L’animal-être sensible au laboratoire

Le mensuel Science et Vie d’avril  2008, dans la seconde partie, concernant  l’éthique, de son  remarquable  dossier  « Expérimentation animale: Le grand malaise », que Caroline Tourbe, Jean-Jacques Perrier, Boris  Bellanger  et K. Bettayeb consacrent à sa Une, nourrit la réflexion par les remarques de Georges Chapouthier, vice-président de la Fondation LFDA, membre du Comité national de réflexion éthique sur l’expérimentation animale et par ailleurs  directeur de recherche au CNRS.

 […] « Ce sont les conceptions du rapport entre l’homme et l’animal qui ont évolué. Héritée des thèses de Descartes, selon lesquelles le corps est une machine, la biologie de  Claude Bernard représente typiquement la conception de l’animal-objet encore assez développée en Occident, résume Georges Chapouthier, biologiste et philosophe. En cela, elle s’oppose à la seconde conception qui commence à s’imposer depuis un demi- siècle : celle de l’animal-être sensible. Les raisons  d’une telle évolution ? Paradoxalement, elles viennent essentiellement des progrès de la science elle-même ! Parce qu’ils ont peu à peu bousculé les distinctions que l’homme établissait vis-à-vis de l’animal. Une valse à trois temps, selon Georges Chapouthier:

Dès leurs débuts, et quoique basées sur des préceptes cartésiens, la biologie et la physiologie ont montré qu’il existait de grandes ressemblances fonctionnelles entre l’homme et l’animal. A cet égard, la génétique a, plus récemment, joué un rôle majeur, en révélant notamment la très forte homologie entre les gènes de l’homme et ceux du chimpanzé. En second lieu, avec la formulation de la théorie de l’évolution par Darwin, l’homme et l’animal se trouvent liés pour des raisons d’origine. La notion  de continuité entre l’homme et l’animal commence à se développer. […]. Troisième mouvement, la mise à mal du dernier bastion de l’humanité résistant encore aux assauts de l’animal : la culture.

Ce rempart est en effet battu en brèche par les nombreuses expériences qui montrent que bien des animaux sont plus intelligents que ce que l’on pensait. « Si l’on analyse n’importe quel terme culturel, on peut en trouver des ébauches chez les animaux, constate Georges Chapouthier. Telle celles de l’outil, du langage, de la morale, de l’esthétique. Certes il ne s’agit que d’ébauches, mais toutes ces observations estompent la différence entre l’homme et l’animal. Et  jusqu’à la conscience de soi, qui a été attribuée au chimpanzé, à l’éléphant ou au dauphin, car ils sont capables de s’identifier dans un miroir. Dans la pratique, la conception de l’animal-être sensible a entraîné au XXe siècle une vague de réflexion sur le statut de l’animal de laboratoire. Avec, à la clé, la mise en place de lignes de conduite dans l’expérimentation animale. La plus reconnue étant la  règle des 3R énoncée en 1959 par le zoologiste William Russel et le microbiologiste Rex Burch. Trois « R » pour « remplacer » (l’animal par d’autres modèles), « réduire » (le nombre d’animaux), « raffiner » (les protocoles expérimentaux). Car tel est le chemin à suivre désormais pour établir un compromis entre notre besoin d’expérimenter afin de faire progresser nos les connaissances  et notre aversion à devoir, pour ce faire, maltraiter des animaux, nous apparaissant toujours plus proches de nous. […] »

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