Table ronde: Personnalité juridique de l’animal – Laurent Neyret (2019)

Par Laurent Neyret, professeur à l’université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines et spécialiste du droit de l’environnement.
Ses travaux ont porté en particulier sur la reconnaissance du préjudice écologique. Il propose depuis une vingtaine d’années la création d’un crime d’écocide pour les atteintes graves à l’environnement.Table ronde sur la Personnalité juridique de l’animal dans le cadre du colloque « Droits et personnalité juridique de l’animal » organisé par la LFDA le 22 octobre 2019 à l’Institut de France. 

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Laurent Neyret

Merci cher Louis, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, chers amis,

Avant toute chose, on ne peut que se féliciter de tout débat qui vise à renforcer la prise en compte de l’intérêt de l’animal, là où la situation actuelle n’est pas entièrement satisfaisante. La question posée aujourd’hui est celle d’un passage de cap qui viserait à aller au-delà de Déclaration des droits de l’animal pour consacrer le statut juridique de personne de l’animal.

Si cette question prend de l’ampleur aujourd’hui, c’est en raison d’un double changement.

D’une part, notre sensibilité, au sens de l’émotion que l’on ressent à l’égard de l’animal au singulier, a augmenté : qu’une vidéo soit diffusée sur les réseaux sociaux montrant des actes des violences contre un chat et c’est toute la société qui en appelle à une sanction exemplaire de l’auteur des sévices ! Dans un autre registre, les spectacles de dauphins ou d’orques deviennent ne moins en moins supportables pour le public. Là encore, la force des images a entraîné un changement de perception sociale précurseur d’un changement du droit. Les consommateurs, les citoyens ne veulent pas être des complices silencieux de mauvais traitements commis dans certains abattoirs ou, avant cela, des conditions d’élevage des poules pondeuses en cage. Cet accroissement de la sensibilité générale à l’égard de l’animal a eu une traduction politique récente lors des dernières élections législatives portugaises où le PAN – le parti des Personnes, des animaux et de la Nature – a fait un très bon score. Présent à Lisbonne lors de ces élections, j’ai pu constater qu’un tel résultat était le reflet d’un sentiment plus général et très ancré dans la société en faveur d’une meilleure protection de l’animal. Au-delà de ces exemples, j’aimerais aujourd’hui introduire dans le débat l’idée que les questions relatives à l’animal et les solutions à leur apporter sont complexes. Le propos est bien plus subtil qu’il n’y paraît. Cela fait penser à la récente une d’un grand journal montrant le conflit récurrent entre les défenseurs de l’ours et les éleveurs de moutons victimes d’attaques du plantigrade. L’article faisait état du témoignage d’un berger ayant perdu plus de 150 de ses bêtes qui, poursuivies par un ours, s’étaient jetées dans un ravin. La vision macabre de ses bêtes, certaines agonisantes, avait plongé l’éleveur dans une profonde dépression. Où l’on voit ici que la sensibilité du berger à l’égard de ses animaux va bien au-delà d’un simple rapport de propriété. Or ce rapport est troublé, non pas par un être humain, mais par un autre animal auquel on attribue un statut particulier d’animal protégé.

D’autre part, le second changement auquel on assiste est celui de l’augmentation de la vulnérabilité, non pas seulement de l’animal au singulier, mais des animaux au pluriel. Comme l’a démontré l’équivalent du GIEC de la biodiversité – l’IPBES – la sixième extinction de masse des espèces est en marche ; la dernière remontant à l’extinction des dinosaures. Les causes en sont légales : il s’agit des activités humaines que Florence Burgat qualifie de mortifères, en ce qu’elles sont orientées vers la destruction des animaux en vue de leur consommation. Elles sont également illégales étant rappelé qu’en termes de rentabilité économique, la criminalité environnementale se place au 4e rang des trafics internationaux les plus lucratifs après le trafic de drogue, le trafic des êtres humains et la contrefaçon. Récemment, on pouvait voir dans les aéroports chinois les affiches d’une campagne de sensibilisation contre le trafic d’animaux sauvages protégés. Sur ces affiches, on pouvait voir notamment l’animal le plus trafiqué au monde : le pangolin. Et en politique, là aussi, la vulnérabilité de la biodiversité animale fait l’objet d’une vive attention sociale comme le montre la vague verte des dernières élections européennes.

Face à l’accroissement de notre sensibilité vis-à-vis de l’animal et à la vulnérabilité de la biodiversité animale, comment agir ? Par le droit ? Certainement… mais pas seulement, que l’on pense à l’information et à la formation par exemple. Comment ? Avec des degrés de normativité variables. Cela ne signifie pas qu’il faille privilégier le tout « soft » ou le tout « hard », mais qu’il doit y avoir une graduation normative, une pluralité de forces des règles de droit applicables. Par exemple, on sait à quel point les informations extra-financières délivrées par les entreprises ont pris une place considérable en matière sociale et environnementale. Demain, pourquoi ne pas envisager une extension des obligations de reporting extra-financier au domaine animal ? Telle entreprise de cosmétique devrait alors déclarer comment elle prend en compte l’intérêt de l’animal dans sa chaîne de valeur.

Aujourd’hui, la question au cœur du débat est celle de la personnalité : personnalité de l’animal et personnalité de la Nature. Comme l’évoque le Pr Marguénaud, ces deux mouvements de personnification sont actuellement en cours dans le monde. Ce qui me frappe, c’est que ceux qui œuvrent à la personnification de l’animal et ceux qui militent en faveur de la personnification de la Nature ne sont pas les mêmes personnes. Par ailleurs, si une poussée dans le sens de la personnification est certaine, elle est plus forte s’agissant de la Nature – que l’on songe à la Pachamama sujet de droit en Équateur et en Bolivie, ou encore au Gange ou à l’Himalaya, personnes morales en Inde… – que pour  l’animal pris individuellement, où finalement les décisions de justice reconnaissant la qualité de personne non humaine, ici à un Orang-Outan, là à un chimpanzé, ou là encore à un ours, sont, certes emblématiques, mais assez peu nombreuses. Ce que cet appel au droit révèle, c’est avant tout la conscience de la vertu performative du langage juridique : où la personne occupe nécessairement une place supérieure aux biens.

Pour rassurer ceux qui pourraient craindre que promouvoir l’animal au rang de sujet de droit n’abaisse l’être humain, il est avancé que la personnalité animale serait une personnalité d’ordre purement technique à l’image de la personnalité morale reconnue aux entreprises. Mais cet argument est-il tenable quand on sait que le droit est certes une technique mais toujours et nécessairement aussi une éthique ? Par ailleurs, reconnaître la personnalité à l’animal reviendrait à faire entrer dans le droit l’éthique qui attribue le statut de patient moral à l’animal en lui octroyant des droits, mais pas d’agent moral en le dispensant de toute responsabilité. Pour justifier une telle évolution, il est souvent avancé qu’une situation similaire existerait déjà dans le droit pour les jeunes enfants et les personnes atteintes de troubles mentaux. Mais c’est oublier que si ces derniers échappent à toute responsabilité pénale, en revanche leur responsabilité civile peut être engagée s’ils causent des dommages à des tiers.

D’autres questions se posent encore si l’on reconnaissait la personnalité juridique à l’animal : cela devrait-il concerner tous les animaux ? Faudrait-il faire des listes avec une hiérarchisation de droits ? On aperçoit déjà dans le mouvement de personnification actuel que la personnalité est reconnue aux grands singes ou à l’ours, mais pas à la tarentule ou au moustique. Ne voit-on pas alors que le droit est moins ici le reflet d’une valeur intrinsèque de l’animal que d’un rapport social et culturel de l’homme à l’égard de tel ou tel animal ? D’ailleurs, la même observation vaut en matière de personnification de la Nature où, par exemple, la reconnaissance de la qualité de sujet de droit au fleuve Whanganui en Nouvelle Zélande, ou encore au Gange en Inde, est liée au caractère sacré pour la population de ces éléments naturels.

Pour terminer, je voudrais souligner que le débat relatif à la personnalité juridique de l’animal relève de ce que le philosophe Baptiste Morizot qualifie d’obsession statutaire. Comme s’il existait un statut magique de l’animal qui ferait qu’il serait nécessairement mieux protégé. L’idée selon laquelle on passerait d’un statut tragique de l’animal où l’animal est une chose à un statut magique où l’animal est une personne mérite d’être nuancée. À titre d’illustration, la reconnaissance de la qualité de sujet de droit à la Pachamama dans la Constitution de l’Équateur n’a pas empêché le gouvernement de cet État de délivrer des permis de déforester et d’exploiter les ressources minières. Quant à la Cour suprême du pays, elle a le plus souvent validé ces décisions, les considérant proportionnées au but poursuivi du développement économique du pays.

Quoi qu’il en soit des réflexions en faveur de la reconnaissance prochaine ou lointaine du statut de l’animal, il importe dès aujourd’hui de prendre au sérieux la responsabilité de l’homme à l’égard de l’animal, en termes de devoirs et de respect, et ce, indépendamment de son statut juridique. À cet égard, je voudrais témoigner des débats qui ont eu lieu à l’occasion de la reconnaissance du préjudice écologique dans le code civil en 2016. Alors que les parlementaires étaient très majoritairement favorables à un principe de responsabilité envers la Nature depuis que la Cour de cassation avait jugé en ce sens en 2012 dans l’affaire de l’Erika, ils ont clairement signifié qu’il ne s’agissait pas par-là de reconnaître en creux la qualité de sujet de droit à l’environnement. Soutenir l’inverse aurait certainement été une force bloquante pour le texte de loi. Aussi, pour l’enjeu qui nous intéresse d’une prise en compte optimale de l’animal dans la société, l’obsession statutaire qui donne lieu à réticences et conflits ne devrait pas éloigner les protagonistes du débat de la finalité poursuivie. Formulons donc le vœu d’un dépassement des divisions pour une alliance des forces en direction de rapports harmonieux entre l’homme et l’animal.

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