Foie gras : quand l’argent public entretient un modèle agricole contesté

Oie cendrée

Un rapport préliminaire de l’Observatoire des Subventions et Aides Agricoles (ObSAF), publié le 12 décembre 2025, met en lumière l’ampleur et la nature des soutiens publics accordés à la filière foie gras en Nouvelle-Aquitaine entre 2022 et 2025. Cette analyse détaillée interroge la cohérence des politiques publiques agricoles au regard des enjeux économiques, environnementaux et de bien-être animal, dans un contexte où le gavage demeure une pratique fortement contestée.

Dépendance à l’argent public

La Nouvelle-Aquitaine concentre plus de la moitié de la production nationale de canards gras, avec plus de dix millions d’animaux abattus en 2023. Derrière ce poids productif se cache une dépendance marquée à l’argent public. Sur la période étudiée, près de 13,8 millions d’euros de subventions ont été identifiés pour la seule région, principalement en provenance de l’Union européenne et du conseil régional. Les fonds européens, notamment via le FEADER et son plan de relance post-Covid, représentent à eux seuls près de 60 % des aides recensées, tandis que la Région en finance plus d’un tiers . Ces financements soutiennent prioritairement la modernisation des élevages, la mise aux normes sanitaires et la biosécurité, notamment dans le cadre des crises répétées d’influenza aviaire. Ils visent officiellement à renforcer la résilience des exploitations, mais contribuent aussi à la reproduction d’un modèle intensif fondé sur des volumes élevés et une forte concentration des acteurs.

Les données agricoles analysées dans le rapport montrent une évolution structurelle claire. Entre 2010 et 2020, le nombre d’exploitations élevant des canards gras a chuté de près de moitié en France, tandis que la taille moyenne des élevages a fortement augmenté. En Nouvelle-Aquitaine, le nombre moyen de canards par exploitation est passé d’un peu plus de 2 000 à plus de 4 000, signe d’une intensification marquée . Ce phénomène est largement soutenu par les politiques publiques, qui favorisent les investissements lourds, la structuration de filières longues et l’intégration verticale autour de grands groupes coopératifs ou industriels. Les petites exploitations, moins capitalisées, sont les premières à disparaître, renforçant la dépendance économique des territoires ruraux à un nombre restreint d’acteurs.

Au cœur de la production de foie gras se trouve le gavage, pratique d’un autre temps, incompatible avec le bien-être animal. Pourtant, les aides publiques identifiées par l’ObSAF ne sont assorties d’aucune conditionnalité spécifique en matière de réduction de la souffrance animale. Les dispositifs de soutien se concentrent sur la continuité productive, la gestion des crises sanitaires et la valorisation économique de la filière, sans remise en cause du principe même du gavage.


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un modèle intensif dominant

Les labels mis en avant par la filière, notamment l’IGP « Canard à foie gras du Sud-Ouest » ou le Label Rouge, sont souvent présentés comme des garanties de qualité et de respect du bien-être animal. L’analyse de leurs cahiers des charges montre pourtant que les densités d’élevage restent élevées et que l’accès au plein air est limité, voire entièrement suspendu lors des périodes de risque sanitaire, sans que la certification ne soit remise en cause.

Le rapport souligne également de sérieuses difficultés d’accès aux documents administratifs. Sur les treize collectivités sollicitées, seules sept ont transmis les informations demandées, certaines administrations n’ayant pas répondu ou ayant opposé un refus explicite. Cette opacité complique l’évaluation précise de l’utilisation des fonds publics et empêche toute analyse fine de leur répartition entre types d’exploitations ou pratiques d’élevage.

Par ailleurs, une part significative des soutiens publics échappe à l’analyse, notamment les aides relevant d’autres politiques économiques ou territoriales, comme les financements FEDER destinés à la modernisation industrielle. Ces dispositifs, bien que formellement extérieurs à la politique agricole, contribuent eux aussi à consolider l’aval industriel de la filière.


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Notre position

Pour dépasser les idées reçues, un livret clair et rigoureusement sourcé, intitulé Le foie gras, une gourmandise au prix de la souffrance, a été publié par la LFDA afin de répondre aux questions essentielles relatives au gavage, à la réglementation et aux enjeux éthiques soulevés par cette production. Fondé sur des études scientifiques et des sources institutionnelles, il vise à permettre au public de disposer d’une information complète et accessible. Une version papier peut également être commandée.

À l’heure où les pouvoirs publics affichent des objectifs de transition écologique, de réduction des émissions et de prise en compte du bien-être animal, les enseignements de ce rapport posent une question centrale : est-il cohérent de continuer à soutenir massivement, avec de l’argent public, une filière reposant sur une pratique de plus en plus contestée par la société et incompatible avec les connaissances scientifiques actuelles sur la sensibilité des animaux ?

Le rapport ouvre des pistes claires qui sont poussées par le plaidoyer de la LFDA : renforcer la transparence, conditionner les aides publiques à des objectifs mesurables de transition, et accompagner les exploitations vers des modèles alternatifs, notamment végétaux.

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