Retour à la Grande Barrière

Reprenons notre article sur la Grande Barrière de corail australienne publié dans le n ° 87 de la Revue. Il soulignait l’état extrêmement inquiétant des colonies de corail, ravagées par l’échauffement climatique, responsable de la mort de près de la moitié des coraux, par l’activité agricole (banane, canne à sucre, élevage bovin) qui déverse ses polluants en mer, et le développement industriel, dû à la richesse minière du sous-sol du Queensland, notamment en charbon. Les choses ne se sont pas arrangées.

En dépit des alertes lancées par les scientifiques depuis plusieurs années, le gouvernement australien continue de favoriser l’industrie charbonnière. Tout récemment (29 avril), le Centre australien pour la science du système climatique (ARCCSS) a annoncé que le déclin de cette immense colonie de polypes (elle s’étend sur 2 600 km) pourrait s’accélérer si les émissions de gaz à effet de serre n’étaient pas drastiquement réduites. Thierry Hughes (Université James Cook, Townsville, Queensland) a souligné que le phénomène de blanchiment des coraux est entré dans un épisode le plus grave jamais observé, atteignant jusqu’à 55 % des coraux de la partie nord de la Grande Barrière, jusqu’ici épargnée. La température de l’océan atteint des records, atteignant jusqu’à 2,7 degrés Celsius au-dessus de la normale, une augmentation qui pourrait devenir permanente si les émissions de gaz à effet de serre devaient continuer d’augmenter. Tout se conjugue et s’enchaine : à l’augmentation de température s’ajoute la pollution par les engrais et les pesticides agricoles, la prolifération d’une étoile de mer qui tue les coraux, et la pire des menaces, l’augmentation de l’exploitation des ressources minières de charbon, qui fait que l’Australie fait partie des pays les plus pollueurs de la planète. Le gouvernement mène à ce sujet une politique passablement hypocrite. D’un côté, il dit vouloir engager une réduction de 28 % de ces émissions de gaz, mais de l’autre, il a confirmé son accord avec l’entreprise indienne Adani pour l’exploitation d’une gigantesque mine de charbon dans l’État du Queensland, ce qui a entraîné la construction de ports immenses comme celui de Gladstone, étalé sur 30 km, d’où partent 2 000 immenses tankers par an.

Puisque tout se résume à des profits financiers, l’arme de parade pourrait porter sur le financement de l’extraction du charbon, justement. Il faut toucher au portefeuille, comme toujours, comme pour abattre Al Capone ! Plusieurs grands établissements bancaires mondiaux se sont déjà désengagés (encore insuffisamment) des opérations industrielles prévues dont Deutsche Bank en mai 2014, HSBC et Royal Bank of Scotland en juin 2014, et en avril 2015 Société Générale, BNP Paribas et Crédit Agricole. L’arme pourrait être aussi une prise de conscience politique en Australie, écartant les dirigeants tels que Greg Hunt, ministre de l’Environnement, qui a déclaré que [la Grande Barrière] « ne mérite pas d’être placée sur la liste du patrimoine en péril », et Tony Abbott, le Premier ministre, qui a qualifié le changement climatique de « foutaise absolue » en affirmant que le charbon est « bon pour l’humanité ». Il est à espérer que ce retournement politique survienne grâce à la raison, avant que le pays chasse, mais ce sera trop tard, les dirigeants qui auront conduit la Grande Barrière à la disparition, ce qui constituera une catastrophe écologique mondiale majeure, et ce qui localement privera l’économie des 2 millions de touristes qui apportent chaque année 6 milliards de dollars australiens (4,1 milliards d’euros) en venant la visiter.

Jean-Claude Nouët

Article publié dans le numéro 90 de la revue Droit Animal, Éthique & Sciences.

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