilité est quelque chose que partagent tous les animaux ? Est-ce qu’il faut la limiter à certains animaux : aux vertébrés, à ceux qui ont un système nerveux central ? Est-ce que lorsqu’on dit dans la Déclaration à l’article 8 que tout animal appartenant à une espèce dont la sensibilité est reconnue par la science a le droit au respect de sa sensibilité, est ce que cette notion est évidente ou unanime ? Est-ce qu’il y a une unanimité de la science sur la frontière de la conscience ou de la sensibilité pour les animaux ? De la souffrance peut-être, il vous est sans doute arrivé comme à moi, en été, d’être piqué par une guêpe et de s’empresser d’écraser une autre guêpe qui s’apprête à faire pareil. Mais est-ce que la guêpe est sensible ? Elle souffre certainement, et d’ailleurs il y a des jeux cruels qui consistent à couper les ailes ou les pattes des mouches, des guêpes, etc. Alors quelles sont les frontières ? Je n’en sais pas plus mais je pense que ça mérite peut-être débat.

En tout cas, beaucoup de textes ont tendance à parler des animaux comme êtres sensibles sans spécifier de quels animaux il s’agit. C’est le cas par exemple de l’article 515-14 du code civil que je viens de mentionner, et il y a la même généralisation dans l’article 13 du traité de Lisbonne, qui, comme vous savez, est entré en vigueur pour l’Union européenne à la fin de 2009. L’article 13 dit « l’Union et les États membres tiennent compte des exigences du bien-être des animaux, êtres sensibles ». « Les animaux, êtres sensibles », est-ce que ça veut dire que tous les animaux sont des êtres sensibles ? Il y a d’autres difficultés, et il y a notamment, me semble-t-il, des difficultés objectives qui tiennent au fait que malheureusement les animaux disparaissent. Il y a un déclin évident de la biodiversité qui peut être aussi grave d’une certaine façon que les changements climatiques, et qui peuvent avoir des conséquences à long terme insoupçonnables. Mais au total, personnellement, puisque Louis Schweitzer et la Fondation m’ont invité, c’est je pense pour exprimer mes convictions. Personnellement, je suis en faveur d’une Déclaration. J’en suis partisan. Elle n’est sûrement pas une fin en soi, mais elle pourrait être le levier pour le législateur en France et dans d’autres pays.

Louis Schweitzer

Merci, et maintenant la parole est à Olivier Duhamel pour interpeller Jean-Paul Costa avec un certain nombre de questions.

Olivier Duhamel[1]

Merci Louis Schweitzer, merci cher ami, merci à tous. Oui, ce n’est pas un rôle très facile, parce que mon incompétence est considérable, et donc je vais poser des questions de novice, d’incompétent devenu un tout petit peu amateur en préparant cette matinée. J’ai dix questions. Pour la vivacité des choses, d’autant que certaines questions sont d’une bonne foi limitée, je vous propose d’y répondre une par une.

J’ai d’abord deux questions qui sont peut-être probablement des mauvais arguments contre les droits de l’animal. La première, c’est celui de la priorité humaine. J’ai beaucoup de doutes sur cette question : ceux qui disent qu’il y a tant à faire pour les êtres humains qu’on s’occupera des animaux plus tard. C’était par exemple l’argument qu’utilisait feu mon ami Jean Lacouture, quand il défendait la corrida. D’ailleurs je vous signale au passage pour aggraver définitivement mon cas, que je fais partie des amateurs de corrida. C’est vous dire à quel point j’ai peu ma place ici. Cet argument, je pense qu’on pourrait l’écarter en disant que l’argument « pas de priorité », on peut l’appliquer à tout en disant « si la priorité absolue c’est le chômage pourquoi avoir une politique du logement ? Pourquoi avoir une politique de la santé publique ? » Donc en soi, ce n’est pas un argument recevable. Mais quand même, est-ce que quand des dizaines de milliers de jeunes sont en train de se soulever au Chili contre l’incroyable aggravation des inégalités et la corruption, est-ce que quand, au Liban, par-delà toutes les différences confessionnelles on se soulève contre la corruption du système, il n’y a pas un moment où on se dit : « mais si je consacre beaucoup d’énergie et de temps aux droits des animaux, c’est autant que je ne pourrais pas consacrer à d’autres souffrances, douleurs sociales, individuelles, collectives, nationales, guerrières, etc. qui quand même existent ». Donc est-ce que cet argument-là n’a pas une petite part de vérité ?

Jean-Paul Costa

Merci, oui il a certainement une part de vérité, mais je répondrai de deux façons.

D’abord, je vous remercie de ce rôle d’avocat du diable que j’espérais de vous. Si on dit qu’il faut d’abord améliorer la situation des hommes et notamment des hommes et des femmes, et notamment des plus vulnérables, et pour l’animal en verra plus tard, on risque de remettre aux calendes grecques ou à la saint Glinglin la protection des droits de l’animal. Et pour ma deuxième réponse, je reviens sur le mot convergence que j’ai utilisé à dessein, et ça me fait penser à cette phrase de l’homme politique italien Aldo Moro, qui est disparu dans des circonstances tragiques. Il avait inventé la notion de convergences parallèles, ce qui est géométriquement un peu difficile à admettre mais politiquement beaucoup plus facile à comprendre. Je crois qu’il faut continuer inlassablement à se battre pour les droits de l’Homme, qui sont d’ailleurs plus en danger à mon avis qu’ils ne l’étaient il y a 10 ou 20 ans, mais rien n’interdit en parallèle de s’efforcer d’améliorer la condition, le statut et les droits de l’animal. Et je crois, si j’ai bien entendu, qu’il y a des possibilités de conflits, mais il ne faudrait surtout pas que le droit de l’animal soit un prétexte pour abandonner la défense des droits de l’Homme. Je me souviens que quand j’étais beaucoup plus jeune, quand les soviétiques ont lancé une petite chienne dans l’espace – Laika – qui manifestement était vouée à mourir dans l’espace, j’ai entendu des vieilles dames qui promenaient leur chien : « c’est scandaleux, on aurait dû envoyer dans l’espace un condamné à mort. » Voilà, je crois que tout est dit. Il ne faut pas faire un anthropocentrisme. Il faut absolument laisser l’Homme au cœur de toute la problématique des droits, mais ça n’interdit pas d’avancer sur deux fronts.

Olivier Duhamel

Alors le diable va se faire un instant ange. Je vais sauter la deuxième question, qui était… je voulais souligner ma convergence sur un point, c’est que je n’accepte pas l’argument de l’incapacité animale au sens juridique sous prétexte qu’on ne peut pas imposer aux animaux des devoirs, et que normalement si on reconnaît des droits on doit imposer des devoirs. Mais en vérité, quiconque fait un peu de droit, même un publiciste faisant un minimum de droit civil, sait qu’on impose, qu’on reconnaît des droits à des personnes sans devoirs, par exemple des handicapés mentaux graves, par exemple les personnes sous tutelle, etc. Donc l’argument ne vaut pas, donc je l’écarte.

Maintenant je redeviens diable, et je vais vous poser des questions qui sont en vérité – mais ne me faites pas cette réponse à chaque fois parce que ce serait trop facile – plus inspirées, je le reconnais, par la Déclaration initiale, que par la Déclaration incroyablement plus modérée de 2018.  Mais vous savez, il y a la théorie du glissement. Pour me faire comprendre, là aussi il faut que je dise quelque chose. Pendant très longtemps j’ai récusé l’argument qui consistait à dire vous ne pouvez pas accepter tel droit, telle loi, parce qu’après il y aura, et après il y aura, et après il y aura… Vous ne pouvez pas accepter le PACS, parce que ça donnera le mariage pour tous ; vous ne pouvez pas accepter le mariage pour tous parce que ça donnera la PMA ; vous ne pouvez pas accepter la PMA parce que ça donnera la GPA. Je me disais « mais bon sang, on se prononce sur une loi pour ce qu’elle est, pas pour les lois ultérieures qu’elle risquerait d’entraîner ! ». Mais la bonne foi qui m’habite parfois me force à reconnaître que tout n’est pas faux dans cette crainte de la boîte de Pandore. Parce que, finalement quand on regarde les adversaires absolus aujourd’hui de la PMA – dont je précise que je ne suis pas, donc je ne suis pas diable sur tous les fronts, ou alors ça dépend des points de vue, ou peut-être que pour certains la crise aggrave mon statut de diable –, je reconnais à leurs adversaires que ça n’est pas faux qu’on est passé du PACS au mariage pour tous, du mariage pour tous à la PMA, et que donc quand ils disent ça ouvre la porte à la GPA, Il faut prendre cet argument en considération. Ce qui veut dire donc que, ne m’objectez pas tout de suite : « oui mais ça ce n’est pas dans notre Déclaration », parce que comme c’était dans les déclarations ultérieures, et que c’est l’arrière-plan de la philosophie animalière, il y a quand même ce risque. D’accord sur cette précaution et sur cette demande ?

Jean-Paul Costa

Oui, je ne ferai pas toujours la même réponse, bien entendu, mais c’est une objection que je me suis faite à moi-même, notamment en préparant la matinée d’aujourd’hui, mais on part de si loin, et de si bas, que je pense qu’on peut quand même faire des pas en avant.

Olivier Duhamel

Alors voilà la première objection dans cette deuxième partie. Et donc la troisième question : la consécration d’un droit de toute espèce de ne pas disparaître n’est-elle pas en contradiction avec toute l’histoire de l’humanité, y compris de ses progrès, sans quoi nous aurions dû rester des australopithèques, voire des primates anthropoïdes, pour préserver ces espèces-là ?

Jean-Paul Costa

 Alors évidemment, je suis un peu embarrassé par votre question parce que, même si je ne suis pas spécialiste du droit de l’animal, je suis quand même juriste généraliste. Et là, ce n’est pas du tout mon domaine : c’est la théorie de l’évolution. Ce que j’ai lu, et je crois volontiers que c’est vrai, c’est que la disparition des espèces dans les 10 ou 100 dernières années est sans commune mesure et sans aucune proportion avec ce qui s’est passé depuis l’aube de l’humanité. Donc je crois qu’actuellement, de même qu’il y a péril en la demeure en ce qui concerne le climat et les atteintes aux milieux naturels, je crois qu’il y a aussi péril en la demeure pour des animaux, et pas seulement pour les animaux qui sont protégés par des conventions internationales parce qu’ils sont menacés d’extinction, mais aussi pour beaucoup d’animaux.

Olivier Duhamel

Est ce qu’on peut avoir un compromis qui serait que le souci de la préservation des espèces et de la biosphère est tout à fait fondamental, mais toute espèce quelle qu’elle soit n’a pas un droit absolu à ne pas disparaître ?

Jean-Paul Costa

Sûrement pas un droit absolu à ne pas disparaître, mais là on tombe dans des notions d’équilibre d’écosystème, etc., qui me dépassent techniquement, et j’avoue que je fais une réponse un peu de quelqu’un qui dégage en touche.

Olivier Duhamel

Très bien. Question suivante. Vous l’avez abordé, avec quand même prudence, mais je voudrais qu’on y revienne un instant. Dans votre conclusion, avant cette Déclaration, les déclarations antérieures refusaient de distinguer radicalement entre animaux sensibles et animaux ne ressentant pas la douleur. Maintenant, vous introduisez cette distinction. Les textes européens ne sont pas clairs sur le sujet. Est-ce qu’il n’est pas indispensable de bien fixer cette distinction, quelles que soient après les difficultés à dire qu’un animal est sensible ou pas, mais bien dire que les droits ne peuvent pas être les mêmes pour un animal sensible ou non sensible ? À la fois pour des raisons presque politiques, parce que ça, je pense que là la compréhension par le grand public peut être très forte sur le progrès sur la reconnaissance de droits des animaux sensibles, elle l’est quand même nettement moins, s’agissant d’animaux qui ne le sont pas. Donc, est-ce vous qui avez fait ce pas en arrière – pas vous personnellement, c’est presque à Louis qu’il faudrait poser la question –, par prudence, habileté, souci d’avancer, mais au fond des choses vous pensez que ce n’est pas une distinction fondamentale ? Ou est-ce que vous pensez que c’est une distinction fondamentale à laquelle vous tiendrez ?

Jean-Paul Costa

Oui, sous la réserve de la réponse de Louis Schweitzer, moi je suis là dans votre sens, je pense qu’il y a une frontière à établir, des critères à établir. Je ne sais pas très bien comment se fait dans ce domaine le dialogue entre les hommes de science et les juristes, mais il est absolument indispensable, je crois qu’on ne peut pas l’éviter. C’est l’ambiguïté du singulier et du pluriel : on parle tantôt des droits de l’animal, tantôt des droits des animaux : est-ce que l’animal est quelque chose d’unique ? Est-ce qu’il y a tellement de catégories différentes dans les animaux qu’il faudrait varier les réponses ? Je suis plutôt pour la seconde approche.

Louis Schweitzer

Effectivement, il y a des animaux dont on sait qu’ils sont doués de sensibilité, c’est à dire qu’ils sont capables de ressentir de la souffrance et d’accéder au bien-être. Il y a d’autres animaux dont on a de très fortes raisons de penser qu’ils ne sont pas capables de souffrance parce qu’ils n’ont pas de système nerveux. Mais la frontière technique entre ces deux catégories d’animaux évolue avec les progrès de la science. Je prends un exemple concret. Sur les vertébrés, il n’y a pas de débat. Sur les céphalopodes, il est certain aujourd’hui qu’ils sont sensibles et capables de ressentir la souffrance. Il y a un débat sur les crustacés décapodes, donc il y a une frontière mais cette frontière évolue avec le progrès de la science.

Il est évident que les droits ne sont pas les mêmes à mes yeux pour des animaux sensibles, qui ressentent la douleur, et des animaux qui ne le sont pas. Il y a quelques éléments qui sont communs. On peut être cruel vis-à-vis d’un animal insensible, et Jean-Paul Costa y a fait allusion en parlant de quelqu’un – et c’est une histoire connue – qui s’amuse à arracher les pattes d’une mouche. La mouche n’est pas sensible autant qu’on sache, mais l’acte de cruauté vis-à-vis d’un être vivant est condamnable parce que c’est un acte inhumain d’une certaine façon. Donc il y a une frontière essentielle, mais elle n’est pas figée et il y a des choses qui doivent être interdites qu’il y ait ou non sensibilité de l’animal.

Jean-Paul Costa

Oui. Et j’ajoute une chose, il me semble aussi que la violence ou la cruauté envers les animaux est parfois le révélateur conscient ou inconscient de la violence ou de la cruauté envers les autres êtres humains.

Olivier Duhamel

Bon alors je laisse tomber dans ma question suivante le problème de : « jusqu’où y a-t-il reconnaissance de droits ? » parce que, pour certains défenseurs des droits de l’animal, et par exemple dans le petit livre que j’ai édité dans la collection Dalloz Les Droits de l’animal par Jean-Claude Nouët et Jean-Marie Coulon, ils défendent le droit des arbres… mais laissons tomber pour avancer. En revanche, si on voit une contradiction entre ce qui serait la reconnaissance d’un droit de l’animal à ne pas mourir, et ce qui serait la reconnaissance d’un droit de l’être humain à ne pas souffrir, même superficiellement, comment vous arbitrez entre le droit du moustique de vivre – puisque vous avez évoqué le moustique – et le droit de l’Homme de ne pas se faire sucer son sang ?

Jean-Paul Costa

Je pense, je disais, en introduction, toujours en reprenant le mot de convergence, que les convergences n’excluent pas les conflits possibles.

Olivier Duhamel

Là il y a conflit. Le moustique est là, il va me sucer mon sang, il y a conflit.

Jean-Paul Costa

Oui, il y a conflit, mais est-ce que le conflit est aussi réel que ce qu’on pourrait l’imaginer ? Par exemple, dans tous les codes pénaux depuis toujours, il y a le principe de la légitime défense. Pourquoi est-ce que les hommes, les êtres humains, pourraient être exonérés de leur faute de leur culpabilité en cas de légitime défense mais… ?

Olivier Duhamel

Mais la légitime défense, ce n’est pas à vous que j’apprendrai qu’elle doit être proportionnée quand même. Donc si on prend un petit peu de sang est-ce que cela mérite de mourir ? J’admirais la qualité de votre réponse de donner la légitime défense.

Jean-Paul Costa

Oui mais elle est aussi subjective. Parfois, c’est au juge pénal d’arbitrer, de dire si la légitime défense a été excessive ou non.

Olivier Duhamel

Et là vous imaginez cela ou vous considérez que cela deviendrait un petit peu délirant dans l’application et la mise en œuvre des droits qu’on aille jusqu’à un procès fait au nom du moustique, que parle celui désigné pour représenter les moustiques, et où le tribunal devrait arbitrer sur la proportionnalité de la légitime défense de celui qui a écrasé un moustique ? Ou là on rentre dans un schéma de l’application un peu délirante des droits des animaux ?

Jean-Paul Costa

Je pense qu’il faut quand même garder un peu la raison et le bon sens, c’est-à-dire qu’on ne peut pas faire des procès à tout le monde pour n’importe quoi, et notamment pour quelqu’un d’avoir tué un moustique.

Louis Schweitzer

Peut-être un petit mot là aussi. Dans cette Déclaration, on dit : « Tout acte impliquant sans justification la mise à mort d’un animal est prohibé. » Je pense que dans le cas du moustique la justification existe. Cela dit, il peut y avoir des éléments de philosophie personnelle qui vont un peu au-delà de ça, qui ne sont pas dans la Déclaration. J’avais un oncle qui s’appelait Albert Schweitzer, membre d’ailleurs de l’Institut, et qui disait : « on a le droit de tuer un moustique en Afrique, parce qu’il est porteur de maladie ; en revanche, en Europe, il faut l’éloigner et non pas chercher à le tuer, parce que justement il n’est pas porteur de maladies. » Et donc au fond, c’est peut-être implicitement l’idée de proportionnalité évoquée par Jean-Paul. Cela dit, j’avoue à ma courte honte, qu’il m’est arrivé de tuer des moustiques.

Olivier Duhamel

N’empêche que je note que le président du tribunal Louis Schweitzer a arbitré en faveur du représentant du moustique Jean-Paul Costa pour considérer que, en l’ayant tué, j’ai fait une réponse qui dépassait les bornes de la légitime défense.

Question suivante, un peu plus large : est-ce que poussé trop loin, l’animalisme ne serait pas un antihumanisme ? Concrètement, l’interdiction des expérimentations sur les animaux à des fins médicales n’aboutirait-elle pas à obérer sérieusement la recherche, et donc la découverte de médicaments susceptibles de guérir des cancers, des dégénérescences séniles et d’autres maladies graves ou mortelles ? Est-ce que l’animalisme, poussé au-delà d’un certain point, n’est pas un antihumanisme ?

Jean-Paul Costa

C’est un peu la même chose que votre première question sur la priorité humaine. Moi, je suis très tenté de donner effectivement la priorité à l’éradication de certaines maladies ou au traitement efficace de malades. Là encore, je pense qu’il y aura une question de proportionnalité à trancher. In concreto, si des textes comme celui-ci entrent en vigueur, c’est-à-dire qu’on parle toujours de moyens alternatifs, alors c’est vrai que pendant des siècles on disséquait non seulement des cadavres mais aussi des êtres humains. Puis un jour, on a heureusement arrêté, sauf atrocités de certains médecins nazis. Mais peut-être qu’on trouvera des moyens alternatifs aussi de faire des recherches dans l’intérêt de la santé, de la santé humaine et de la santé publique, qui permettront d’éviter certaines atteintes aux droits de l’animal. Mais en tout cas, ce qui est possible, et on ne le voit pas seulement dans ce domaine-là mais aussi dans le domaine de l’abattage des animaux, c’est qu’il est possible d’imposer des règles pour éviter au maximum les souffrances, et même l’angoisse. C’est d’ailleurs déjà le cas… Il y a des directives européennes et des recommandations du Conseil de l’Europe qui vont déjà dans ce sens.

Olivier Duhamel

Bon alors du coup, je vous épargne, parce que le temps passe, et qu’il ne faut pas trop déborder de l’horaire accordé. Je passe, en considérant que vous avez globalement répondu à mes deux questions suivantes qui n’étaient pas d’ailleurs strictement juridiques mais plutôt un peu plus générales sur le risque de mise en cause des droits multimillénaires des êtres humains, le droit à la chasse, le droit à la pêche, etc., et d’autre part, une logique des droits des animaux qui nous conduirait à un ascétisme imposant de vivre comme des moines tibétains. Mais je passe sur tout ça considérant que vous avez à peu près répondu. Je voudrais dire avant ma dernière question, qui est la plus importante, quelque chose qui certes ne figure pas dans votre Déclaration, mais qui figurait dans la Déclaration initiale, et qui m’a beaucoup choqué, qui était l’extension considérable donnée à la notion de génocide aux articles 8 et 9, qui représentaient pour moi une banalisation dangereuse, pour ne pas dire scandaleuse, de ce qu’est un génocide, de ce qu’un génocide a d’exceptionnellement inacceptable, à savoir la destruction délibérée d’un groupe national, ethnique, racial ou religieux, l’extermination systématique des êtres humains pour le seul fait qu’ils sont nés. Et si l’on étend à n’importe quoi cette notion-là, elle perd considérablement de sa force et de sa justification dans la mise à l’écart de principes fondamentaux de notre droit, comme la non rétroactivité, ou comme la prescription. Et là, vous y avez renoncé mais pouvez-vous alors – je ne veux pas non plus avoir l’air de trop exigeant –, mais êtes-vous certain, j’allais presque dire, pouvez-vous prendre l’engagement qu’on ne retrouvera pas cet usage vraiment déplacé, abusif, scandaleux et dangereux de la notion de génocide ?

Jean-Paul Costa

Alors, d’abord je plaide non coupable parce que je ne suis pas lié à la Déclaration de 1978 en aucune manière. Et deuxièmement, je voudrais dire que je suis entièrement d’accord avec vous, quand on voit la grande difficulté qu’il faut pour faire accepter des génocides. Par exemple, personnellement, je suis convaincu que ce qui s’est passé à la fin de la Première Guerre mondiale en Turquie est un génocide contre les Arméniens, et malheureusement, ça n’a pas été admis pour l’instant ; dans le domaine du négationnisme en tout cas, on n’a jamais en France admis qu’il s’agissait d’un véritable génocide. Les trois seuls génocides admis en droit positif sont la Shoah, le Rwanda et le massacre de Srebrenica pendant la guerre de l’ex-Yougoslavie. Et quand vous dites dangereux et sapant la justification même du génocide, je suis d’accord.

Olivier Duhamel

Enfin du traitement de l’imprescriptibilité et de la rétroactivité.

Jean-Paul Costa

Il y a des mots qui sont tellement forts que si on les met à toutes les sauces, on leur fait perdre de leur force et on les dilue. 

Olivier Duhamel

Et en plus ça se répand par les temps qui courent.

Alors ma dernière question est une double question, ultime objection, moins radicale mais peut-être plus profonde. En quoi est-ce qu’une Déclaration des droits des animaux est nécessaire ? Est-ce qu’il ne suffirait pas de développer une éthique du respect de l’animal et se défaire de cette espèce de frénésie normative qui nous empare depuis maintenant longtemps ? Et sinon, si vous répondiez que non – vous avez déjà montré en quoi partiellement non dans votre belle présentation – est-ce qu’une Déclaration des devoirs des êtres humains envers les animaux ne serait-elle pas suffisante ? Un devoir de respect, devoir où on retrouverait la liste notamment de vos prohibitions. Je me dis, et à cause de mes objections initiales sur les extensions à venir des droits des arbres, des droits des pierres, des droits des animaux, non sensibles, etc., et à cause de ma méfiance à l’égard de la normativité, qui veut sans arrêt rajouter des règles et des règles et des règles, et à cause des scénarios un peu fantaisistes que nous avons évoqués, si je ramasse tout ça, est-ce qu’on ne peut pas avoir le même résultat avec une Déclaration des devoirs des êtres humains envers les animaux ? Ce sera ma dernière question, ce n’est pas la plus diabolique, mais ce n’est pas la moins pertinente. 

Jean-Paul Costa

Mais toutes étaient pertinentes. Alors je vous réponds en deux points.

D’abord, moi je crois que l’éthique c’est bien, mais qu’un texte écrit c’est important. J’ai parlé d’effet d’entraînement, c’est un effet d’entraînement aussi sur les consciences. Ça peut être un outil pédagogique, on peut commenter cette Déclaration dans les écoles, dans les collèges, dans les lycées et faire passer un message éthique plus facilement que par de simples recommandations. « Déclaration des devoirs de l’être humain envers les animaux », je ne suis pas contre, je pense que ça ne ferait pas double emploi. Je préférerais qu’on maintienne une Déclaration des droits de l’animal à cause de la portée de sa charge symbolique, et qu’elle soit complétée ou fusionnée avec une Déclaration des devoirs de l’être humain.

En même temps, si vous voulez, il y a quelque chose qui m’a aussi frappé, mais je n’ai pas eu le temps de le dire, je ne pouvais pas tout dire, c’est qu’historiquement la défense des droits de l’Homme s’est faite par rapport à l’État. C’était l’État qui était toujours considéré comme pouvant être responsable d’une éventuelle violation des droits de l’Homme. Si bien que la Cour européenne des droits de l’Homme, par exemple, a développé assez vite dans son histoire la notion d’obligation positive de l’État et d’effet horizontal de la Convention. En d’autres termes, si les violations des droits de l’Homme émanent non pas de l’État ou de ses agents, mais de personnes privées, l’État est quand même responsable pour n’avoir pas pris des mesures soit pour prévenir ce comportement, soit pour le punir et le dissuader pour l’avenir. Dans le domaine des animaux, les obligations positives de l’État sont implicitement contenues dans la Déclaration des droits de l’animal, mais les avantages de votre suggestion sur une Déclaration des devoirs de l’être humain envers les animaux, c’est qu’elle rappellerait à tous, de façon, là aussi à la fois symbolique et pédagogique, j’allais dire, qu’il ne faut pas faire de mal à une mouche. Il faut en tout cas avoir conscience que les animaux, ou certains animaux, sont doués de sensibilité, peuvent souffrir, peuvent avoir du plaisir ou du bonheur, et que l’être humain qui coexiste avec eux sur cette planète en péril devrait le savoir, et en tirer les conséquences.


[1] Professeur émérite de droit constitutionnel et de science politique, il est président de Sciences Po. Il est l’auteur d’une vingtaine d’ouvrages, seul ou à plusieurs, et directeur de la revue Pouvoirs au Seuil, de la collection “À savoir” chez Dalloz, de la collection “Ça fait débat” aux éditions First. Il est chroniqueur sur Europe1 et sur LCI.

 

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