La médiatisation des NAC sauvages, banalisation d’une pratique qui nourrit le trafic et la souffrance des animaux

En Europe, des millions d’animaux sauvages sont détenus comme animaux de compagnie. Devenue une véritable mode, la détention de ces animaux a des conséquences néfastes pour leur bien-être, mais aussi pour les humains et l’environnement.

médiatisation NAC sauvages

NAC sauvages et espèces menacées : un trafic en expansion

Selon l’European Pet Food Industry, des millions d’animaux sauvages sont détenus comme animaux de compagnie dans les foyers européens, dans des conditions de vie inadaptées. Cet attrait pour les animaux exotiques est de plus en plus popularisé mais entraîne des conséquences considérables pour le bien-être des animaux, les citoyens et l’environnement. Ces espèces animales peu communes ont des besoins complexes et ne sont pas adaptées à un statut de compagnie auprès des humains. Pourtant, la demande grandit chaque année. En effet, en France, les NAC représentent environ 20 % des ventes d’animaux, et ce chiffre est en hausse depuis quelques années.

Quatrième activité criminelle la plus lucrative au monde après le trafic de drogue, la contrefaçon, et la traite d’humains, le commerce illégal d’animaux sauvages est en forte hausse. En 2016, les experts d’Interpol-Unep estimaient la valeur du commerce illégal d’espèces sauvages entre 6 et 20 milliards d’euros. Pourtant, une grande partie des espèces sauvages est protégée par la CITES, qui est une convention internationale encadrant le commerce de faune et de flore sauvages menacées d’extinction. En fonction du niveau de menace qui pèse sur les espèces, la CITES interdit, contrôle ou limite leur commerce.

Parmi les espèces d’animaux sauvages victimes du trafic illégal, les lézards et les tortues sont les plus prisées comme animaux de compagnie exotiques dans le monde entier. Par exemple, 50 % des tortues observées en vente à Jakarta sont menacées d’extinction. Le commerce d’animaux exotiques illégal est par ailleurs de plus en plus populaire dans les pays d’Asie, car le nombre de consommateurs recherchant des espèces rares grandit. Auparavant, ce commerce se faisait principalement sur les marchés, mais depuis la création d’Internet, le marché a rapidement évolué de façon dématérialisée. Très simple d’accès, les réseaux sociaux sont devenus la clé pour vendre et acheter n’importe quel animal. Ainsi, chaque année dans le monde, de nombreux animaux sont braconnés pour être vendus à des particuliers.

Le commerce illégal d’animaux de compagnie exotiques est un facteur clé du déclin de la biodiversité et de l’extinction de nombreuses espèces. La justice est laxiste face aux trafiquants et aux braconniers, alors que près de 20 % des espèces animales sauvages sont au bord de l’extinction à cause de ce commerce.

Des animaux en souffrance par ignorance de leurs besoins

Chaque année, Animal Advocacy and Protection (AAP) sauve des dizaines d’animaux sauvages issus du commerce illégal et qui n’ont rien à faire en tant qu’animal de compagnie. Par exemple, en 2014, l’organisation a récupéré Linda, une femelle chimpanzé qui a été capturée dans la nature lorsqu’elle était bébé, puis vendue à un couple à Lanzarote. Elle a d’abord été habillée et utilisée sur Internet et pour le tourisme. Devenue trop grande et trop imposante, elle a été enfermée dans un hangar en béton nu, seule, durant 30 ans. Malheureusement, son histoire n’est pas un cas à part.

En février 2017, AAP est venue secourir une chimpanzé, nommée Marria, au Portugal. Elle vivait depuis 13 ans dans une maison. Tenue en captivité et utilisée comme une poupée vivante, elle n’avait pas la possibilité d’exprimer des comportements propres à son espèce. Les propriétaires du primate ont expliqué au directeur de l’association, David Van Gennep, que Marria avait des comportements humains : elle se brossait les dents, s’habillait, se lavait les mains, prenait des bains, dormait dans un lit en pyjama et mangeait à table avec toute la famille. Elle regardait aussi la télévision, jouait comme un enfant, feuilletait des magazines sur le canapé et faisait du dessin. Néanmoins, dernièrement, Marria avait été enfermée dans un garage vide parce qu’elle montrait un comportement imprévisible. Prise en charge par AAP, un spécialiste du comportement a déclaré que même si « les propriétaires avaient les meilleures intentions, un chimpanzé qui a vécu avec des humains dans une maison a été privé de beaucoup. D’autant plus que l’animal n’a pas eu de contact avec sa propre espèce. C’est comme si nous vivions avec une tribu qui communique par clics. Vous pouvez prendre soin de vous, mais personne ne vous comprend vraiment. »

Responsabilité des médias et des réseaux sociaux

TRAFFIC est une organisation non-gouvernementale fondée en 1976, dont la mission est de surveiller le commerce de la faune et de la flore sauvages afin qu’il ne soit pas une menace pour la conservation de la nature. Une étude réalisée pendant 3 mois par ce réseau, en janvier 2018, sur l’utilisation de Facebook pour le commerce de reptiles vivants aux Philippines, a révélé que plus de 50 % des 5 082 spécimens mis en vente sur 90 groupes Facebook différents sont inscrits à la CITES et que 80 % des commerçants pourraient être impliqués dans des activités de commerce illégal. En avril 2019, une autre étude a trouvé, en cinq mois, 3 354 animaux vivants à vendre de manière illégale sur 44 groupes Facebook à Singapour. Près de 99 % de ces animaux étaient des oiseaux exotiques.

Par ailleurs, une étude réalisée en octobre 2018 au Japon par TRAFFIC a révélé un véritable boom dans la détention en captivité de loutres sauvages par les particuliers japonais. Des programmes et séries télévisées japonais, ainsi que les réseaux sociaux, ont largement contribué à cette popularité, en présentant des célébrités vivant aux côtés de leurs loutres. Pensant que cette espèce remplit correctement le rôle d’animal de compagnie, la demande a explosé et un grand nombre de ventes illégales se sont faites ces dernières années, majoritairement en provenance de la Thaïlande. Cela n’est pas forcément sans conséquence, notamment pour l’environnement, comme l’illustre le cas du raton-laveur.

Dans les années 1970, une suite de dessins animés sur les ratons laveurs populaires au Japon a également entraîné la popularité de l’animal auprès des habitants. Leur introduction massive sur le territoire pour leur adoption en tant qu’animal de compagnie, alors que l’espèce n’est pas originaire de l’archipel nippon, a ensuite eu de graves conséquences, car une fois libérés ou échappés dans les rues, les animaux ont causé des dommages à la nature et aux humains. Envahissant de nouveaux écosystèmes, ces animaux ont en effet déréglé la chaîne alimentaire en place, ont causé des dégâts sur les champs agricoles et ont transmis des maladies infectieuses, comme la rage. La popularité des loutres pourrait avoir les mêmes conséquences dans les prochaines années.

Un phénomène de mode exacerbé par les influenceurs

En février 2021, le journal Libération a publié un article dénonçant le phénomène de mode des félins de compagnie sur les réseaux sociaux. La journaliste Coralie Schaub rappelle que de nombreuses célébrités ont déjà fait la promotion ou se sont affichées fièrement avec des félins dans les bras sur les réseaux sociaux : « L’attaquant de l’Olympique lyonnais Memphis Depay pose avec un petit ligre […] sur son compte Instagram. Dans son lit, torse nu lui aussi, le rappeur Lacrim […] caresse deux lionceaux et poste la scène sur Snapchat et Instagram fin 2019. L’influenceuse et ex-candidate de télé-réalité Maddy Burciaga, un lionceau couleur crème dans les bras, met en avant, fin 2020, un faux partenariat avec la Fondation Brigitte Bardot pour promouvoir sa marque de cosmétique. » Plus loin, elle retranscrit le témoignage de la responsable de la cellule anti-trafic de la SPA, qui explique qu’il n’est pas difficile de se procurer un fauve, car les réseaux sociaux sont une « véritable vitrine où des individus proposent de façon assez ouverte la vente ou la location de félins ou d’autres espèces de la faune sauvage, comme les caïmans ».

Ces dernières années, détenir un guépard est devenu tendance aux Émirats et au Koweït. Les guépards, capturés directement dans la savane africaine, et dont le commerce international est pourtant interdit par la CITES, sont mis en vente sur Internet. Fondée en Namibie en 1990, le Cheetah Conservation Fund (CCF) se consacre à la sauvegarde du guépard à l’état sauvage. En septembre 2018, une étude réalisée par le CCF a confirmé le rôle des médias et des réseaux sociaux dans la promotion du commerce illégal de guépards pour le rôle d’animaux de compagnie. Des recherches ont montré qu’entre janvier 2012 et juin 2018, 1 367 guépards ont été proposés à la vente, soit 20 % de la population mondiale de guépards en liberté restante.

Transportés directement chez les clients, beaucoup d’entre eux ne survivent pas aux transports (30 à 40 %). Une fois arrivés à destination, leur survie n’en est pas plus certaine. Retenus captifs dans les maisons, appartements ou pièces spécifiques, et parfois nourris à la pâtée pour chats et à l’alimentation humaine, les animaux tombent rapidement malades, et décèdent en quelques années, voire en quelques mois. En un siècle, leur population à l’état sauvage a diminué de 92,5 %, passant de 100 000 individus à 7 500. Pour la vente des guépards, le CCF estime qu’Instagram, 4Sale et Youtube sont les plateformes les plus utilisées. Ainsi, 300 guépards seraient capturés et vendus de façon illégale sur ces plateformes chaque année pour la compagnie des humains. Patricia Tricorache, experte du commerce illégal d’espèces sauvages, explique qu’il s’agit de « l’extermination d’une espèce par le “like”. Tout ça pour une question de mode, d’ego et de statut social ! » En continuant de banaliser la détention de tels animaux pour la compagnie de l’Homme sur Internet, le guépard pourrait à priori disparaître de la surface de la Terre dans moins de 30 ans…

Déborah Goulet


Cet article est extrait et adapté du rapport de stage « Les nouveaux animaux de compagnie, victimes de l’appropriation de la faune sauvage par l’homme » pour la première année du master en éthique animale de l’université de Strasbourg, 2022.

ACTUALITÉS