Rapport 2020 sur la criminalité liée aux espèces sauvages

L’exploitation démesurée de l’environnement par l’homme a conduit non seulement à la perturbation du climat mondial mais aussi à des dégâts considérables sur la biodiversité. En cela, elle représente une menace pour la santé humaine. À l’instar d’autres zoonoses (maladie transmissible entre l’homme et l’animal), la pandémie Covid-19 témoigne de la face sombre de l’exploitation illégale des animaux.

C’est dans ce contexte que l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC) a publié le 10 juillet dernier sa deuxième édition du rapport mondial sur la criminalité liée aux espèces sauvages.

Le rapport s’appuie sur des données issues de la plateforme World WISE alimentée par les organisations partenaires du Consortium international de lutte contre la criminalité liée aux espèces sauvages (ICCWC)1. Cette base de données est un référentiel sur les saisies réalisées dans le monde et permet ainsi de comprendre le mécanisme de la criminalité liée aux espèces sauvages.

Un phénomène d’envergure globale

Le rapport de 2020 révèle qu’en plus d’être lucratif, le trafic d’espèces sauvages est diversifié et répandu. Presque tous les pays du monde sont concernés, de près ou de loin, par ce commerce illicite ayant touché près de 6 000 espèces de faune et de flore sauvages saisies entre 1999 et 2018. Aucune espèce ne couvre 5 % du total et aucun pays n’est identifié comme étant à l’origine de plus de 9 % des saisies. Cent cinquante nationalités ont été recensées parmi les trafiquants présumés. La dimension du trafic d’espèces sauvages est donc globale.

Une espèce peut être la cible d’un ou plusieurs marchés tel que le python exploité à la fois comme animal de compagnie, mais aussi pour sa peau ou encore pour sa viande dans la médecine traditionnelle. Un trafiquant peut être également impliqué dans la contrebande de plusieurs espèces. Cependant, dans la majorité des cas, les contrebandiers préfèrent se spécialiser dans une seule espèce pour laquelle ils ont un réseau d’acheteurs. Le trafic d’espèces sauvages représente désormais un domaine spécialisé du crime organisé.

Des contrôles renforcés mais toujours insuffisants

Les États sont donc confrontés à un défi de taille : celui de prévenir et de contrer le marché illicite d’espèces sauvages. En réponse à la progressive prise de conscience collective, le renforcement des contrôles a permis de révéler l’ampleur des trafics mais aussi de les réduire. Dans un contexte où les marchés évoluent avec la demande, les trafiquants s’adaptent sans cesse aux nouvelles restrictions imposées par les États.

Les criminels recourent fréquemment à des espèces alternatives aux espèces protégées, quand elles ont une valeur marchande équivalente à ces dernières. Par exemple, sur les marchés du bois, le remplacement d’essences est très courant, à tel point que les experts peuvent à peine distinguer les bois d’essences apparentées. De même, les espèces de pangolins africains ont été privilégiées après le resserrement des réglementations et la surexploitation de l’animal en Asie. Les os de léopard, de jaguar et de lion sont également apparus comme substituts dans le commerce des os de tigre.

La réglementation étant différente d’un pays à l’autre, les criminels se tournent vers les territoires où ils peuvent agir efficacement avec un faible risque de sanction. Par exemple, les trafiquants de pangolins établissent leur stockage d’écailles en République démocratique du Congo peu encline aux interdictions.

Les trafiquants profitent particulièrement du commerce en ligne qui remplace progressivement le commerce physique. Le e-commerce se développe et est devenu une autre forme d’échange grâce au fret express et aux plateformes d’envoi qui sont difficilement traçables et contrôlables en raison du volume des mouvements.

Enfin, le trafic d’espèces sauvages en captivité est une piste à considérer dans la mesure où certains de ces élevages sont exploités par des criminels pour approvisionner leur marché illégal. Certains pays autorisent l’élevage d’espèces sauvages en captivité pour des fins commerciales, ce qui encourage la demande des produits issus de ces animaux.

Alors que la pandémie de Covid-19 serait liée au commerce d’une espèce pourtant protégée en Chine continentale, il apparaît nécessaire de redéfinir notre relation avec la nature, et de répondre ainsi aux 17 objectifs de développement durable de l’ONU2. Parmi ces derniers, l’objectif 16.4 prévoit, d’ici à 2030, de « réduire nettement les flux financiers illicites et (…) lutter contre toutes les formes de criminalité organisée ».

Le suivi des profits issus du trafic d’espèces sauvages est peu exploité. Les groupes criminels opèrent au-delà des frontières, blanchissent le produit de leurs crimes, se livrent à des actes de corruption et s’emploient activement à faire obstruction à la justice. Leur logistique est complexe et sophistiquée, et leurs réseaux puissants, suggérant la nature organisée de ces crimes et la présence d’une multitude de parties prenantes impliquées dans le trafic.

Le rapport rappelle néanmoins que les États sanctionnent de plus en plus gravement les atteintes aux espèces sauvages. Cette criminalité étant de dimension globale, le rapport recommande aux États la constatation d’autres infractions pour poursuivre cette criminalité transfrontalière tel que le blanchiment d’argent ou la contrebande, l’idée étant de réduire la possibilité pour les trafiquants de profiter des lacunes réglementaires nationales.

Des marchés poreux et difficiles à réguler

La CITES ou la Convention de Washington vise à réguler le commerce international de plus de 35 000 espèces menacées d’extinction3, afin de préserver la biodiversité et de garantir une gestion durable des espèces de faune et flore sauvages. Tout mouvement transfrontalier de spécimens des espèces couvertes par la Convention doit être autorisé dans le cadre d’un système de permis.

Ainsi, tout franchissement de frontière d’une espèce CITES sans un certificat, avec un certificat non adapté ou un faux est illégal. Il demeure à la charge des États de mettre en œuvre les mesures nationales de lutte contre les atteintes aux espèces sauvages non couvertes par la CITES (comme la Convention de Berne4). Mais surtout, la CITES ne couvre qu’une partie des espèces sauvages connues.

Un effort est toutefois opéré par la CITES. Étant le principal fournisseur de données de World WISE, elle exige, pour les Parties depuis 2017 (Resolution Conf. 11.17 – Rev. CoP18), la communication d’un rapport annuel sur le commerce illicite et élargie chaque année le panel des espèces protégées.

Le flux de trafic d’espèces sauvages alimente principalement les marchés de détail illicites, mais aussi le commerce licite. Les industries légales peuvent être contaminées par l’introduction de l’offre illégale. Les marchés de rue sont une cible privilégiée de ce trafic mais ils n’expliquent pas à eux seuls les volumes d’animaux sauvages saisis illégalement chaque année. Ces tonnes de poissons, de bois et d’autres produits de la faune sont généralement commercialisés auprès de spécialistes.

De même, les connexions entre le marché licite et illicite concerneraient les espèces sauvages dont le commerce est régulé par des quotas, à l’image de l’anguille d’eau douce ou d’Europe (Anguilla anguilla) classée en annexe II de la CITES.

De cette façon, une grande partie de la faune acquise illégalement est finalement transformée et vendue sur un marché légal. En introduisant des produits illégaux sur les marchés licites, les trafiquants ont accès à un éventail beaucoup plus large d’acheteurs potentiels.

Conclusion

Le rapport mondial sur la criminalité liée aux espèces sauvages de 2020 fait suite, de manière plus détaillée, à la première édition publiée en 2016. Une véritable démarche de mise à jour et d’amélioration de ce recueil a été menée afin de comprendre les tendances et l’évolution de cette branche de la criminalité organisée.

Chaque étude de cas présentée dans ce rapport donne un aperçu de la manière dont le trafic d’espèces sauvages est perpétré, suggérant les mécanismes du commerce criminel qui profite des vulnérabilités réglementaires. La coopération internationale est donc la clé indispensable pour garantir aux générations futures un environnement diversifié, sain et durable.

Fanny Marocco

[1] Ayant vu le jour le 23 novembre 2010, l’ICCWC est une collaboration menée par 5 organisations intergouvernementales visant à fournir un appui coordonné aux agences nationales et aux réseaux régionaux de lutte contre la fraude en matière d’espèces sauvages. Les partenaires de l’ICCWC sont le Secrétariat de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES), Interpol, l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC), la Banque mondiale et l’Organisation mondiale des douanes (OMD). Retour

[2] Adoptés en septembre 2015 par l’ONU, les objectifs de développement durable définissent 17 priorités mondiales pour parvenir à un avenir meilleur et durable (dans une triple dimension environnementale, économique et sociale) pour tous à l’horizon 2030. Retour

[3] Les espèces de faune et de flore sont classées dans des annexes de I à III selon leur niveau de protection, l’annexe I étant la plus restrictives et n’autorisant le commerce que dans des conditions exceptionnelles. Retour

[4] La Convention relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel de l’Europe adoptée le 19 septembre 1979, à Berne. Elle est appliquée par les États membres via la directive n° 92/43/CEE du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages, ou plus communément la directive « habitats ». Retour


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