CR : Apprendre à lire l’éternité dans l’œil des chats, De l’émerveillement causé par les bêtes

Françoise Armengaud, Les Belles Lettres, Paris, 2016

À la fois « bible poétique animalière » et « précieux instrument de travail », comme le remarque dans sa préface (p. 9) Elisabeth de Fontenay, le nouvel ouvrage de Françoise Armengaud constitue une passionnante anthologie de la poésie animalière « non pas un florilège, mais ce qu’on pourrait appeler un zoolège » (préface, p. 9).

livre Françoise Armengaud

Il constitue aussi une sorte de complément au Requiem pour les bêtes meurtries (Editions Kimè, 2015), de la même auteure, qui pourrait être une sorte de chapitre ou d’écho de la présente anthologie, et dont nous avions précédemment rendu compte dans nos colonnes (N° 88). L’affection de l’auteure pour les animaux en est, bien sûr, la trame. Militante de longue date de la protection animale, elle reconnaît : « dans l’émerveillement se concentre et s’illumine pour moi la quintessence de ce que je ressens à l’égard des animaux » (p. 11).

yeux de chat

C’est donc autour des mille facettes de l’émerveillement que s’articulent les mille et un poèmes de l’ouvrage : émerveillement dans ses tenants et aboutissants, émerveillement de la rencontre, d’une révérence ambiguë, de l’attention… sont autant des parties du livre. Les tenants et aboutissants évoquent la remarque de Baudelaire, qui avait mentionné « comment les Chinois voient l’heure dans l’œil des chats » (p. 75), ce qui a inspiré le titre de l’ouvrage. La rencontre se fait dans le « saisissement primordial » (p. 12) face à la nature. Citons, par exemple, le merveilleux dauphin du poète italien Mario Bettini :

Quand un dauphin, surgi du lointain occident,

De l’échine fendant les eaux tyrrhéniennes,

Glissa tout doucement…

(p. 107)

La révérence ambiguë se sent face aux animaux valeureux, aux animaux chamaniques – comme ces saisissants poèmes chamaniques d’Asie évoquant une danse avec les oiseaux (p. 194) – ou aux animaux bucoliques. L’émerveillement de l’attention de décline depuis l’imagination des animaux fabuleux ou fantastiques jusqu’à l’émerveillement de la compassion. Ce sont les émerveillements du cœur «  quand l’émerveillant souffre et que l’émerveillé souffre de cette souffrance … » (p. 15).

L’ouvrage aboutit donc à cette compassion, qui est ce qu’il y a sans doute de plus beau dans la relation homme-animal, comme le célèbre poème de Victor Hugo sur Le crapaud, mais aussi Bashô, le célèbre auteur japonais de haïkus, qui nous entraîne dans une compassion universelle :

Moineau mon ami

Ne mange pas le taon

Qui se joue sur les fleurs

(p. 284)

Tout cela fait aussi écho à la superbe formule d’Hugo : « Tout est plein d’âmes » (p. 295). On ne sera pas surpris que l’ouvrage se termine par une supplique morale : « De l’émerveillement causé par les bêtes et du trop peu de reconnaissance que nous leur témoignons » (p. 307). Nos lecteurs partageront sans doute cette phrase terrible  : «  Nous pouvons bien nous émerveiller d’eux et nous devons nous horrifier de nous » (p. 309). L’émerveillement devrait être pour nous un chemin vers le respect. On ne résume pas une anthologie : on la vit et on la goûte. « L’émerveillement devant la beauté des animaux, la satisfaction et la joie qu’ils nous procurent » (p. 313) devraient nous amener à la compassion à leur égard. Il faut espérer que la lecture de ce magnifique livre de poésie nous y aidera.

Georges Chapouthier

Article publié dans le numéro 91 de la revue Droit Animal, Éthique & Sciences.

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