Le saumon transgénique n’est pas encore parvenu dans l’assiette

Au moment où l’aventure du saumon transgénique a été décrite ici, il était plausible de considérer qu’elle touchait à sa fin et trouverait bientôt une conclusion. Aujourd’hui, la saga se poursuit…

 Le saumon obtenu atteint en 18 mois au lieu de 30 sa taille de commercialisation.

Le saumon en question est un organisme génétiquement modifié (OGM) qui a été créé à partir de 1989 par l’entreprise AquaBounty Technologies (Maynard, Massachusetts). Il est issu de saumon atlantique dont le génome a été manipulé (« engineered ») en y insérant deux gènes ; l’un d’un saumon d’une autre espèce qui surexprime l’hormone de croissance, l’autre d’un poisson de la famille de la morue qui permet de grandir en eaux froides. Le saumon obtenu atteint en 18 mois au lieu de 30 sa taille de commercialisation. Il a été distingué « AquAdvantage », ceci souligne son intérêt zootechnique. Sur le plan expérimental sa création constitue une réussite incontestable mais comme l’objectif de cette création le destinait au commerce de l’alimentation humaine de nouveaux obstacles, réglementaires, étaient à franchir sur ce parcours.

C’est en 1995 que l’entreprise AquaBounty Technologies engage une procédure d’agrément aux USA auprès de la Food and Drug Administration (FDA) pour la mise sur le marché de la consommation humaine de ce saumon transgénique. En 2010, la FDA déclare qu’il est sain pour l’alimentation. En mai 2012, elle complète son évaluation environnementale mais ne la rend publique qu’en décembre. En 2013, période d’enquête publique sur ce document est prolongée de deux mois et s’achève le 26 avril.

En 2013, on peut donc penser que la procédure d’agrément va s’achever bientôt de façon positive (Ledford, 2013). Sans pour autant que des aspects de la commercialisation de saumon ne soulèvent des questions. Par exemple pour la FDA ce saumon ne présente pas de risque environnemental majeur tant qu’il est élevé à terre, dans des réservoirs clos. Le risque d’évasions intempestives d’individus élevés dans les parcs en mer et qui risqueraient de « polluer » le génome des saumons sauvages n’est cependant pas « une vue de l’esprit  ». En effet, des résultats communiqués récemment par des chercheurs norvégiens (Nature 536) montrent la présence de marqueurs génétiques provenant de saumons de « fermes » d’élevage dans le génome de 21 562 saumons atlantiques sauvages (Salmosalar) provenant de 147 sites autour de la Norvège. Quelle garantie existe que les élevages seront toujours conduits à terre dès lors qu’AquaBounty Technologies pourrait être amenée à commercialiser non pas les poissons OGM eux-mêmes mais leurs œufs à des éleveurs de pays étrangers, au Canada, au Chili, en Argentine ou en Chine ?

Le 19  novembre 2015, la FDA autorise enfin la vente comme aliment le saumon AquAdvantage (Ledford,2015) sans d’ailleurs imposer qu’il soit labellisé comme étant un OGM. Au terme des 20 années qu’il a passées dans les limbes de la réglementation, ce saumon serait donc sur le marché. Certes, mais lequel ? En effet, malgré la décision prise en novembre par la FDA, les Américains ne mangeront pas ce poisson de sitôt car le 29 janvier 2016 cette même FDA a interdit les importations de saumon à croissance rapide produit par AquaBounty Technologies au Panama et au Canada (Nature, 530). Ce nouveau contretemps est consécutif à un texte de décembre 2015 émanant du Budget US qui interdit les ventes de ce poisson jusqu’à ce que la FDA décide s’il devrait être labellisé comme génétiquement modifié. Dans quel délai cette agence donnera-t-elle sa réponse ? Il est urgent que la commercialisation légale du saumon AquAdvantage apporte la preuve que l’entreprise AquaBounty Technologies a réussi ou non dans son projet.

On ne manquera sans doute pas d’être perplexe quant à la durée du « feuilleton  ». Certains commentateurs ont fait allusion à des interventions retardataires liées à des motifs autres que scientifiques ou juridiques cependant que d’autres, en défense, expliquent que la lenteur a résulté du caractère unique et nouveau que constituait la demande d’agrément de ce saumon OMG. Ce cas initial permettra-t-il à d’autres demandes d’agrément ultérieures d’aboutir plus rapidement ? En tout état de cause, en 2015 (Ledford,2015), la FDA refusait d’indiquer si d’autres demandes d’agrément d’animaux OGN étaient en cours d’examen. Qu’adviendra-t-il des procédures d’agrément concernant des animaux dont le génome aura été altéré autrement que par l’insertion de gènes étrangers, selon la technologie d’édition du génome dite CRISPR- Cas9 (voir revue n°86) par exemple ?

Alain Collenot

Article publié dans le numéro 91 de la revue Droit Animal, Éthique & Sciences.

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