Étiquetage bien-être animal : une action phare pour la LFDA

En coalition avec l’association AEBEA, la LFDA s’engage pour un processus d’étiquetage du bien-être animal à afficher sur les emballages alimentaires afin de faire connaître aux consommateurs les conditions d’élevage, transport… de la viande consommée.

© Association Etiquette Bien-être animal

Contexte et enjeux

Les consommateurs souhaitent être informés ; ils se disent prêts à payer plus pour plus de bien-être animal. Par ailleurs, cette dernière décennie, la réglementation, tant au niveau européen que national, n’évolue plus, même si des signes récents peuvent laisser penser à un réinvestissement : le Conseil de l’UE s’intéresse aux démarches d’étiquetage, la présidence allemande actuelle du Conseil de l’UE s’en préoccupe également car l’Allemagne est en train de statuer sur une démarche nationale. En France, avec les Etats Généraux de l’Alimentation en 2017, les ONG pro-animaux deviennent des partenaires privilégiés pour représenter la société civile dans les espaces de débat public et auprès des entreprises comme de l’ensemble du monde agricole. Dans ce contexte, une initiative originale s’est développée depuis 2018 : un étiquetage bien-être animal des produits de volailles de chair, à l’initiative d’un partenariat initial entre la LFDA, Casino, CIWF et l’OABA. L’enjeu porte sur l’information du consommateur sur les pratiques en matière de bien-être animal à tous les stades de la production (de la naissance à l’abattage). Le but est, par l’information, de pousser à la transformation des modes de production vers des systèmes plus vertueux, à l’instar de ce qui s’est passé en 40 ans avec l’étiquetage des modes d’élevage des poules pondeuses.

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Une expression de la singularité de la LFDA dans un partenariat avec le secteur privé

Dans le paysage des associations welfaristes, depuis quarante ans, l’activité de la LFDA passe par une production discursive et intellectuelle conséquente. Elle se positionne sur de nombreux sujets pour faire évoluer le droit dur par les avancées scientifiques. En outre, elle ne s’appuie pas sur une base militante, avec un déficit de visibilité publique. Comment cette singularité de la LFDA s’est-elle mise en place ? Cela lui a-t-il permis un accès privilégié aux pouvoirs publics ? Cherche-t-elle à se démarquer des pouvoirs publics pour infléchir les pratiques qu’elle dénonce par d’autres partenariats ? Sa singularité aujourd’hui s’exprime-t-elle par une rupture dans sa stratégie ou au contraire une remarquable continuité ? Risque-t-elle d’y perdre son identité ?

Une trajectoire singulière de la LFDA marquée par des compétences distinctes

La LFDA a montré sa singularité au cours de son histoire par plusieurs aspects : ses membres se sont engagés par des ressorts affectifs associés à des valeurs vers une formalisation discursive (expression verbale écrite ou orale rationnelle) de la science au droit, partant de leurs compétences. Elle se caractérise par une indignation raisonnable et raisonnée au service de la cause animale Cela a constitué le cœur de métier de la LFDA. Pour le porter, la LFDA est de nouveau singulière en ce qu’elle s’appuie sur un statut refusant la politique interne, le militantisme et l’idéologie, pour développer une stratégie reposant sur la notoriété de ses membres. Face aux pressions externes, la LFDA a donc développé des compétences distinctes : une activité intellectuelle et une production pluridisciplinaire reconnue, portées par des personnalités éminentes dans les domaines des sciences et du droit. Ces compétences distinctes lui ont permis un accès privilégié aux pouvoirs publics, dans son objectif de porter des évolutions dans le droit dur (c’est-à-dire le droit constitué de normes contraignantes réglementées), au bénéfice des animaux.

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La construction de la démarche d’étiquetage du bien-être animal : des compétences nouvelles pour construire un instrument fédérateur dans la soft law

Avec la mise à l’agenda du sujet du bien-être animal par les adeptes du dévoilement (« lanceurs d’alerte »), et l’absence d’évolution des normes relatives au bien-être animal du côté des pouvoirs publics, la LFDA va déployer des compétences distinctes renouvelées. Des champs d’action se sont ouverts dans des zones d’incertitude, offrant un espace pour une action dont une des conditions de réussite sera de fédérer le plus grand nombre d’acteurs-clés. La LFDA, convaincue que l’évolution ne peut venir actuellement que du droit souple (soft law) pour atteindre à terme le droit dur, veut être le déclencheur d’une action en faveur de l’information du consommateur basée sur des démarches volontaires. Son président Louis Schweitzer va engager la LFDA sur la voie de la soft law, dans la continuité de l’expérience relative à l’étiquetage des œufs coquilles. En effet, La LFDA a été marquée dans son histoire, à partir des années 1980, par les combats juridiques qui aboutiront à l’étiquetage des modes d’élevage des poules pondeuses. La LFDA va utiliser son influence par son président pour faire naître un partenariat avec le groupe Casino, auquel seront associées CIWF et l’OABA au départ. Il s’agit de créer un « instrument souple », plus que dans les normes qu’il porte, qui elles vont bien correspondre à des règles définies.

Il n’y a pas de remise en cause à proprement parler du cœur de métier de la LFDA, de la science au droit, puisqu’on va vers le droit. La nouvelle orientation réside dans la construction de la démarche qui va s’appuyer sur des partenariats nouveaux, avec le monde de l’entreprise notamment. Il ne fait pas de doute que les sciences restent le garant de la solidité du discours. L’idée est de produire une étiquette pour tous, sur tous les produits d’une filière. Un discours va être construit pour définir un instrument d’étiquetage du bien-être animal. Un référentiel solide va être mis au point, ainsi qu’une étiquette. En investissant la soft law, c’est un nouveau mode d’action qui se met en place. Il ne s’agit pas ici de produire de la connaissance pour modifier ou faire évoluer le droit dur, mais de développer un outil précurseur, susceptible d’occuper l’espace laissé libre par l’absence de normes publiques. Il y a donc un continuum du droit souple au droit dur. Il n’est pas question d’une vision libérale où toute démarche est libre et n’aboutit surtout pas une norme. La stratégie envisagée est donc une voie de contournement mais l’objectif final porte bien sur le droit dur, pour faire évoluer les conditions d’élevage.

La première étiquette va apparaître dans les rayons en décembre 2018. À la suite, des producteurs performants comme les Fermiers de Loué et les Fermiers du Sud-Ouest vont s’engager dans la démarche, tandis que l’association welfariste Welfarm rejoindra le collège des ONG. Le discours remporte l’adhésion et le référentiel est vu comme un outil novateur de qualité et applicable. Cependant, loin de l’objectif final de tout étiqueter, l’étiquetage bien-être animal s’apparente pour le moment à un label, puisque ne sont visibles dans les rayons que des produits A et B. Il apparaît que le niveau C n’ait pas suffisamment pris en considération la transformation à opérer pour être atteint par les éleveurs : en effet, passer de D à C porte à la fois sur des investissements et des changements de pratique conséquents pour les éleveurs. En outre, des résultats relatifs aux volumes des ventes par note ne sont pas encore disponibles, et une demande de transparence se fait entendre, malgré les actions en communication entreprises en 2018, 2019 et 2020.

L’objectif est que l’étiquetage bien-être animal occupe la place, de façon à pouvoir prétendre à une reconnaissance par les pouvoir publics, puis atteindre le droit dur si une réglementation sur l’étiquetage du bien-être animal venait à se mettre en place. Si les acteurs souhaitent à terme une réglementation relative à l’étiquetage bien-être animal au niveau européen, ils veulent d’abord que la démarche s’implante au niveau national par sa solidité et en étant la seule. C’est à cette condition qu’ils pourront peser au niveau européen et faire valoir leurs pratiques, si des discussions s’engageaient entre États membres vers une harmonisation.

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S’imposer dans l’espace par la coalition d’acteurs et la tentative de circonscription des initiatives concurrentes

La création de l’association étiquette bien-être animal (AEBEA) en janvier 2019 va être la structure pour favoriser l’élargissement de la coalition. Les statuts sont prévus pour que les ONG restent maîtresses de l’étiquette et du référentiel, tout en facilitant l’adhésion de toute entreprise qui souhaite étiqueter. La coalition d’acteurs initiale solide autour de l’instrument (discours et référentiel) va permettre de poursuivre la trajectoire tracée initialement, tout en étant capable de l’infléchir et d’y apporter des modifications, dans l’optique d’imposer l’instrument dans l’espace de la soft law. La démarche peut tout aussi bien séduire par sa solidité, que freiner par une forme de rigidité. Il faut embarquer d’autres distributeurs et producteurs qui sont les cibles pour atteindre le consommateur.

La démarche parallèle du Laboratoire d’innovation territoriale ouest terre d’élevage (LIT Ouesterel), formé en 2017 pour accompagner l’élevage dans son engagement pour le bien-être des animaux, impliquant toutes les parties-prenantes et porté par l’INRAE, va apporter une clé essentielle pour élargir la coalition. Si le rapprochement des deux avait échoué, il aurait pu signer le cantonnement du projet initial à une niche, voire son extinction. Une rencontre entre le PDG de l’INRAE et le président de la LFDA début 2019 va permettre de définir une stratégie pour que l’étiquette de l’AEBEA soit la seule existante, par un processus de convergence avec le LIT qui visera à intégrer les modes d’élevage à l’étiquette, ainsi qu’un niveau supplémentaire : une nouvelle marche (D) qui précède le premier niveau apportant des améliorations significatives pour le bien-être animal (C). L’inclusion de cette nouvelle marche intermédiaire, valorisant des plans de progrès des producteurs, sera le sujet de compromis fédérateurs de la convergence, marquant la principale adaptation du discours en faveur de la coalition. Le 20 décembre 2019, après une année de négociations, la convergence aboutit à un référentiel revu et une nouvelle étiquette affichant le nouveau niveau et une illustration du mode d’élevage. Elle permet une coalition d’acteurs puissante en mesure d’occuper l’espace avec la proposition qu’elle porte. De nombreux acteurs de la distribution et de la production vont s’engager avec l’AEBEA et doivent étiqueter d’ici fin 2020, même si la lutte contre la pandémie de Covid-19 va venir ébranler les ambitions.

Dans le même pas de temps, à la suite des EGA, un groupe de concertation va être formé au Conseil national de l’alimentation par saisine du ministère de l’Agriculture en juillet 2018 puis mandat en février 2019, pour produire un avis sur une expérimentation d’un étiquetage des modes d’élevage (EME). Les débats sur l’EME vont aboutir à un avis en juillet 2020, relatif à une expérimentation sur deux scénarios qui ne font pas complètement consensus. L’État réintègre l’objectif, si ce n’est d’une nouvelle réglementation, type droit dur, en tout cas d’une expérimentation sur le sujet de l’étiquetage, peut-être pour tenter d’orienter ou de comprendre ce qui se passe dans la soft law en matière d’étiquetage. S’il devait à un moment réglementer, il faut qu’il soit au fait de ce qui se passe. On voit ici finalement l’État-stratège qui est à l’œuvre, dont les logiques issues du New Public Management (NPM) visent notamment à séparer les fonctions stratégiques et les fonctions opérationnelles.

La LFDA, emmenée par Louis Schweitzer, a voulu prendre un chemin de traverse avec la coalition, en se passant des pouvoirs publics. L’AEBEA ressort renforcée dans ce débat en imposant son projet. La coalition est formée, mais des zones d’ombre existent. La majorité des éleveurs qui ont des systèmes intensifs sont difficiles à embarquer, tant dans un étiquetage qui les stigmatise, que vers une évolution de leurs modes d’élevage. Les représentants des filières sont des acteurs puissants qui ne font pas partie de la coalition, même si des signes de rapprochement avec les ONG pro-animaux, celles membres de l’AEBEA notamment, se font jour à la suite de la loi EGAlim. L’étape ultime étant d’obtenir un étiquetage à l’échelle européenne, il est indispensable que l’étiquetage actuel s’étende à tous les produits d’une filière (de A à E), et surtout, à d’autres filières. D’ailleurs, les travaux ont commencé sur la filière porc au comité technique de l’AEBEA. C’est une des conditions pour espérer être reconnu par les pouvoirs publics.

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Conclusion

L’approche pragmatique privilégiée a permis de montrer la construction d’un discours (policy stream) relatif au problème public du bien-être animal (problem stream), dans un contexte donné favorable (political stream). Puis la construction d’une coalition pour porter ce discours, et enfin les épreuves que doit affronter la coalition dans l’espace public en particulier, et dans les enjeux à venir. La LFDA a ainsi toujours été singulière en ce qu’elle a servi à porter la voix de ses présidents et des experts qui la composent au bénéfice de la cause animale.

C’est peut-être la LFDA qui avait le plus à perdre à mesure que l’État devenait moins interventionniste, notamment en matière de bien-être des animaux d’élevage. Si l’État avait besoin d’ONG là où il n’agissait plus, le cœur de métier de la LFDA, de la science au droit dur, devenait une prestation moins utile pour les pouvoirs publics. On observe une professionnalisation et le développement d’une expertise technique dans le domaine de la RSE notamment, chez ses collègues welfaristes. Avec les EGA, les pouvoirs publics favorisent cette action des ONG dans le domaine de la condition animale, notamment des animaux d’élevage. Concurrence entre acteurs, problème de financements, commercialisation des activités, risque de servir de caution morale, sont les écueils à éviter pour nombre d’entre elles. Mais Louis Schweitzer n’a pas engagé la LFDA dans cette voie. Déjà, le statut de la LFDA en fait une structure apolitique qui favorise un pouvoir fort de son président. De surcroît, il n’y a pas de militantisme à proprement parler. Si l’État réintègre l’objectif d’information du consommateur par l’étiquetage, ce n’est pas la LFDA qui va en subir les conséquences.

Finalement, tout se passe comme si la LFDA était toujours protégée d’une manipulation par les pouvoirs publics de par ses présidents, son statut apolitique, sa compétence intellectuelle distincte qui en font une structure insaisissable, en dehors des considérations relatives aux débats sur les mouvements sociaux ou le rôle des ONG avec ou à côté de l’État. Comme si elle survolait la cause et utilisait le pouvoir de ses membres en tant que de besoin, sans jamais être réellement visible ou atteignable. Elle est caractérisée par une trajectoire d’une remarquable continuité, au travers des compétences distinctes qu’elle met en œuvre pour répondre aux pressions externes et internes. Elle se place dans le cours de l’action et a évolué avec les politiques publiques qu’elle tente d’infléchir, mais en étant une structure stable qui domine l’action. Pour ce faire, elle mise sur l’inventivité et la liberté de ses membres, et particulièrement de son président, qui finalement mettent leur notoriété au profit de la cause animale.

Emmanuelle HESTIN

Inspectrice de Santé Publique Vétérinaire

Cet article est basé sur le mémoire de stage « Modes d’action de la LFDA au travers de l’étiquetage bien-être animal – Une expression de la singularité de la LFDA dans un partenariat avec le secteur privé » [PDF] réalisé d’avril à juillet 2020 à la LFDA sous la direction de Jérôme Michalon dans le cadre du Master Politiques Publiques et Gouvernements Comparés, parcours « Politique de l’Alimentation et Gestion des Risques Sanitaires » (PAGERS) à l’IEP de Lyon et à l’École Nationale des Services Vétérinaires.

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