Table ronde : Sanctionner la maltraitance et la cruauté contre les animaux sauvages en liberté – Échanges avec le public (2021)

Échanges avec le public suite à la table ronde dans le cadre du colloque « Préserver et protéger les animaux sauvages en liberté » organisé par la LFDA le 16 novembre 2021 au Grand Amphithéâtre de la Sorbonne. Par Laurence Parisot, Vice-présidente de la LFDA, en compagnie de Loïc Obled, directeur-général de l’Office français de la biodiversité, Marie-Bénédicte Desvallon, Avocate au Barreau de Paris et créatrice de la commission ouverte sur le droit de l’animal et Manon Delattre, juriste pour l’Association pour la protection des animaux sauvages (ASPAS).


© Gabriel Legros
Télécharger les actes du colloque au format PDF.

Laurence Parisot

Merci beaucoup Loïc. Ce qui est évident, c’est que le sujet est désormais politique, il sera dans la campagne pour l’élection présidentielle. Je pense que tous les partis et les candidats vont s’en emparer. Comme on a pris un peu de retard, je propose de lancer tout de suite le débat avec ceux qui nous suivent sur les réseaux sociaux.

Question 1

Bonjour à tous. J’ai une question qui est adressée à Muriel Falaise. La personne demande comment la chasse est-elle possible au Luxembourg selon la loi de 2018 que vous avez présentée ?

Muriel Falaise

Je n’ai pas donné la totalité de l’article. En fait, c’est sous réserve des dispositions applicables en matière cynégétique, en matière de pêche, etc. C’est-à-dire qu’encadrer et accorder un statut à l’animal sauvage n’interdira pas de fait toutes les formes d’atteintes et notamment n’interdira pas la chasse, mais ça évitera certaines pratiques comme celles qu’on vient d’évoquer à l’instant. J’en profite pour préciser que si la France n’est pas capable, pour l’instant, de mettre en place des mesures contraignantes, je pense qu’on l’a déjà évoqué, l’Europe peut être aussi une solution vers laquelle il va falloir se tourner. Il y a le Conseil de l’Europe et la Cour européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales qui peuvent être des leviers intéressants pour éviter les situations absurdes dans lesquelles on se trouve. On a parlé du blaireau. Le blaireau, il traverse la frontière entre la France et la Belgique. Il bascule du mauvais côté. Enfin, c’est quand même stupide. Il est protégé d’un côté, et de l’autre il peut être chassé pendant une majeure partie de l’année.

Question 2

Bonjour. J’ai une question pour Loïc Dombreval. Merci encore pour votre présentation de la loi à l’Assemblée nationale aujourd’hui sur la maltraitance, mais quid des expérimentations animales ? Je n’ai à priori absolument pas vu quelque chose sur ce sujet contrairement à ce qui va se passer dans les cirques ou autres événements de ce genre. Merci.

Loïc Dombreval

Les espèces concernées par la proposition de loi, ce sont les animaux de compagnie, les nouveaux animaux de compagnie, la faune sauvage en captivité, et les animaux élevés pour leur fourrure. Donc les animaux d’expérimentation ne sont pas dans le périmètre de la loi. Par contre, peut-être que vous ne le savez pas, mais il a été mis au point par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche un centre de référence sur l’application de la règle des 3R : remplacer, réduire, raffiner en matière d’expérimentation animale. Il va être doté d’un budget assez conséquent. Il faudra voir de quelle façon ce centre fonctionne. Mais à l’image de ce qui se fait en Angleterre, on a aujourd’hui une grande marge de progression sur la façon avec laquelle on expérimente. Ce centre de référence sera là pour partager les meilleures pratiques concernant les méthodes alternatives à l’expérimentation animale. Il a été créé officiellement et maintenant on va le voir fonctionner. C’est plutôt une bonne nouvelle sur ces questions d’expérimentation.

Question 3

Je vais commencer par une information et je finirai par une proposition. Jean-François Courreau, je suis ici non seulement en tant que professeur d’école vétérinaire, je préside surtout le réseau des centres de soins de la faune sauvage », et je remercie Loïc Dombreval d’avoir cité les centres de soins, parce qu’il était le seul à le faire, à croire effectivement que nous sommes peu connus finalement… Je ne ferai pas un sondage dans la salle mais je pense que peu connaissent les centres de soins pour la faune sauvage, sauf lorsqu’ils sont confrontés à un animal sauvage en détresse. Dans ce cas-là, effectivement on est content de trouver ce réseau d’une centaine de centres de soins en France, réseau où les soignants sont confrontés tous les jours à la souffrance de l’animal sauvage. Et pas qu’à la souffrance d’ailleurs, puisque la mort y est quotidienne. En effet, les blessures, les maladies, les situations de détresse, sont souvent extrêmement graves. Et le constat que nous faisons, c’est qu’elles touchent bien entendu majoritairement les espèces protégées, et que l’humain est à la source de la plupart des causes d’accueil. Je ne vais pas citer ici toutes les causes d’accueil, mais considérez que nos constructions, nos véhicules, notre pollution, notre chasse, les dérèglements climatiques aussi dont on mesure les effets lorsqu’il y a des canicules… tout cela a un impact sur la faune sauvage, et les équipes soignantes des centres de soins font comme elles le peuvent pour assurer un service d’urgence tout à fait similaire d’ailleurs dans son fonctionnement aux services d’urgence des hôpitaux humain, c’est-à-dire souvent débordés et toujours en attente de moyens supplémentaires. Je remercie donc particulièrement Loïc Dombreval qui a obtenu il y a à peu près une huitaine de jours une déclaration de Barbara Pompili à ce sujet, disant qu’on allait effectivement travailler sur un financement pérenne par les pouvoirs publics des centres de soins afin de les sortir de la précarité qu’ils connaissent. Il faut savoir, en effet, que les centres de soins ne peuvent pas faire payer ceux qui leur apportent des animaux, parce que ce sont des animaux sauvages qui n’appartiennent à personne, et de ce fait c’est la générosité du public qui finance les centres de soins très majoritairement.

Laurence Parisot

Les collectivités locales ne vous apportent pas de subventions ?

Question 3

Dans le cadre de notre fédération, c’est à peu près, suivant les centres de soin, entre 20 et 30 % des fonds qui proviennent des collectivités locales. Mais cela peut descendre de 5 à 10 % dans certaines régions. Donc c’est très peu et c’est tout à fait insuffisant pour assurer des moyens à la fois matériels, mais surtout humains. Le sous-effectif est de rigueur dans les centres de soins. Nous avons le sentiment d’apporter à la collectivité nationale un service, je ne dirais pas éminent… mais si je dis quand même éminent, dans la mesure où nous sommes les seuls finalement à pouvoir assurer cette prise en charge de la faune en détresse. Ceci est un premier point.

J’en viens maintenant à ma proposition, notamment pour M. Obled. Ce réseau, qui est confronté tous les jours à l’accueil de milliers d’animaux en détresse, est un remarquable observatoire sur ce qui impacte la faune sauvage dans notre pays. On peut donc mesurer l’impact des activités humaines que j’ai évoquées ici, leur progression, leur évolution quantitative et qualitative. C’est aussi un observatoire remarquable en matière de pathologie : les infections de sang de toutes les espèces aujourd’hui, surtout les espèces gibier qui sont observées et bien connues pour leurs pathologies. En fait, toutes les espèces sont impactées. Et n’oublions pas, dans un contexte où le risque zoonotique n’est plus nul, cet observatoire me paraît précieux. Nous avons déjà proposé à l’OFB, dans une circonstance déjà un peu lointaine, mais la Covid est passée par là, de participer à la réalisation d’une base de données pouvant permettre de mettre en valeur les millions de données que nous collectons chaque année – je dis bien des millions – sur la faune sauvage en détresse. Cette proposition, je la formule particulièrement à M. Obled puisque c’est avec l’OFB qu’on pourrait faire ce travail. Merci.

Loïc Obled

Très rapidement, oui avec plaisir. Comme je vous le disais tout à l’heure, l’OFB a pour mission par la loi de concaténer des données et d’essayer de les mettre à disposition pour que la science puisse en profiter, et que chaque acteur puisse capitaliser dessus. Donc oui, avec plaisir pour trouver les moyens d’intégrer dans le système d’information pour la biodiversité, ce qui est un indicateur, un observatoire des pressions qui s’exercent sur la faune sauvage.

Question 4

Bonjour à tous. Merci beaucoup pour vos interventions très enrichissantes. Je m’appelle Andréa Rigal-Casta, je suis avocat en droit de l’environnement et mon cabinet, qui s’appelle Géo Avocats, traite quelques dossiers en matière de contentieux de la chasse, si on peut appeler ça comme ça. J’aimerais vous parler de deux problèmes structurels que l’on rencontre et aimerais avoir votre avis, parce qu’il faut comprendre que les autorisations de chasse dans les départements sont données de manière assez systématique et notamment pour un problème de biais. Ce problème est que ces autorisations, qui concernent les chasseurs, sont adoptées en fonction d’informations collectées par les chasseurs. On se rend compte, dans les départements dans lesquels on intervient, qu’en fonction de nos arguments, le décompte des dégâts par exemple, ou des individus des espèces à chasser, ont tendance à gonfler. Bizarrement. Ça doit être un effet indirect du militantisme, peut-être, je ne sais pas. Déjà, ici, on voit qu’il manque quelque chose. Ça peut être la revue par les pairs, évidemment, mais en tout cas, il manque une tierce personne qui viendrait vérifier que la méthodologie utilisée par les chasseurs est correcte, parce que croyez-moi, dans les contentieux, on voit des méthodologies qui sont quand même particulièrement acrobatiques, pour reprendre une expression, par exemple le fait de décompter une population, d’évaluer une population en fonction du nombre de prises, ce qui n’a absolument aucun sens scientifique.

Et la deuxième difficulté structurelle dont j’aimerais vous parler, un peu plus générale, concerne la formation des juges sur la donnée scientifique. Parce qu’une fois qu’on a dépassé ce stade, une fois qu’on a démontré à l’aide de publications scientifiques – parfois internationales, parfois nationales, parfois même locales –, on est face à un problème. C’est que devant certains juges, évidemment pas tous, une étude publiée dans Nature, une étude publiée dans l’OFB, une publication de l’Anses, a le même poids qu’un décompte, ou qu’une attestation faite par la fédération locale des chasseurs. Et donc à ce niveau-là, peut-être, rendre obligatoire de manière légale, dans le cadre de la formation continue, la formation des juges à la biodiversité, ou à l’éveil scientifique de manière générale, serait un salut.

Loïc Obled

À l’OFB, il y a beaucoup de choses qui se passent en ce moment du point de vue de la justice et de sa relation avec l’environnement. L’OFB, avec la Chancellerie, a convenu d’intensifier son effort de formation des magistrats au droit de l’environnement, mais pas que, à la biodiversité aussi, parce que ce qui est important pour caractériser des enjeux, et donc pour caractériser un préjudice, c’est d’essayer d’en comprendre les tenants et les aboutissants. Et un des gros enjeux qu’on a aujourd’hui, mais on est en train de travailler dessus avec des élèves d’une grande école et avec notre conseil scientifique, c’est comment on arrive à passer de la science au droit ? Et notamment au jugement et à la qualification des choses.

Laurence Parisot

Pardon mais je vois que nos deux députés préférés, Dimitri Houbron et Loïc Dombreval s’apprêtent à aller voter, donc je pense qu’il faut qu’on les salue et qu’on les remercie. [Applaudissements] Je vous rends la parole.

Loïc Obled

La formation des magistrats est quelque chose d’important, je dirais aussi la formation de tous les enquêteurs, parce que l’OFB fait du travail de police de l’environnement, mais travaille aussi avec d’autres acteurs comme la police nationale, la gendarmerie nationale, qui sont des acteurs qui reçoivent des plaintes et qui les traitent soit avec nous, soit parfois seuls. On a déjà une action de formation de ces acteurs qui sera intensifiée puisque le ministère de l’Intérieur, en tout cas la Direction générale de la gendarmerie nationale, a décidé de former 700 officiers supplémentaires à l’environnement. Ça c’est une vraie avancée. Ensuite, en matière de réponse pénale, c’est quelque chose qu’on peut attendre. Après, il y a quelque chose de très important sur ce que vous avez dit, votre première intervention, c’est la science. L’OFB a mis en place des protocoles scientifiques pour accompagner l’État, et permettre à l’État de prendre en toute connaissance de cause la réglementation qui s’impose, ou en tout cas celle qu’elle aura décidé. En tout cas, c’est vrai que ça doit être bâti sur des protocoles scientifiques étayés, et c’est un des combats de l’OFB que d’essayer de ne jamais être pour ou contre, et d’être toujours adossé à la science en toute impartialité. C’est ce qui permettra à l’État, aux politiques en fait, au législateur, de prendre les décisions qui s’imposent en connaissance de cause.

Marie-Bénedicte Desvallon

J’entends tout à fait et je note avec grand intérêt votre proposition puisque j’ai eu l’honneur d’être désignée, pour 2022, directrice de session de la formation des magistrats sur la question du droit de l’animal, qui se déroule sur trois jours et qui abordera les animaux de compagnie, les animaux de rente, mais également les animaux sauvages. J’en prends donc acte. J’ajouterai que dans le contexte actuel, avec la perspective du parquet européen, la France doit relever le niveau, puisqu’on sait qu’elle est en retard par rapport à ses voisins. Je pense qu’elle ne peut décemment pas être la vitrine du droit de l’environnement si elle n’est pas à la hauteur. Je pense qu’il y a véritablement des attentes, et notre ministre de la Justice, notre garde des Sceaux, avait d’ailleurs évoqué dans le cadre de l’écocide, un délit général de pollution où, par rapport à la gradation des peines et condamnations, il avait évoqué la question d’infraction d’imprudence, (qu’on connaît justement sur les espèces menacées), la violation manifestement délibérée et l’infraction intentionnelle. Et sur cette question de volonté, du caractère intentionnel, la distinction devrait être faite, même si ces qualifications sont dans un seul et même article, entre l’acte de cruauté, l’acte de sévices graves, des sévices sexuels, et l’abandon. Aujourd’hui, l’intention ne doit être démontrée que pour l’acte de cruauté, et il suffirait pour cela de s’appuyer sur les textes du rapporteur de la loi, également la circulaire de 2005, pour garder à l’esprit que seule l’intention doit être démontrée pour l’acte de cruauté et non pas pour les sévices graves.

Question 5

Mon nom est Michel Klein. Je ne suis pas de cette spécialité mais j’ai beaucoup apprécié l’intervention précédente parce que nous sommes tous d’accord sur l’objectif à atteindre. Je pense que oui, on est tous d’accord sur l’objectif à atteindre. Personne ne doute une seconde qu’il faut faire évoluer le droit, ça va de soi. Le problème, c’est qu’on a quand même un certain nombre d’opposants déclarés qui ont été évoqués précédemment. Il faut quand même rappeler le lobbying extraordinaire d’efficacité fait par les fédérations de chasseurs, qui ont même des délégations de missions de services publics, y compris pour guider des gens dans des zones théoriquement protégées telles que les parcs. J’ai donc l’impression que ce qui nous manque beaucoup, si vous voulez, c’est une stratégie pour lutter contre ce lobbying. Il faut être à mon avis extrêmement innocent pour penser que des gens dont le plaisir, le loisir, est de tuer, vont réellement contribuer facilement aux objectifs que nous avons. M. Obled a rappelé tout à l’heure que l’OFB a des chasseurs qui y sont représentés. Je suis persuadé que c’est plutôt des associations qui s’occupent de la défense de la cause animale qui pourraient nous aider à atteindre ces objectifs que des fédérations de chasseurs.

Laurence Parisot

Merci. Ici, nous sommes tous d’accord sur la nécessité d’avoir une stratégie, il y en a peut-être plusieurs qui sont possibles. Je rappelle qu’il y en a une qui passe par le débat politique, et que tout ce qui pourra, comme ce colloque aujourd’hui, contribuer à sensibiliser à cette question dans le cadre de l’élection présidentielle, sera utile. Une autre stratégie, et j’avais eu le plaisir de la saluer au précédent colloque, c’est l’idée d’un référendum, et donc ça me permet de faire le lien avec celui qui est un des animateurs clé de cette proposition référendaire, Hugo Clément. Donc Hugo, Louis, je vous invite à venir sur scène dont nous nous retirons discrètement.


Lire les autres interventions :

ACTUALITÉS