Pour la vie des hommes… et des bêtes

Dans Nouvelles rive gauche d’octobre 2007, le mensuel relate les propos du président de la Fondation LFDA, le Professeur Jean-Claude Nouët, recueillis lors d’une interview par Georges Friedenkraft.

« Nouvelle rive gauche : Professeur Nouët, vous êtes ancien professeur d’histologie en faculté de médecine, ancien vice-doyen de la Pitié-Salpêtrière et, en même temps, fondateur de la Ligue Française des Droits de l’Animal, 39 rue Claude Bernard, dans le 5e, ce qui vous donne un parcours particulièrement original. Qu’est-ce qui mène de la médecine à l’animal ? 

Pr Jean-Claude Nouët : il me faut d’abord rappeler que la « médecine » couvre nombre d’exercices professionnels extrêmement différents. Pour ma part, j’ai suivi diverses formations biologiques approfondies pour prendre la voie de la biologie hospitalo-universitaire. Ces formations, notamment en génétique et en embryologie, ont aiguisé ma curiosité et mon intérêt préexistants pour le phénomène extraordinaire qu’est la vie, et particulièrement la vie animale. Enfant et adolescent, j’ai eu la chance de connaître la France rurale et les fermes, et de parcourir sac au dos des routes et des chemins encore vides, au travers de la campagne et des bois : ce sont bien les meilleurs « travaux pratiques » !

Pouvez-vous nous rappeler les débuts de votre carrière médicale et si déjà à cette époque vous avez pu rencontrer, autour de vous, un intérêt pour les animaux ?

La profession de biologiste hospitalo-universitaire est triple : enseignement, recherche, et biologie clinique. Les journées sont bien remplies…

Si l’enseignement aux étudiants ne m’a jamais posé aucun problème, en revanche l’obligation de conduire des recherches sur l’animal m’a posé des cas de conscience quand je n’étais que jeune assistant. Plus tard, mes travaux personnels sur la « chronobiologie » m’ont permis de ne pas expérimenter sur l’animal vivant. C’est dans ce domaine de la recherche que j’ai pu observer une indifférence très répandue à l’égard de l’animal de laboratoire et de sa souffrance. C’est auprès des étudiants, et c’est le principal, que j’ai trouvé plus de sympathie.

Comment a été fondée la Ligue Française des Droits de l’Animal ? 

C’est en m’intéressant surtout aux espèces sauvages ; que j’ai connu diverses personnalités, scientifiques ou humanistes, qui m’ont fait connaître le projet d’une Déclaration des Droits de l’Animal. Au détour de rencontres internationales, il m’a été proposé de créer en France une Ligue qui soutiendrait cette Déclaration. J’ai « embrigadé » plusieurs amis, dont le journaliste-écrivain Philippe Diolé, l’éthologue Rémi Chauvin, professeur à la Sorbonne. Le professeur Alfred Kastler, Prix Nobel, a accepté de nous rejoindre, et nous avons fondé ensemble la Ligue Française des Droits de l’Animal en 1977.

Notre premier travail a été de participer à la rédaction de la Déclaration Universelle.

Qu’est-ce que la Déclaration Universelle des Droits de l’Animal ? 

Ces droits sont liés à leur nature d’êtres vivants : ils sont justifiés par la parenté qui unit toutes les espèces animales, toutes issues d’une origine commune, par la sensibilité à la douleur des animaux dotés d’un système nerveux central, par le constat que le respect des animaux par l’homme est inséparable du respect des hommes entre eux.

La déclaration Universelle des Droits de l’Animal est une charte éthique. Elle adopte une position philosophique sur les rapports qui doivent désormais s’instaurer entre l’espèce humaine et les autres espèces animales et réclame que les animaux soient bénéficiaires de droits naturels. Ce sont là des droits fondamentaux, essentiellement le droit de ne pas souffrir par la faute de l’homme, et le droit pour les espèces sauvages de ne pas disparaître de la Planète, aussi par la faute de l’homme. Ces droits sont liés à leur nature d’êtres vivants : ils sont justifiés par la parenté qui unit toutes les espèces animales, toutes issues d’une origine commune, par la sensibilité à la douleur des animaux dotés d’un système nerveux central, par le constat que le respect des animaux par l’homme est inséparable du respect des hommes entre eux.

La Ligue Française des Droits de l’Animal est maintenant, non plus une association, mais une fondation. Pourquoi ? 

L’association Ligue Française des Droits de l’Animal a été reconnue d’utilité publique dès 1985. Mais afin d’affirmer l’autorité morale de la Ligue auprès du public et de faire mieux comprendre l’importance de ses actions dans les domaines de la morale, de la science et de la justice, afin aussi d’assurer l’avenir de ses missions et le maintien de la continuité de sa ligne d’action, l’assemblée générale de 1997 a décidé sa transformation en fondation. La Fondation Ligue Française des Droits de l’Animal, reconnue d’utilité publique, a été créée par le décret du 21 juillet 1999.

Pensez-vous que, dans le domaine de la protection animale, les choses aient évolué dans notre pays ? 

« Il est un progrès auquel notre Fondation a fortement contribué : c’est une réelle évolution des mentalités à l’égard de l’animal que l’on observe aujourd’hui dans notre société. Longtemps moqué, ridiculisé, rejeté, le concept de « droit » de l’animal est actuellement entré dans le langage courant, même s’il est encore discuté, et parfois combattu par certains avec une violence accrue et presque désespérée, comme s’ils sentaient la fin d’un règne humain sans bornes et sans limites sur le monde vivant.

En ce qui concerne le respect de l’animal, la France reste très en retard, au point qu’au niveau des initiatives communautaires conduites en faveur du bien-être animal comme de la préservation des espèces, notre pays est considéré comme la lanterne rouge des pays européens. Retenons pourtant que, à l’initiative de la Ligue Française des Droits de l’Animal, la loi a modifié le code civil en janvier 1999, en sorte que l’animal y est désormais distingué de la chose ; il nous aura fallu 15 années de démarches pour obtenir ce qui n’est que du bon sens !

Quels sont finalement les points ou les espoirs sur lesquels vous souhaiteriez insister le plus pour y sensibiliser nos lecteurs ? 

Le plus important est que notre société change le regard qu’elle porte sur l’animal, qu’elle cesse de ne voir en lui que viande, jouet, cible, nourriture sous plastique, ou décor dans la campagne, qu’elle comprenne tout simplement. 

La Fondation Ligue Française des Droits de l’Animal s’étant donné pour mission de changer les mentalités dans ce sens, elle retient trois points principaux. Premièrement, il faut réformer le droit. Le code civil, qui est la base de notre conduite en société, doit reconnaître que l’animal est un être sensible. Deuxièmement, il faut créer une nouvelle structure chargée de contrôler l’application de toutes les réglementations concernant le bien-être animal, sa santé, ainsi que le maintien de la biodiversité, nouvelle structure qui soit totalement indépendante des administrations ministérielles. Troisièmement, puisque l’avenir du pays appartient par définition à sa jeunesse, il faut enfin qu’elle soit correctement éduquée à la connaissance et au respect des animaux et de la nature, à tous les niveaux de l’enseignement, y compris, et peut-être surtout, au niveau supérieur des Instituts et Grandes Écoles, qui forment les futurs cadres du pays. 

Voilà un programme d’action ambitieux. Et pour le réaliser, nous avons besoins de toutes les bonnes volontés qui pourraient se manifester ».

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