La Commission nationale de l’expérimentation animale va être rééquilibrée

Missions et composition de la CNEA :

La Commission nationale de l’expérimentation animale (CNEA) a été instaurée par le décret 87-848 du 18 octobre 1987 issu de la transposition de la directive du Conseil 86/609/CEE du 24 novembre 1986. Les attributions et la composition de la CNEA ont alors été fixées conformément à l’objectif de la directive qui était (art 1er) : « d’assurer en ce qui concerne les animaux utilisés à des fins expérimentales ou à d’autres fins scientifiques l’harmonisation des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres […] de manière à éviter qu’il ne soit porté atteinte à l’établissement et au fonctionnement du marché commun, notamment par des distorsions de concurrence ou des entraves aux échanges ».

Les diverses branches de la recherche scientifique et leurs intérêts respectifs se devaient d’être représentés à la CNEA, qui rassemblait, outre huit représentants des ministères concernés, trois représentants de la recherche publique, trois du secteur industriel privé, trois professionnels de l’expérimentation animale, et trois de la protection animale et de la nature (cf. articles 27 et 28 du décret de 1987, ultérieurement codifiés aux articles R. 214-116 et R. 214-117 du code rural). La représentation de la recherche était prééminente.

Parmi les missions assignées à la CNEA figurait l’examen des formations « des personnes appelées à utiliser des animaux à des fins scientifiques et expérimentales et celle des techniciens de laboratoire ». Durant la quinzaine d’années suivant la mise en œuvre de la directive 86/609/ CEE, sont apparues des divergences entre les États de l’Union, les uns ayant « adopté des mesures d’exécutions nationales garantissant un niveau élevé de protection des animaux », et d’autres se limitant à « appliquer les exigences minimales prescrites » dans ladite directive.

En conséquence, une nouvelle directive a été élaborée par le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne, puis signée le 22 septembre 2010, sous le titre Directive 2010/63/UE « relative à la protection des animaux utilisés à des fins scientifiques ». La nouvelle directive a affiché comme objet la mise en œuvre de « mesures pour la protection des animaux » (article premier), et comme règle générale, le « principe de remplacement, de réduction et de raffinement » (article 4).

Ces lignes directrices se trouvaient clairement indiquées par le considérant 2 de la directive, lequel rappelait que « le bien-être animal est une valeur de l’Union qui est consacrée à l’article 13 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ». La transcription de la directive dans le droit français a mobilisé les services ministériels ainsi que la CNEA, laquelle y a consacré treize séances (du 7 janvier 2011 au 29 novembre 2012), en veillant à intégrer toutes les exigences nouvelles du texte européen visant à assurer une préservation plus effective des animaux dans l’esprit de la nouvelle directive, dont la protection de l’animal est le souci prééminent.

Le décret et les arrêtés ont été signés le 1er  février 2013 et publiés au Journal Officiel du 7 février 2013*.

Une sous-représentation de la protection animale

Cependant, lors des travaux de rédaction des textes réglementaires, l’orientation de la nouvelle directive, axée sur la protection de l’animal et son bien-être, semble avoir été négligée ou omise en ce qui concerne la composition de la CNEA, malgré qu’elle soit clairement et totalement exprimée dans toutes les autres prescriptions du décret.

En sorte que le nouvel article R. 214-132 du code rural et de la pêche maritime créé par le décret de 2013 et dédié à nomination des membres de la CNEA, a repris les dispositions de l’article R. 214-117 du code rural créé par le décret du 18 octobre 1987, à quelques termes de vocabulaire près. Comme l’ancienne CNEA, la « nouvelle CNEA » comporte donc, outre huit directeurs de services représentants de l’État, neuf représentants de la recherche (trois de la recherche publique, trois du secteur industriel privé et trois professionnels de l’expérimentation animale), et trois représentants de la protection animale et de la nature.

Cette composition répondait à l’objectif de la directive de 1986, harmoniser les dispositions législatives, réglementaires et administratives des États, et éviter des distorsions de concurrence ou des entraves aux échanges. Elle comportait déjà une sous-représentation de la protection de l’animal, remarquée lors des séances de la CNEA, par exemple à l’occasion de certaines décisions prises par vote. Et ce déséquilibre a été exactement transféré dans le décret de 2013, sans tenir pleinement compte de l’objet fondamental de la directive de 2010 : l’article R. 214-132 du code rural et de la pêche maritime confirme la présence à la CNEA de seulement trois représentants de la protection animale.

Une quantité de travail disproportionnée

Le déséquilibre s’en trouve aggravé, car il en est résulté des conséquences négatives directes notamment sur la qualité d’exécution de l’une des missions qui sont assignées à la CNEA, l’examen des « formations des personnes appelées à concevoir les procédures expérimentales et les projets […], à utiliser les animaux à des fins scientifiques et à assurer l’entretien et les soins des animaux ».

Cet examen qui permet à la Commission de remettre un avis au ministre chargé de l’agriculture pour l’approbation desdites formations, qui nécessite que ces formations soient étudiées dans leurs moindres détails. Pour cela, chaque formation est présentée à la commission par deux rapporteurs, dont l’un qui y siège au titre de la protection animale, afin de se conformer à l’objet affiché de la directive. Les rapporteurs désignés à ce titre n’étant que trois à siéger, chacun a pu recevoir jusqu’à quatre dossiers à étudier et à présenter par séance lors des cinq réunions tenues depuis octobre 2014.

Dans ces conditions, ces rapporteurs (dont il faut rappeler qu’ils ont par ailleurs une activité professionnelle, une responsabilité ou une occupation associative) ne peuvent pas effectuer une étude attentive des dossiers qui leur sont attribués, en raison du nombre de points à vérifier dans chaque dossier, de la rigueur et de la clarté du rapport à fournir, des contacts souvent répétés qu’ils doivent avoir avec les responsables de ces formations pour en recevoir tous les éclaircissements, et de la responsabilité d’un rapporteur dans l’opinion qu’il doit se faire sur la qualité de la formation.

Par ailleurs, le nombre manifestement insuffisant des membres représentant la protection animale ne peut pas être compensé par la multiplication des séances de la CNEA, laquelle doit être réglementairement réunie deux fois par an. Leur nombre ne peut pas dépasser trois voire quatre séances annuelles, en raison des délais nécessaires à l’organisation d’une séance, de la possibilité de disposer de locaux au ministère de la Recherche, des disponibilités professionnelles ou personnelles de l’ensemble des membres de la commission, et du quorum minimal des présents afin qu’une séance puisse valablement se tenir.

Ces difficultés devaient impérativement être levées : il fallait corriger la composition déséquilibrée de la CNEA. Le défaut initial responsable de la situation est porté par l’article R. 214-132 du code rural et de la pêche maritime, qui a fixé la composition de la CNEA sans tenir exactement compte de la primauté accordée à la condition de l’animal sur laquelle insiste la directive. Cet article R. 214-132 du code rural et de la pêche maritime devait être modifié, dans le sens qu’a nécessité sa mise en œuvre pratique, c’est-à-dire que le nombre des membres de la CNEA désignés sur proposition « des organisations reconnues d’utilité publique de protection des animaux et de protection de la faune sauvage  » devait absolument être augmenté.

Un dénouement satisfaisant

Ces constatations et leur conclusion ont fait l’objet d’un courrier personnel que nous avons envoyé le 7  mars 2016 à M. Stéphane Le Foll, ministre en charge de l’agriculture, et à M. Thierry Mandon, secrétaire d’État chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche. Ce courrier a reçu l’appui du président Louis Schweitzer, qui le 26 avril a souligné auprès de M. Le Foll qu’il serait « opportun de rééquilibrer la composition de la commission qui comprend actuellement huit représentants des ministères, neuf représentants des expérimentateurs et trois représentants seulement de la protection animale » et que « l’augmentation de l’effectif de cette dernière catégorie, justifiée au plan des principes, serait un facteur d’efficacité pour le travail de la commission. »

À la mi-mai, nous étions inquiets de n’avoir pas reçu une réponse de la part des ministres. La CNEA tenant une réunion le 18 mai, nous avons pu l’informer de notre courrier du 7 mars : notre proposition a reçu l’approbation de la commission nationale. Et nous avons reçu, datée du 23 juin, la réponse officielle du ministère de l’Agriculture, signée du directeur général de l’Alimentation :

« J’ai l’honneur de vous informer que vos remarques ont été prises en compte par mes services. Aussi, la modification en ce sens de l’article R. 214-132 du code rural et de la pêche maritime a fait l’objet de discussions entre les deux ministères en charge de l’agriculture et de la recherche. La modification a par ailleurs été approuvée en séance par la CNEA du 18 mai 2016. Je vous confirme donc qu’une modification de la composition de la CNEA sera introduite par décret en Conseil d’État dans les prochains mois. »

Il est prévu que le nombre des représentants de la protection des animaux et de la faune sauvage soit doublé, passant ainsi de trois à six. Nous ne tairons pas notre satisfaction d’avoir pris l’initiative de réclamer cette modification réglementaire légitime et nécessaire, et de la voir acceptée. Mais nous ne tairons pas non plus le souci réel (et partagé) de devoir distinguer les trois nouveaux titulaires et leurs trois suppléants qui auront à siéger à la CNEA au titre de la protection animale.

Ces nouvelles personnes doivent être proposées par « des organisations reconnues d’utilité publique de protection des animaux et de protection de la faune sauvage », puis désignées par arrêté commun des ministres en charge de l’agriculture et de la recherche. Il est important de noter qu’à la CNEA, ces personnes ne siègent pas au titre de l’ONG dont elles sont (éventuellement) issues, mais au titre de la protection des animaux et de la protection de la nature : elles peuvent même, sous condition première de leur sensibilité à la condition animale, n’être membres ou adhérentes d’aucune ONG.

Ces représentants ont en charge de veiller, dans le cadre des missions assignées à la CNEA, à la prise en compte de toutes les dispositions réglementaires destinées à assurer le bien-être des animaux utilisés à des fins scientifiques. Mais il est absolument indispensable qu’elles possèdent les compétences scientifiques (et didactiques) nécessaires, et qu’elles adhèrent sans restriction aucune aux principes fondamentaux de la directive : le choix des personnes qui vont être à nommer doit se faire principalement sur ce critère de compétences, et secondairement sur leur disponibilité. Les travaux, réflexions et décisions de la Commission nationale de l’expérimentation animale impliquent une participation active, dénuée de tout a priori dogmatique comme de toute position extrémiste, et totalement libre de tout conflit d’intérêts, éléments qui sont incompatibles avec l’attitude de raison qui doit y régner.

Jean-Claude Nouët

NOR : AGRG 1231951D

Article publié dans le numéro 90 de la revue Droit Animal, Éthique & Sciences.

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