À propos du bien-être animal, un coup d’œil dans le rétroviseur

Le 20 mars 2008, la LFDA avait lancé une alerte sur les différences entre les termes bien-être et bientraitance des animaux, afin d’informer les associations et fondations Fondation assistance aux animaux, Fondation Brigitte Bardot, Fondation 30 millions d’amis, Confédération nationale des SPA de France, Conseil national de la protection animale, Œuvre d’assistance aux bêtes d’abattoirs, Protection mondiale des animaux de ferme, Société nationale de défense des animaux, et Société protectrice des animaux.

Ce courrier préludait aux Assises Animal et Société, qui allaient s’ouvrir en juin. Le président et le directeur de la LFDA voulaient attirer l’attention sur le risque éthique considérable de l’utilisation du concept de « bien-traitance », alors envisagée officiellement, y compris au sein du Bureau de la protection animale, dont un représentant devait se rendre à Bruxelles pour présenter cette demande. Nous reprenons ci-dessous les termes de ce courrier, toujours d’actualité.

"Le néologisme bien-traitance, qui ne figure dans aucun dictionnaire de la langue française, est créé en symétrique opposé de la maltraitance. Son emploi, pour remplacer le mot et le concept de bien-être animal, est notamment recommandé par certains vétérinaires (dont le président de l’Académie vétérinaire), le Comité Noé (coalition de la Fédération nationale de la chasse, de la Fédération des sociétés taurines de France et de la Fédération d’éleveurs Pro Natura), et même le ministère de l’Agriculture, le chef du bureau de la protection animale ayant fait part de son intention de demander à la Commission de l’utiliser dans les versions en français des textes communautaires. Or les deux termes ont des significations différentes.

Le bien-être animal est un état d’harmonie physique et mental. Il est conditionné par l’intégrité de l’organisme et la satisfaction non seulement des besoins physiologiques, mais aussi des besoins comportementaux.

Le bien-être animal est un état d’harmonie physique et mental. Il est conditionné par l’intégrité de l’organisme et la satisfaction non seulement des besoins physiologiques, mais aussi des besoins comportementaux. Ces besoins sont propres à chaque animal (chaque espèce, chaque race, chaque sexe, voire à chaque individu). Il s’évalue à partir d’une panoplie d’indicateurs et de tests selon trois approches scientifiques combinées : l’approche adaptative, l’approche comportementale, l’approche neurobiologique de l’émotion.

L’approche adaptative postule que le bien-être repose sur le niveau d’adaptation de l’animal aux conditions du milieu dans lequel il est placé.

Les indicateurs utilisés sont essentiellement physiologiques et mesurent le stress (fréquence cardiaque, taux d’hormones de stress circulantes…) ainsi que zootechniques, lesquels concernent la production et la rentabilité (gain de poids, production lactée, taux de reproduction, taux de mortalité, taux de morbidité, taux de blessures).

L’approche comportementale privilégie le fait que le bien-être repose sur la libre expression de l’ensemble du répertoire comportemental, génétiquement propre à l’espèce ou à la race, dans un environnement approprié. Elle utilise des tests de préférence et de motivation ainsi que des indicateurs comportementaux.

L’approche cognitiviste de l’émotion centre le bien-être sur l’état mental qui résulte de l’absence d’émotions négatives (peur, douleur, frustrations) et de la présence d’émotions positives (plaisir, curiosité, degré d’attention). L’état mental de l’animal est dès lors conditionné par la manière dont il perçoit son environnement.

Pour faire simple, « bien-traiter » un animal, c’est ne pas le maltraiter et lui assurer sa vie physiologique, mais ce n’est pas nécessairement assurer son bien-être.

La bien-traitance quant à elle prétendrait concerner l’ensemble des modalités d’organisation et de techniques mises en œuvre par l’homme pour maintenir le bienêtre d’un animal ou le rétablir. Pour faire simple, « bien-traiter » un animal, c’est ne pas le maltraiter et lui assurer sa vie physiologique, mais ce n’est pas nécessairement assurer son bien-être.

Ne pas battre un animal, ne pas le blesser, le soigner, lui offrir un abri approprié à son confort climatique, le nourrir et lui donner à boire de façon appropriée, suffit souvent à dire qu’on le traite bien. Mais les conditions de détention donnent-telles par exemple à l’animal l’espace et les substrats nécessaires à ses comportements actifs ? Le temps nécessaire pour explorer l’environnement et rechercher la nourriture? Lui offrent-elles la possibilité d’exprimer ses comportements sociaux et affectifs ? Ne l’exposent-elles pas chroniquement à des signaux nociceptifs non perçus par l’homme (ultrasons, phéromones, odeurs désagréables, etc.) ? Offrent-elles des distances suffisantes entre animaux pour éviter les comportements agressifs causes de blessures (caudophagie, picage, coups de cornes) ? Rien n’est moins sûr.

Par ailleurs la sélection génétique peut induire de graves difficultés qui ne dépendent aucunement de la manière dont les animaux sont traités : citons pour exemple, les souches de poulets à croissance rapide présentant boiteries et risques sévères de fractures des pattes, les races de bovins à arrière train surdéveloppé obligeant à des mises bas par césarienne, les races de bovins à très haut rendement laitier exposés aux mastites, désordres digestifs et boiteries chroniques….

Proposer d’utiliser le terme bien-traitance dans les textes français réglementaires, pour traduire le terme anglais de welfare (jusqu’à présent traduit en français à juste titre par bien-être) utilisé dans les textes législatifs réglementaires internationaux et européens, relève au mieux de la méconnaissance linguistique puisque tous les dictionnaires anglais-français traduisent welfare par bien-être voire par bonheur, et relève au pire de la manipulation. Le concept de bien-traitance met l’accent sur la qualité des conditions de vie que l’homme accorde à l’animal placé sous sa dépendance et sa tutelle, et ne prend pas en compte sa sensibilité propre. Il exclut la possibilité que l’animal puisse exprimer le comportement propre à son espèce, et puisse en ressentir une satisfaction. Il exclut que l’animal soit possesseur de droits et implique que l’animal ne peut être qu’objet de devoirs de l’homme.

Au-delà des polémiques sémantiques et philosophiques, il faut bien mesurer la portée négative pour l’animal des conséquences éthiques et juridiques considérables que serait en France l’introduction de « bien-traitance » des animaux à la place de « bien-être des animaux » dans les textes réglementaires. La législation française donne surtout des obligations de moyens mais très peu d’obligations de résultats. Or l’obligation de résultats est précisément d’assurer le bien-être des animaux, à qui il convient de reconnaître leur nature d’être sensible dans un Droit positif qui cesse d’être un Droit négatif, lequel se limite à interdire et à sanctionner ce qui est défini comme des actes à ne pas commettre."

Le courrier de La Ligue Française des Droits de l’Animal de 2008 se terminait en recommandant vivement d’être extrêmement vigilants et cohérents sur cette question bien-être/bien-traitance – droits/ devoirs, au cours des travaux des trois groupes des Assises Animal et Société auxquels les ONG allaient participer. Il attirait une particulière attention sur le fait que le président du groupe n° 3 et son vice-président étaient des partisans de l’utilisation du concept de bien-traitance à la place du concept de bien-être. Le premier Jérôme Bignon, l’était en raison de ses liens étroits avec la Fédération nationale de chasse, l’industrie du foie gras et le Comité Noé, le second Claude Milhaud, alors président de l’Académie vétérinaire de France, pour des raisons discutables de sémantique et de « pragmatisme ».

La polémique s’est effacée ensuite sous l’autorité et l’influence déterminante de l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE) qui, dans son Code sanitaire affinait la définition du bien-être animal pour parvenir, de façon claire aux "cinq principes" ou "cinq libertés" :

  • absence de faim, de soif et de malnutrition,
  • absence de peur et de détresse,
  • absence de stress physique et thermique,
  • absence de douleur, de lésions et de maladie,
  • possibilité pour l’animal d’exprimer les comportements normaux de son espèce, une condition majeure, qui notamment condamne l’élevage intensif en général, et le gavage en particulier.

Mais les tenants de la « bien-traitance » veillent toujours, et ne manquent pas soit de glisser le terme ici et là à l’occasion d’un article ou d’une interview, soit de se référer au « bien-être » alors que l’animal se trouve dans une situation qui lui est contraire, comme le font régulièrement les partisans de l’élevage intensif, dont Mme Christiane Lambert, présidente de la FNSEA, chantre prolixe qui en vante le confort des bêtes qui le subissent dans la contrainte, et les qualités de ce qui en sort…

Continuons d’être vigilants, et exigeants.

Jean-Claude Nouët

Note : l'ANSES* vient de mettre à jour sa définition du bien-être animal (avril 2018) :

Le bien-être d’un animal est l’état mental et physique positif lié à la satisfaction de ses besoins physiologiques et comportementaux ainsi que de ses attentes. Cet état varie en fonction de la perception de la situation par l’animal.

*Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail

Article publié dans le numéro 96 de la revue Droit Animal, Éthique & Sciences.

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