Expérimentation animale: au-delà des pieux discours

  • Dans Le Quotidien du Médecin du 6 septembre 2007,  Stéphanie Hasendahl recueille les propos du Pr Jean–Claude Nouët, président de la Fondation LFDA, sur l’expérimentation animale et les actions des extrémistes écologistes.

« Pour le Pr Jean-Claude Nouët, médecin biologiste et président de la fondation Ligue française des droits de l’animal, la défense  de la cause animale ne peut s’effectuer que dans un cadre légal. Concernant l’expérimentation sur l’animal, il regrette que les recherches sur les méthodes alternatives ne soient pas suffisamment stimulées.

Le Quotidien – On a souvent l’impression que l’extrémisme est le seul moyen médiatique de faire parler des droits de l’animal. Qu’en pensez-vous ?

Pr  Jean-Claude Nouët- Il est important de signaler que ces mouvements anglo-saxons, qui se réclament d’Animal Rights, ne sont pas du tout semblables à la défense des droits de l’animal en France. A la Ligue, nous nous plaçons uniquement sur le plan éthique, juridique et scientifique. En Grande-Bretagne, notamment, les associations activistes sont constituées d’extrémistes qui se disent parfois adeptes du végétalisme (refus même de consommer du lait ou du miel), qui participent à des actions antichasse ou à de sittings d’arbres. Cette forme d’action n’est pas du tout dans la philosophie des droits de l’animal dans le reste de l’Europe. Nous nous réclamons l’application de la loi, ce n’est pas pour la violer par des actions violentes. Notre fondation regroupe des universitaires, des juristes, des philosophes.

Malheureusement, l’association entre défense des animaux et extrémisme est en effet souvent faite. Dans une réunion qui a eu lieu à l’Assemblée nationale à la fin 2006, on a entendu dire que la Ligue des droits de l’animal était une association de l’écologie extrémiste… Quand on juge qu’une action est gênante, on fait tout pour la discréditer, voire la calomnier.

Le Quotidien – Pourquoi vous êtes vous engagé, en tant que médecin biologiste, dans la défense de la cause animale ?

Il y a deux façons de s’intéresser à l’animal. Il y a la façon écologique, lorsqu’on se préoccupe de la protection de la nature, de la préservation des espèces, et il y a l’autre voie, qui est de se soucier de l’animal à titre individuel, c’est-à-dire de se préoccuper de son bien-être, de sa souffrance.

Moi je suis arrivé à cette cause parce que j’ai une formation de biologiste. Je me suis intéressé depuis toujours à la préservation des espèces et à l’agencement de la vie et de la nature sur la planète. Quand nous avons décidé de constituer la Ligue, il y a tout juste trente ans cette année, avec Alfred Kastler( Prix Nobel de physique), Philippe Diolé (collaborateur du commandant Cousteau) et Rémy Chauvin(biologiste éthologue), notre préoccupation était d’agir en faveur de la cause animale à la fois pour faire reconnaître des droits aux animaux, combattre les exploitations abusives des animaux domestiques et sauvages, dénoncer les mauvais traitements et les actes de cruauté.

Le Quotidien- Concernant l’expérimentation sur l’animal, le public reste toujours majoritairement convaincu que l’on utilise l’animal sans vergogne.

J-C N– Il y a en effet certains activistes, notamment anglo-saxons, mais aussi français, qui diffusent l’idée- laquelle prend très bien dans le public- que l’on fait un usage inutile, voire scandaleux, de l’animal en expérimentation. Ce n’est pas du tout notre propos. Notre position, en résumé, c’est de dire que nous avons, hélas, peut-être, encore besoin de l’expérimentation sur l’animal. Et, de ce point de vue, notre combat a toujours  été non pas de dénoncer, mais de réclamer la multiplication des méthodes de remplacements.

Dès 1984, après le décès d’Alfred Kastler, nous avons créé un prix qui porte son nom, destiné à récompenser les chercheurs qui consacrent leurs travaux aux méthodes de remplacement et à leurs applications.

Le  Quotidien- Quelles sont ces méthodes de remplacement ?

J-C N- Précisément, il n’y en a pas suffisamment. Et on n’a jamais rien fait, officiellement en France, pour les multiplier.

Le Quotidien – Pouvez-vous toutefois en donner un exemple ?

Les méthodes alternatives nécessitent d’être validées. Depuis 1993, il existe un organisme au niveau européen chargé de cette validation. Le nombre des méthodes validées à ce jour est éloquent : à peine une petite vingtaine. Ce sont essentiellement des méthodes de toxicité sur culture cellulaire qui concernent la cosmétologie. La réglementation nationale (décret de 1987 modifié en 2001) reconnaît également l’importance de ce sujet, puisqu’elle souligne que l’expérimentation sur l’animal n’est licite que s’il n’existe pas de méthode de remplacement ! Mais on tourne en rond, étant donné qu’il n’y a pratiquement pas de méthode de remplacement! La recherche nationale sur l’étude et la multiplication de méthodes de remplacement n’est pas stimulée. Depuis des années, nous lançons des appels à candidatures pour l’attribution du prix Kastler. Résultat : nous n’avons pas de candidat car il n’y a plus de chercheurs qui se consacrent à ce sujet.

Le Quotidien- Aujourd’hui, l’expérimentation sur l’animal est cependant bien encadrée.

J-C N- Elle est encadrée par des textes. Qu’en est-il en pratique ?
Par ailleurs, quand on voit les normes de détention des animaux utilisés expérimentalement, elles font bondir.
Ce sont des normes européennes qui ne peuvent pas véritablement assurer leur bien-être. Les textes qui existent pourraient suffire à condition qu’ils soient vraiment appliqués. Nous voulons l’équilibre entre les droits et les besoins de l’espèce humaine et les droits de l’animal. Les choses doivent encore évoluer. »

  • La Croix du 20 juin 2007 dans son dossier « L’expérimentation animale en question », apporte au débat entre autres points de vue celui de Georges Chapouthier, neurobiologiste, directeur de recherche au CNRS et vice-président de la Ligue française des droits de l’animal.

[…] Si les conditions de la pratique de l’expérimentation animale se sont améliorées, en revanche la mise au point de méthodes alternatives ne progresse pas suffisamment, faute d’investissement de l’État notamment.

La France est en retard en Europe  et la Ligue française des droits de l’animal, par exemple, encourage cette recherche chaque année par le concours du prix Kastler qu’elle remet à une personne proposant une nouvelle méthode alternative. » 

A la question : en attendant, peut-on se passer de l’expérimentation animale? Georges Chapouthier répondait également: 

« L’expérimentation animale n’est pas gratuite. Elle s’inscrit dans une longue démarche de recherche en biologie fondamentale et de mise au point de médicaments ou de techniques médico-chirurgicales pour la médecine humaine et vétérinaire. Dans l’état actuel de nos connaissances, on ne peut hélas se passer complètement de l’expérimentation. Affirmer le contraire cela relève aujourd’hui de la science-fiction.

Rien que pour les médicaments, malgré les différences distinguant l’homme de l’animal vertébré, il est hautement probable  par exemple qu’un somnifère efficace chez la souris ou le rat marchera également pour l’homme. Certes il y a des contre-exemples comme le malheureux épisode de la thalidomide, substance (tératogène) ayant engendré la malformation de fœtus humain, malgré les essais chez le rat.

Mais il se trouvait que, vis à vis de cette molécule, le rat était beaucoup moins sensible que l’homme. Depuis, on procède à des essais sur différentes espèces de façon à ne passer au travers d’un effet pathogène réel. De même, pour la recherche de toxicité de nouveaux produits chimiques de notre vie quotidienne (dans le cadre du programme Reach par exemple), on peut détecter la cancérogénicité d’un produit sur une culture de cellules.

Mais il reste qu’à un moment donné, il est nécessaire de passer à l’échelle globale, à l’animal entier,  comme on dit dans notre jargon, pour vérifier la pathogénicité de cette substance. Idem pour les recherches portant sur l’épilepsie, la mémoire, l’apprentissage où on a besoins de souris ou de rats, et le langage ou la cognition où les chercheurs doivent travailler sur des singes.
En revanche, pour d’autres domaines, les scientifiques s’adressent à des animaux ayant un niveau de conscience et de souffrance moins élevé : c’est le cas de la mouche drosophile (mouche du vinaigre) en génétique. Encore faut-il être prudent dans ce domaine. Ainsi la pieuvre est-elle plus intelligente et plus sensible qu’un poisson. »

  • Le mensuel Santé Pratique Animaux dans son numéro de mars 2007 consacre aussi un dossier spécial sur les méthodes alternatives permettant d’éviter l’expérimentation sur les animaux. Qu’en est-il exactement ? L’expérimentation animale est-elle véritablement en régression ? A-t-on bon espoir de la voir abolie ? Hélène Grillon y fait état des réponses apportées  à ces  trois questions par 3 spécialistes : le Dr Maurin-Blanchet, membre de l’OPAL, (Œuvre Pour l’Assistance aux animaux de Laboratoire) et représentant par ailleurs le Ministre de l’Éducation nationale et de la Recherche, au Conseil d’Administration de la Fondation Ligue française des droits de l’animal, dont il est membre de droit, le Dr Claude Milhaud, vice-président de l’Académie vétérinaire de France et le Professeur Jean-Claude Nouët, président de la Fondation LFDA.

Extraits de ce dossier voici les éléments d’information essentiels apportés par le président de notre  Fondation.

[…] « Les comités d’éthique, rassemblant des scientifiques et des représentants de la société civile (juristes, sociologues, représentants d’associations de protection animale…) étudient désormais les protocoles des chercheurs dans les différents organismes publics et privés.

Ces comités sont hélas disparates et parfois de convenance pointe le Pr Jean-Claude Nouët; quant au Comité national de réflexion éthique sur l’expérimentation animale (créé par le gouvernement en mars 2005 et réuni pour la première fois en…novembre 2006) auquel participe la Fondation LFDA  son travail le plus utile et le plus urgent serait certainement d’appuyer les réclamations de ceux qui, depuis 30 ans, parlent à des sourds et écrivent pour des aveugles s’irrite le Pr Jean- Claude Nouët.

Car, contrairement à ce que les chiffres peuvent laisser croire, le remplacement progressif des animaux par d’autres modèles expérimentaux est loin d’être à l’ordre du jour. Si les déclarations solennelles ne manquent pas, la volonté politique de promouvoir activement des méthodes substitutives  fait manifestement défaut. En réalité, le nombre d’animaux de laboratoires est essentiellement le produit des 2 premiers R  de la règle de bonne pratique expérimentale, dite des 3 R, édictée par les biologistes Russel et Burch : Réduire le nombre des animaux utilisés, Raffiner la méthodologie et Remplacer le modèle animal. Mais on n’a toujours pas remplacé le modèle animal, si ce n’est dans des proportions dérisoires. Le nombre de méthodes alternatives  validées à ce jour est éloquent : à peine une petite vingtaine depuis la création du Centre européen pour la validation des méthodes alternatives en 1993.

En réalité, contrairement à une croyance largement répandue, les méthodes de remplacement n’existent pas au sens propre. Il s’agit de méthodes d’appoint et elles sont peu nombreuses, confie le Pr Jean-Claude Nouët. Pourtant, la Convention européenne de 1986 précisait « Les  États sont résolus à limiter l’utilisation des animaux …en recherchant des méthodes de substitution et en encourageant le recours à ces méthodes ». Déclaration suivie par de nombreuses autres et que l’on retrouve même renforcée dans le droit français : le décret du 19/10/1987, modifié par celui du 29 mai 2001, autorise les expérimentations ou recherches pratiquées sur les animaux vivants à la condition primordiale  » que ne puissent utilement y être substituées d’autres méthodes expérimentales ». Selon le Pr Jean-Claude Nouët Une hypocrisie puisque, en effet, il n’y en a pas ! On tourne en rond depuis 20 ans. Il faudrait une volonté politique qui n’a encore existé ni au niveau international, ni au niveau national. En France, aucune décision, n’a été prise aucun budget n’a été dégagé pour engager une politique de recherche et de validation des méthodes de remplacement. Les crédits de recherche vont ailleurs, pour divers motifs. Le moins que l’on puisse dire, c’est que le sujet  n’intéresse pas.

Le programme REACH, plein de bonnes intentions en la matière, pourrait-il changer la donne ? On est en, droit de rester sceptique. En effet,  ce programme, âprement défendu par tous les défenseurs de l’environnement, consiste à évaluer la dangerosité de dizaines de milliers de substances chimiques, dont 30 000 au cours des onze prochaines années. Or « l’acquisition de connaissances sur les propriétés des substances nécessite le  recours à l’expérimentation animale », pour reprendre la formule pudique employée dans les communiqués…toutes ces substances seront donc inévitablement testées sur les animaux, générant un accroissement de l’expérimentation animale estimée à 3 % par les auteurs du programme. Afin de gommer ce point noir, ses responsables affirment que « Reach a été conçu pour maintenir ce recours au strict minimum (échange des données disponibles obligatoire, approbation préalable pour certains tests, consultation  publique). Façon de se prémunir contre les réactions scandalisées des associations de protection animale.

Et pour cause, comme le relève le Pr Jean- Claude Nouët, c’est avec un certain cynisme qu’il y est affirmé que l’animal ne doit être utilisé que s’il n’existe pas d’autre méthode, et constaté quelques lignes plus loin que ces alternatives n’existent pas, ce qui aura pour résultat de multiplier les essais toxicologiques sur les animaux…

Associations et fondations de protection animale ne sont pas pour autant près de baisser les bras. Dès 1984, la LFDA créait le le Prix de biologie Alfred Kastler (en hommage au Prix Nobel cofondateur de la LFDA), afin de stimuler et récompenser la recherche de méthodes alternatives, cependant que l’OPAL proposait un prix similaire, baptisé Amalthée. [….]

Enfin, il convient d’ajouter que les animaux invertébrés sont les grands oubliés des mesures de protection. Contrairement aux vertébrés, pour lesquels la législation  fixe des limites en matière d’expérimentation, les invertébrés ne bénéficient d’aucune mesure de protection, en France et en Europe (à l’exception notable de quelques pays comme la Norvège). On peut actuellement leur faire subir impunément les pires sévices. Alors qu’ils regroupent le plus grand nombre d’animaux, les invertébrés demeurent méconnus. Déniés comme êtres sensibles, nombres d’entre eux ont pour tant des organes nerveux différenciés et des organes sensoriels : ils seraient capables de ressentir la douleur. Certains, comme les pieuvres, ont même des capacités d’apprentissage et un niveau de mémoire supérieurs à ceux de beaucoup de vertébrés. Afin de sensibiliser la communauté scientifique et les autorités à leur sort, la LFDA a organisé dès l’an 2000  un colloque sur le thème Éthique et invertébrés à la faculté de médecine Pitié–Salpêtrière (Paris) dont les actes ont  fait l’objet d’une publication.

Grâce à son action, une directive actuellement en préparation devrait permettre à ces animaux d’être enfin protégés par la législation. […]

Le Pr Jean-Claude Nouët, partageant en partie l’avis du Dr Milhaud,  précise que  » Ce n’est pas dans le milieu de la recherche, hélas, que les animaux sont soumis aux plus mauvais traitements, mais dans l’élevage industriel. L’expérimentation animale est un problème extrêmement complexe, où droits de l’homme et droits de l’animal entrent en conflit, qui ne devrait pas être simplifié et qui ne peut assurément pas se régler à coup de slogans simplistes et trompeurs. » Pour le président de la LFDA cependant, « l’éthique, la science et la loi conduisent au remplacement de l’animal. Mais ce ne sera possible que quand les méthodes de remplacement nécessaires et suffisantes seront recherchées, multipliées, éprouvées et validées. Il faut pour cela une volonté politique et économique. En attendant, la carence des alternatives est supportée par des dizaines de milliers d’animaux. »

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