Analyse critique du rapport du Comité scientifique de la santé et du bien-être animal sur la protection des palmipèdes « à foie gras »

La demande de la Commission européenne, le Comité scientifique de la santé et du bien être animal a rendu un rapport sur le gavage des palmipèdes et la production de foie gras. Ce rapport, adopté le 16 décembre 1998, a été peu diffusé. Il n’a pas été imprimé, n’est disponible que sur Internet, et a été rédigé uniquement en langue anglaise. La LFDA en propose une analyse critique.

Introduction

Il a été présenté succinctement aux associations de défense de l’animal le 11 janvier 1999 au Ministère de l’Agriculture. La Fondation Ligue Française des Droits de l’Animal ne s’est pas contentée de ce résumé. Inquiétée par ces conditions d’une information pour le moins réduite, elle s’est procurée la version intégrale du rapport (93 pages) et en a financé la traduction afin d’en faire une étude exhaustive qui fait l’objet de la présente analyse critique.

Il résulte que le rapport scientifique communautaire :

  1. démontre que la pratique du gavage est une cause de stress, de souffrances, de blessures et d’accidents et constate que la suralimentation provoque une stéatose pathologique du foie.
  2. mais pourtant, tout en concluant que « le gavage, tel qu’il est actuellement pratiqué, nuit au bien-être des palmipèdes« , ne le condamne pas et assortit sa conclusion de diverses recommandations , notamment socio-économiques, permettant qu’il soit poursuivi.
  3. et surtout, est entaché d’une contrevérité scientifique majeure, à savoir que la stéatose hépatique de l’oie et du canard mulard est un phénomène physiologique naturel lié au caractère migratoire des oiseaux.

M.D.J. Alexander, malgré son opinion minoritaire au sein du Comité scientifique, a néanmoins demandé que sa réflexion figure au rapport. Selon lui :

« La seule recommandation justifiée que le Comité puisse formuler en toute validité serait de préconiser que l’on mette fin au gavage des palmipèdes et que le meilleur moyen de ce faire soit l’interdiction de la production, de l’importation, de la distribution et de la vente du foie gras ».

Plan du rapport :
1re Partie : Le constat du mal-être animal
A) L’acte de gavage
1) Une administration « forcée » des aliments
2) Une cause de stress, de souffrance, de blessures et d’accidents
3) Une pratique contraire au droit européen et au droit français
B) Le mode de détention
1) Une cause de stress, de souffrances et de blessures
2) Une pratique contraire au droit européen et au droit français
2e Partie: La contrevérité scientifique majeure
A) La stéatose hépatique: phénomène physiologique naturel lié au caractère migratoire des oiseaux ?
1) Les références au stockage physiologiques normal chez le migrateur pour justifier la stéatose hépatique
2) L’état physiologique des migrateurs en phase prémigratoire
3) Un rapport en contradiction flagrante avec les connaissances scientifiques
B) Une surcharge alimentaire contraire au droit européen et au droit français
1) Le droit européen
2) Le droit français
Conclusion
Annexes

Première Partie : Le constat du mal-être animal

Le rapport communautaire indique que la stéatose hépatique est une pathologie du foie, précisant qu’une maladie, par sa définition même, constitue un état pathologique et que toute stéatose excessive mène inévitablement à la mort. Au delà, il démontre que la pratique du gavage est une cause de stress, de souffrances, de blessures et d’accidents, que ce soit l’acte de gavage lui-même (A), ou le mode de détention des palmipèdes « à foie gras » (B).

A – L’acte de gavage

1) Une administration « forcée » des aliments

Le rapport du Comité scientifique fait référence à cette notion de contrainte à plusieurs reprises :

  • Rapport, 3-2: « On effectue une ingestion forcée« . Un « entonnoir équipé d’un long tuyau (…) force le maïs jusque dans l’œsophage« .
  • Rapport, 3-2: « La personne qui initie le gavage saisit son cou, immobilise ses ailes et le traîne jusqu’au tuyau d’alimentation« .

2) Une cause de stress, de souffrance, de blessures et d’accidents

a) Une cause de stress et de souffrance
  • Méthode d’alimentation
  • Rapport, 3-2: « Ces systèmes (manuels), utilisés pour 30% des palmipèdes, administrent le repas en 45 à 60 secondes » ; « Les unités à plus grande échelle permettent (…) d’administrer la même quantité d’aliments en 2 ou 3 secondes« .
    La quantité d’aliments administrée, toujours selon le rapport vétérinaire (4.4), est la suivante :

1re période : alimentation ad libitum jusqu’à l’âge de 5 semaines.
2e période : alimentation restreinte, de la 6ème à la 11ème semaine (180g par jour).
3e période : dix jours de pré-gavage, la quantité de nourriture distribuée étant augmentée de 20g tous les jours (jusqu’à 380g par jour).
4e période: au cours de la période de gavage, ils reçoivent 2 repas par jour, le premier gavage étant de 190g, pour atteindre probablement 450g lors du dernier repas 14 jours plus tard.

  • Rapport, 5-3: « Les hypothèses testées visent à prouver que le gavage provoque un état de stress, soit aigu, soit à effet cumulatif. Les effets aigus peuvent être induits par divers aspects du procédé lui-même, notamment par la manipulation du palmipède, l’introduction du tuyau de gavage, l’administration forcée des aliments ou la quantité excessive d’aliments. Les effets cumulatifs peuvent provenir de la répétition du procédé (deux fois par jour pendant 14 jours), ou de la prise du poids. »
  • Débecquage
    Deux techniques sont utilisées :

l’ablation du crochet de la mandibule supérieure dans sa partie dépassant la mandibule inférieure laissée intacte.
l’insertion d’un anneau à travers le bec, seule hypothèse visée par le rapport.

  • Rapport, 4-3: « Le groupe de travail a constaté, lors des visites d’élevage en France, l’existence d’une exploitation où les canards étaient logés en groupe et où les palmipèdes à gaver portaient un anneau à travers le bec, ceci, selon les ouvriers de l’exploitation, afin d’éviter le picage de plumes qui peut se produire avant la période de gavage. En l’absence de données sur ce phénomène, il est impossible d’évaluer l’incidence du problème. »
  • Rapport, 5-2: « Le bec du canard est richement innervé; l’insertion d’un anneau à travers le bec serait douloureuse au moment de l’intervention et pourrait provoquer un névrome, lui-même une source de douleur à long terme« .
  • Des animaux maintenus dans une « quasi obscurité« 
  • Rapport, 3-2: « Dans certaines exploitations, les palmipèdes vivent en permanence dans une quasi obscurité, sauf au moment de l’alimentation pendant les deux ou trois semaines de gavage« .
b) Une cause de blessures et d’accidents
  • Des lésions œsophagiennes et risques de mort
  • Rapport, 3-2: « La personne qui initie le gavage (…) insère un tuyau d’une longueur de 20 à 30 cm dans le gosier du palmipède et déclenche la procédure de propulsion des aliments (…) L’insertion et le retrait du tuyau exigent une attention spéciale afin d’éviter toute blessure à l’oropharynx ou à l’œsophage du palmipède et donc tout risque de mort« .
  • Rapport, 5-4-6: « Le groupe de travail a été informé de la possibilité que, à la fin de la période de gavage, les canards puissent présenter des blessures graves à l’œsophage (…) Il semble fort probable que les palmipèdes présentent de nombreuses atteintes au tissu œsophagien, dues au procédé du gavage, qui ont dû être douloureuses pour les palmipèdes (…) La fréquence des lésions œsophagiennes n’est pas encore connue, bien que l’on ait demandé cette information à la profession« .
  • Des lésions osseuses
  • Rapport, 5-4-6: « Diverses lésions sont constatées sur les carcasses, les plus fréquentes étant les fractures des os, au niveau de l’aile, et plus particulièrement de l’humérus (…) Chez le canard mulard, le taux de fracture est de 30 à 70%. Ces fractures se produisent lors des manipulations des palmipèdes à l’abattoir. Il semble que la variation de l’incidence des fractures soit en corrélation avec les soins administrés par le personnel. »

3) Une pratique contraire au droit européen et au droit français

a) Le droit européen
  • Directive 98/58/CE du Conseil de l’Union Européenne du 20 juillet 1998

Annexe point 14: « Les animaux reçoivent une alimentation saine, adaptée à leur âge et à leur espèce, et qui leur est fournie en quantité suffisante pour les maintenir en bonne santé et pour satisfaire leurs besoins nutritionnels. Aucun animal n’est alimenté ou abreuvé de telle sorte qu’il en résulte des souffrances ou des dommages inutiles et sa nourriture ou sa ration de liquide ne doit contenir aucune substance susceptible de lui causer des souffrances ou des dommages inutiles« .

Annexe point 20: « Les méthodes d’élevage naturelles ou artificielles qui causent ou sont susceptibles de causer des souffrances ou des dommages aux animaux concernés ne doivent pas être pratiquées.
Cette disposition n’empêche pas le recours à certaines méthodes susceptibles de causer des souffrances ou des blessures minimales ou momentanées, ou de nécessiter une intervention non susceptible de causer un dommage durable, lorsque ces méthodes sont autorisées par les dispositions nationales« .

Remarque : l’alinéa 2 de cette Annexe point 20 ne saurait avaliser la pratique du gavage. Il parle uniquement de « blessures minimales ou momentanées » alors que le rapport communautaire, à l’inverse, fait état de « blessures graves » et d’un « taux de fracture de 30 à 70% » chez le canard mulard.

  • Recommandation du Comité permanent de la Convention européenne sur la protection des animaux dans les élevages du 22 juin 1999 concernant les canards de barbarie et les hybrides de canard de barbarie et de canards domestiques :

Article 15, al.1: « Tous les bâtiments doivent avoir un niveau d’éclairage suffisant pour permettre à tous les canards de se voir les uns les autres, d’être vus distinctement, d’examiner leur environnement proche et d’avoir des niveaux d’activité normaux. Dans la mesure du possible une lumière naturelle doit être fournie. Dans ce cas, les ouvertures laissant entrer la lumière devraient être réparties de façon que la lumière soit distribuée de manière homogène dans le bâtiment« .

Article 16, al.2 et al.3: « Les méthodes d’alimentation et les additifs alimentaires qui sont source de lésions, d’angoisse ou de maladie pour les canards ou qui peuvent aboutir au développement de conditions physiques ou physiologiques portant atteinte à leur santé et au bien être ne doivent pas être autorisés. » ; « Des changements soudains de type ou de quantité de nourriture et dans la façon d’alimenter les oiseaux doivent être évités, sauf en cas d’urgence« .

Article 21, al.1: « L’élevage ou les programmes d’élevage qui causent ou sont susceptibles de causer des souffrances ou des dommages à tout oiseau impliqué ne doivent pas être pratiqués« .

b) Le droit français
  • Arrêté du 30 mars 2000 modifiant l’Arrêté du 25 octobre 1982 relatif à l’élevage, à la garde et à la détention des animaux:

Article 2: « L’élevage, la garde ou la détention d’un animal, tel que défini à l’article 1er du présent arrêté, ne doit entraîner, en fonction de ses caractéristiques génotypiques ou phénotypiques, aucune souffrance évitable, ni aucun effet néfaste sur sa santé« .

Annexe, Chapitre 1er – 1. – d) : « Les animaux gardés dans les bâtiments ne doivent pas être maintenus en permanence dans l’obscurité ni être exposés sans interruption appropriée à la lumière artificielle. Lorsque la lumière naturelle est insuffisante, un éclairage artificiel approprié doit être prévu pour répondre aux besoins physiologiques et éthologiques des animaux« .

  • Article R-653-1 du Code pénal: « Des atteintes involontaires à la vie d’un animal« : « Le fait, par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou les règlements, d’occasionner la mort ou la blessure d’un animal domestique ou apprivoisé ou tenu en captivité est punie de l’amende prévue pour les contravention de 3e classe« .
  • Article R-654-1 du Code pénal: « Hors le cas prévu par l’article 521-1, le fait, sans nécessité, publiquement ou non, d’exercer volontairement des mauvais traitements envers un animal domestique ou apprivoisé ou tenu en captivité est punie de l’amende prévue pour les contravention de la 4ème classe« .

Deux remarques :

1re : La pratique du gavage peut-elle être qualifiée de « mauvais traitements » au sens de l’article R-654-1 du Code pénal ? Plus précisément, la production de foie gras, qui ne présente qu’un intérêt économique, revêt-elle le caractère nécessaire dont fait mention cet article ?
Sur le fond, la justification de l’état de nécessité par un intérêt purement et simplement économique peut être contestée.

2e : Les mauvais traitements, dans le cadre de l’élevage de palmipèdes « à foie gras », ne sont pas de nature ponctuelle mais sont répétitifs, prolongés. De plus, ils se font en toute connaissance de cause, de sorte qu’ils prennent un caractère aggravé qui les apparente plus à des sévices graves.

B – Le mode de détention

1) Une cause de stress, de souffrances et de blessures

  • Rapport, 3-2: « Aujourd’hui, la plupart des canards sont maintenus dans des cages de dimension telles que le canard n’arrive ni à se retourner, ni à étendre ses ailes (…) 20% des canards et 100% des oies sont hébergés en groupe« .
  • Rapport, 5-1: « Certains palmipèdes n’arrivent plus à se tenir debout, mais aucun rapport n’existe sur la fréquence de cette incapacité à se tenir debout, ni sur les atteintes articulaires, ni sur l’importance des difficultés à se déplacer. Les palmipèdes gavés semblent passer la plus grande partie du temps en position assise, plutôt que debout. L’utilisation courante de cages de dimensions réduites qui, en général, ne permettent pas aux palmipèdes de se mettre debout en position normale, rend difficile le diagnostic d’atteintes ou de douleurs aux pattes (…) Le palmipède enfermé dans une cage de dimensions réduites ne peut ni lisser ses plumes, ni procéder à un exercice physique, ou à une exploration ou interaction sociale normales« .
  • Rapport, 5-4-6: « Une autre lésion fréquente se situe au niveau du sternum où l’on peut observer une nécrose de la peau; ce phénomène est constaté chez les animaux en cage (…) Son incidence est élevée chez le canard mulard (40-70%)« .
  • Rapport, 6-5: « L’utilisation des cages ne s’applique qu’aux canards mais elle concerne 80% de la production de foie gras de canard« .

2) Une pratique contraire au droit européen et au droit français

a) Le droit européen
  • Directive 98/58/CE du Conseil de l’Union Européenne du 20 juillet 1998, Annexe point 7: « La liberté de mouvement propre à l’animal, compte tenu de son espèce et conformément à l’expérience acquise et aux connaissances scientifiques, ne doit pas être entravée de manière que cela lui cause des souffrances ou des dommages inutiles.
    Lorsqu’un animal est continuellement ou habituellement attaché, enchaîné ou maintenu, il doit lui être laissé un espace approprié à ses besoins physiologiques et éthologiques, conformément à l’expérience acquise et aux connaissances scientifiques« .
  • Recommandation du Comité permanent de la Convention européenne sur la protection des animaux dans les élevages du 22 juin 1999 concernant les canards de barbarie et les hybrides de canard de barbarie et de canards domestiques, Article 10, al.7:
    « Les systèmes d’hébergement pour les canards doivent permettre aux oiseaux de:
    se tenir debout dans une posture normale,
    se retourner sans difficulté,
    déféquer en effectuant des mouvements normaux,
    battre des ailes,
    effectuer des mouvements normaux de lissage de plumes,
    interagir normalement avec d’autres individus, accomplir des mouvements normaux liés à la prise d’aliments et d’eau. »
b) Le droit français
  • Article 9 de la Loi n°76-629 du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature : « Tout animal étant un être sensible doit être placé par son propriétaire dans des conditions compatibles avec les impératifs biologiques de son espèce« .
  • Décret n°80-791 du 1er octobre 1980 , Article 1er : « Il est interdit à toute personne qui, à quelque fin que ce soit, élève, garde ou détient des animaux domestiques ou des animaux sauvages apprivoisés ou tenus en captivité:
    1° (…)
    2° (…)
    3° De les placer et de les maintenir dans un habitat ou un environnement susceptible d’être, en raison de son exiguïté, de sa situation inappropriée aux conditions climatiques supportables par l’espèce considérée ou de l’inadaptation de matériels, installations et agencements utilisés, une cause de souffrances, de blessures ou d’accidents ;
    4° D’utiliser, sauf en cas de nécessité absolue, des dispositifs d’attache ou de contention ainsi que des clôtures, des cages ou, plus généralement, tout mode de détention inadaptés à l’espèce considérée ou de nature à provoquer des blessures ou des souffrances. »
  • Arrêté du 25 octobre 1982, Article 2 op. cit.
  • Article R-654-1 du Code pénal op. cit.

 

2e Partie : La contrevérité scientifique majeure

Le rapport scientifique communautaire fait référence au stockage physiologique normal chez le migrateur pour justifier une suralimentation forcée chez les palmipèdes « à foie gras » (A), contraire au droit européen et français (B).

A) La stéatose hépatique: phénomène physiologique naturel lié au caractère migratoire des oiseaux ?

Le rapport indique que la stéatose hépatique de l’oie domestique et du canard mulard est un phénomène physiologique naturel lié au caractère migratoire des oiseaux (1). Dans les deux cas, cet argument est une contrevérité scientifique (2, 3).

1) Les références au stockage physiologique normal chez le migrateur pour justifier la stéatose hépatique

  • Rapport, 4-2: « Les animaux qui migrent ou hivernent ont évolué afin d’être aptes à stocker des aliments pour une utilisation ultérieure. A titre d’exemple, le poids moyen de la paruline rayée (Dendroica striata) passe de 10 ou 12g à 20 ou 23g avant de migrer vers une aire de reproduction. Chez certains oiseaux, l’augmentation du poids est partiellement due à une accumulation de matière grasse dans le foie, alors que chez d’autres espèces la matière grasse est stockée dans d’autres parties du corps (…)
    Si l’oie domestique a pu s’adapter afin de stocker des aliments avant la période de migration, il est peu probable que le croisement de la cane domestique et du canard musqué, le mulard, ait ce potentiel alimentaire. Ces hybrides stockent leur graisse dans le foie lorsqu’un régime alimentaire de grande quantité leur est imposé. Les raisons biologiques sous-jacentes à ce phénomène restent inexpliquées« .
  • Rapport, 5-4-4: « Dans des conditions naturelles, une certaine incidence de stéatose est constatée chez le gibier d’eau sauvage à la suite d’un stockage d’énergie avant migration. Dans l’élevage de volaille, cette capacité sert à produire du foie gras à des fins commerciales« .
  • Rapport, 8-1-I-4: « Les oiseaux migratoires stockent leurs réserves alimentaires avant de migrer, le foie étant l’un des organes où ces réserves sont stockées. Le procédé qui sert à la production de foie gras pourrait faire appel, du moins partiellement, à de tels mécanismes de stockage, provoquant ainsi une augmentation de la grosseur du foie, jusqu’à 6 ou 10 fois la taille du foie chez un oiseau normal« .

2) L’état physiologique des migrateurs en phase prémigratoire

a) Le témoignage scientifique d’Alain Tamisier (24 avril 1999)

« Ce qui suit n’est pas le fruit de mes propres recherches, mais ce que les données récentes de la littérature scientifique nous ont enseigné sur le sujet au cours des 15 dernières années.
Les espèces ayant permis de valider ces résultats appartiennent aux oies et aux canards. Des résultats analogues ont ensuite été obtenus sur plusieurs espèces de limicoles (petits échassiers), et même plus récemment sur quelques espèces de passereaux.
On savait depuis longtemps déjà que les oiseaux migrateurs doivent stocker des réserves de graisse avant de partir en migration, les lipides étant un combustible majeur dans l’activité musculaire. La quantité de graisse stockée est génétiquement fixée, et de plus, les oiseaux ne sont sensibles au facteur de déclenchement de la migration que dans la mesure où ces réserves sont assurées: les individus qui ne sont pas encore prêts partent plus tard.
On sait depuis les travaux de l’équipe de Y. Le Maho sur les manchots et les canards colvert (1985 à 1998, CNRS Strasbourg) que les oiseaux en phase de jeûne consomment essentiellement des lipides, mais aussi, et en plus faible partie, des protéines. Dans la dernière phase de jeûne (quand les lipides sont totalement épuisés), cette combustion des protéines est la seule qui assure la survie des individus.
Enfin, depuis la fin des années 80, on sait que le succès de reproduction des oiseaux migrateurs est contrôlé par la quantité et qualité des réserves qu’ils ont pu stocker sur leurs quartiers d’hiver avant de partir en migration ou éventuellement sur les étapes migratoires (cf. Ankey et al. Condor, 1991).
Ces réserves sont essentiellement faites de graisses qui sont déposées en particulier dans la fourchette claviculaire, mais aussi dans la plus grande partie de l’organisme, sous la peau et autour des différents organes (reins, tube digestif, cœur, foie, gonades, etc…). Ces réserves concernent également les masses musculaires puisque la combustion des protéines a une part réelle dans la nutrition de l’oiseau.
La limitation au volume (et donc à la masse) des réserves stockées est donné par le coût du transport: l’oiseau lourd devra dépenser davantage d’énergie pour voler que l’oiseau léger. L’oiseau doit donc trouver un compromis entre stocker suffisamment de réserves pour répondre à ses deux exigences de vol migratoire et de reproduction, mais pas trop car il serait alors énergétiquement pénalisé pendant le vol migratoire en puisant trop dans ses réserves et ne pourrait plus répondre aux exigences des premières semaines de la reproduction; moins mobile à cause de sa masse excessive, il serait par ailleurs plus vulnérable aux prédateurs (plus forte mortalité). »

b) Les arguments annexes

Ces arguments annexes sont liés aux lois de l’aérodynamique, à l’isolation thermique, aux échanges métaboliques et à l’histophysiologie.

3) Un rapport en contradiction flagrante avec les connaissances scientifiques

La référence du rapport scientifique au stockage physiologique normal chez le migrateur pour justifier la stéatose hépatique de l’oie et plus encore du mulard est au mieux une absurdité (a, b) et au pire un mensonge (c) .

  1. Les espèces migratrices telles que l’oie sauvage (et à supposer que l’oie domestique puisse être migratrice ) ne stockent pas leur énergie dans leur foie. Ils répartissent cette réserve, principalement dans le tissu sous-cutané et au niveau de la fourchette claviculaire, voire au niveau des viscères et notamment du foie. Et Alain Tamisier précise bien que le stockage ne se fait pas dans le foie, mais autour de celui-ci, et en très faible quantité (Cf. infra).
  2. Cet argument, a fortiori, n’est évidemment pas applicable au canard mulard. Ce dernier, issu du croisement entre un canard de Barbarie mâle (Cairina moschata) et une femelle de canard domestique (Anas platyrhynchos) ne possède pas les caractères génétiques migratoires éventuellement apportés dans l’hybridation par la femelle Anas, mais possède les caractères génétiques sédentaires de Cairina apportés par le mâle. Il n’existe pas de stockage énergétique prémigratoire normal chez le Barbarie: il n’en a pas besoin puisqu’il n’est pas migrateur. Il en est de même pour le mulard.
    Il est donc inacceptable qu’il soit fait référence au stockage physiologique normal chez le migrateur pour justifier une suralimentation forcée, contraire aux besoins alimentaires des palmipèdes.
    Chez l’oie comme chez le mulard, le stockage hépatique traduit une surcharge qui dépasse, en raison de son abondance et de sa rapidité, les capacités de charge « normales » chez l’oie et ses capacités de charge plus réduite chez le mulard.
    Remarque: afin de justifier cette contrevérité scientifique, le rapport communautaire cite l’exemple de la Dendroica striata (sylvette ou paruline rayée, petit passereau originaire d’Amérique du Nord, voisin des fauvettes ). Il aurait été plus adapté de prendre comme comparaison l’oie cendrée Anser anser, espèce à l’origine de l’oie domestique, et le canard col-vert Anas platyrhynchos, à l’origine du canard domestique, en mentionnant le poids de ces oiseaux en période normale et prémigratoire, et comparativement aux palmipèdes gavés. Mais cette comparaison se serait détruite elle-même en révélant une erreur majeure.
  3. Il doit être reproché au Comité scientifique d’avoir négligé l’avis des scientifiques spécialistes des palmipèdes migrateurs.
  4. Enfin, on peut se demander les raisons pour lesquelles un rapport scientifique communautaire de cette importance contient de telles lacunes, voire de telles erreurs. Les deux passages du rapport vétérinaire, 5-4-4 et 8-1-I-4, sont plus que douteux. Par leur caractère rassurant, ils aboutissent à une pratique de promotion commerciale assimilable à de la publicité mensongère. D’ailleurs, l’industrie du foie gras se sert désormais de cette référence à la migration pour légitimer la pratique du gavage.

B) Une surcharge alimentaire contraire au droit européen et au droit français

1) Le droit européen

  • Directive 98/58/CE du Conseil de l’Union Européenne du 20 juillet 1998, Annexe point 15: « Tous les animaux doivent avoir accès à la nourriture à des intervalles correspondant à leurs besoins physiologiques ».

2) Le droit français

  • Arrêté du 30 mars 2000 modifiant l’Arrêté du 25 octobre 1982 relatif à l’élevage, à la garde et à la détention des animaux:
    Article 1er : « Les animaux élevés ou détenus pour le production d’aliments (…) doivent être maintenus en bon état de santé et d’entretien conformément à l’annexe 1 du présent arrêté« .
    Annexe, point 3-a : « Les animaux reçoivent une alimentation saine, adaptée à leur âge et à leur espèce, et qui leur est fournie en quantité suffisante, à des intervalles appropriés pour les maintenir en bonne santé et pour satisfaire leurs besoins nutritionnels« .

 

Conclusion

1- Les point positifs du rapport communautaire

Extraits du résumé même du rapport scientifique communautaire, démontrant que la pratique du gavage est à l’origine d’un profond mal-être animal:

8-1-I-5 : « La quantité d’aliments administrée à chaque gavage dépasse largement la prise normale; elle correspond à la quantité consommée de manière volontaire par des cananrds privés de nourriture pendant 24 heures. Ce procédé, répété 2 ou 3 fois par jour pendant les 15 à 21 jours de la période de gavage, fait ingurgiter aux palmipèdes une quantité d’aliments riches en énergie (du maïs) beaucoup plus importante que celle qui serait consommée de manière volontaire par ces mêmes palmipèdes« .

8-1-I-6 : « Les altérations au niveau des hépatocytes et des autres cellules du foie chez les palmipèdes gavés sont très importantes. La modification la plus évidente apparaît dans le nombre de gros globules de graisse visibles dans les cellules. Une augmentation restreinte de cette présence de globules gras dans le foie peut se produire dans un foie normal, sous certaines conditions, mais aucun animal normal ne présente une stéatose du foie au niveau de celle constatée chez tous les palmipèdes gavés. Au cours de la période de gavage, le fonctionnement du foie est déréglé« .

8-1-I-7 : « Le gavage fait grossir le foie jusqu’à élargir l’abdomen. Il est ensuite logique que les pattes soient positionnées plus loin de la ligne médiane du corps, ce qui rend la locomotion plus difficile. Les palmipèdes gavés halètent plus souvent que leurs congénères non gavés. Certains membres du groupe de travail ont pu constater ce changement de la position des pattes et ce halètement. Ces phénomènes pourraient être à l’origine de douleurs ou de détresse, mais aucune étude n’a été faite sur ces hypothèses« .

8-1-I-8 : « Le foie hypertrophié provoque une gêne chez plusieurs espèces différentes. Il serait donc logique de déduire qu’une certaine gêne soit le résultat direct du foie hypertrophié chez les palmipèdes gavés. Il semblerait que cette éventualité n’ait fait l’objet d’aucune étude« .

8-1-I-9 : « La quantité importante d’aliments intubés à grande vitesse au cours du procédé de gavage provoque immédiatement une distension de l’œsophage, une augmentation de la production thermique et du halètement, et l’excrétion de matières fécales semi-liquides« .

8-1-II-1 : « Le gavage prive le palmipède d’une activité importante, c’est à dire de son comportement alimentaire normal« .

8-1-II-6 : « Des constats font état d’une présence de tissu cicatriciel cumulé dans l’œsophage des canards et qui serait provoqué par le gavage. L’existence d’une innervation sensorielle de cet organe indiquerait la survenue de douleurs au cours du gavage. On ignore pourtant la fréquence de ces blessures ou de ces douleurs, et les gaveurs s’efforcent d’éviter toute blessure aux palmipèdes, car les blessures infligées à ce stade peuvent s’avérer mortelles« .

8-1-II-7 : « Les palmipèdes n’ont pas de jabot. La quantité de plus en plus importante d’aliments administrée avant la période de gavage, ainsi que le gavage lui-même, font dilater la partie inférieure de l’œsophage. Le risque de blessures au tissu distendu est plus élevé que pour tout tissu normal, mais aucune donnée n’existe sur le degré de ce risque chez le palmipède gavé« .

8-1-III-2 : « Au cours de la période de gavage, le système de logement traditionnel consiste à garder les palmipèdes en petits groupes et sur des planchers en lattes. Au cours des dix dernières années, de nouveaux systèmes de logements ont été développés pour les canards. Ces derniers sont gardés dans des cages individuelles de petites dimensions, munies d’un plancher en grillage métallique ou plastique. Pendant les 15 jours de gavage, ces petites cages ne permettent pas aux canards de se mettre debout, ni de se retourner ou de battre des ailes« .

8-1-III-3 : « Un pourcentage important de canards gavés logés en cage individuelles présentent des lésions du sternum et des fractures des os, constatées à l’abattoir. l’emploi des cages élimine la nécessité de pourchasser les canards en vue de les attraper, mais en ce qui concerne le bien-être des palmipèdes, cet avantage est annulé par les contraintes des cages sur les mouvements des canards« 

8-1-III-5 : « Les oies et les canards sont des animaux sociaux. Les logements pour les palmipèdes gavés doivent peser sur leur comportement social, mais il n’existe aucune donnée ni sur l’étendue de ce phénomène ni sur l’éventuelle évolution vers des comportements anormaux, tels que le picage de plumes« .

8-1-III-6 : « Au cours de la période de gavage, les palmipèdes sont parfois gardés dans une quasi obscurité, sauf au moment du gavage, ce qui empêche tout comportement normal de recherche et de curiosité et tend à éliminer le niveau normal d’exercice, le résultat final étant une mauvaise protection du palmipède« .

2- Le constat que ces points sont contraires au droit européen et au droit français

Qu’il s’agisse de l’acte de gavage lui même (c’est à dire de l’administration forcée des aliments), du mode de détention ou de la suralimentation contraire aux besoins physiologiques des palmipèdes destinés à la production de foie gras, une étude du droit positif européen et français fait ressortir de nombreux textes permettant de condamner purement et simplement la pratique du gavage (cf. supra), et de faire appliquer les dispositions du Code pénal à ceux qui s’y livrent.

3- Le point négatif majeur du rapport

La référence erronée au stockage physiologique normal chez les oiseaux migrateurs pour justifier une suralimentation forcée chez les palmipèdes à gaver introduit dans le rapport une contrevérité scientifique qui entache sa crédibilité. Cette référence se trouve reprise par l’industrie du foie gras – présentant la pratique du gavage comme conforme aux lois naturelles et à la physiologie normale des oiseaux – et fait de l’utilisation de cet argument, destinée à rassurer le consommateur en le désinformant, un procédé qualifiable de publicité mensongère.

4- La conclusion du rapport

La constatation des divers facteurs de stress, de souffrances, de blessures et d’accidents ont conduit le Comité scientifique à conclure que « le gavage, tel qu’il est actuellement pratiqué, nuit au bien-être des palmipèdes ». Mais finalement, et paradoxalement, le rapport ne condamne pas explicitement le gavage et assortit sa conclusion de diverses recommandations permettant qu’il soit poursuivi.

On est en droit de se demander:

  • d’une part si les considération socio-économiques qui ont bénéficié de longs développements en son Chapitre 6 , n’ont pas influé sur ces commentaires;
  • d’autre part s’il est du rôle d’un Comité scientifique de la Santé et du Bien-être animal de prendre en considération des arguments sociaux et économiques, et cela au détriment d’arguments éthiques en faveur du bien-être animal, totalement absents du Rapport.

La conclusion logique de ce rapport aurait dû être celle du rapporteur britannique, M. Alexander, selon lequel:

« Tenant compte des données sanitaires et des données sur le bien-être des palmipèdes telles qu’elles sont présentées dans le rapport, la seule recommandation justifiée que le Comité puisse formuler en toute validité serait de préconiser que l’on mette fin au gavage des palmipèdes et que le meilleur moyen de ce faire soit l’interdiction de la production, de l’importation, de la distribution et de la vente du foie gras ».

Annexe I

Extraits du Rapport du Comité scientifique sur la protection des palmipèdes « à foie gras »

8-3 RECOMMANDATIONS

8-3-1 Déclaration générale

Le gavage est une technique qui a été développée afin de produire un produit, à savoir le foie gras, hautement apprécié et activement recherché par un nombre important de consommateurs, avant tout en France, pays où il existe une longue tradition de servir du foie gras aux repas de fêtes, et où il est consommé de plus en plus souvent. Néanmoins, la gestion et le logement des palmipèdes élevés pour produire du foie gras ont des effets négatifs pour le bien-être de ces derniers.

Il est à noter que ces palmipèdes sont les seuls animaux d’élevage à être gavés et que ce procédé est interdit dans certains pays.

Les caractéristiques physiques du foie gras et sa composition ont leur importance dans la valeur du produit. Dans le cadre réglementaire actuel, aucun produit alternatif ne peut remplacer le foie gras, bien que certaines préparations à base de foie de palmipèdes non gavés soient sur le marché.

Vu la nécessité de produire du foie gras afin de satisfaire la demande des consommateurs, il est important que les conditions de production soient acceptables selon les critères de la protection des animaux et qu’elles n’entraînent aucune souffrance indue. Les consommateurs et les producteurs doivent être informés des effets des méthodes de production du foie gras sur le bien-être des palmipèdes. De telles informations pourraient contribuer à promouvoir des modifications appropriées dans l’industrie. La technique traditionnelle du gavage a subi des modifications importantes au cours des trente dernières années avec la rationalisation de la production de foie gras, adaptée à l’échelle industrielle et à une meilleure rentabilité. Les effets se sont répercutés chez l’espèce animale qui subit le procédé et qui est soumise aux logements, au régime alimentaire et à l’administration de ces aliments. Ces modifications ont été adoptées sans s’occuper des considérations relatives à la protection des animaux. Des preuves montrent que ces modifications ne contribuent pas au bien-être des palmipèdes qui, au contraire, s’est dégradé. Il faut, en conséquence, évaluer les effets précis des procédés actuels de gavage sur le bien-être de l’animal et également déterminer ce qui peut être fait, tant dans l’immédiat qu’à long terme, afin d’éviter toute souffrance.

8-3-2 L’impact précis des techniques actuelles de gavage sur le bien-être des palmipèdes

  1. Une meilleure documentation doit être fournie sur les différentes techniques et les systèmes de logements utilisés dans la production du foie gras.
  2. Plus précisément, bien qu’il existe des données faisant état de variations importantes de mortalité et de morbidité entre les exploitations et les groupes de palmipèdes, les rôles précis des facteurs de gestion et de production n’ont fait l’objet d’aucune enquête systématique.

8-3-3 Solutions visant à améliorer le bien-être des palmipèdes à foie gras

Il faut interdire toute technique qui provoque des souffrances évitables. Les objectifs, par ordre de priorité, sont les suivants:

  1. la réduction de la mortalité et de la morbidité
  2. la diminution des niveaux de douleur et de détresse subis au cours du procédé
  3. la mise en liberté des animaux afin que ces derniers puissent suivre leurs activités comportementales normales

8-3-4 Les recommandations spécifiques sont les suivantes:

  1. Il ne faut employer aucun procédé qui provoque une augmentation de la taille du foie telle que sa fonction soit sensiblement modifiée ou que, de manière directe ou indirecte, la mortalité, la douleur ou la détresse chez l’animal soient aggravés.
  2. Il ne faut employer aucun procédé d’alimentation qui provoque une gêne sensible aux palmipèdes, comme en témoignent l’aversion au procédé alimentaire ou tout autre indicateur de mauvaise protection chez les oiseaux. Il ne faut employer aucun gaveur automatique à moins que la sécurité auprès des palmipèdes soit prouvée.
  3. Tout responsable de palmipèdes à foie gras doit être compétent et formé de manière adaptée.
  4. L’utilisation de petites cages individuelles comme logement pour ces palmipèdes ne doit pas être autorisée. Ces derniers doivent être réunis en petits groupes, ayant accès à suffisamment d’eau et de lumière pour leur permettre un comportement normal. Les palmipèdes doivent être en mesure d’étendre leurs ailes, de se lisser normalement, de se promener et d’exprimer des interactions sociales normales.
  5. Tout troupeau doit faire l’objet d’un programme officiel de surveillance, enregistrant la morbidité, la mortalité et tout autre indicateur de bien-être. Ces programmes doivent intégrer les mesures à prendre immédiatement en cas de détection de problèmes. Ces registres doivent être disponibles pour toute demande d’audit externe.
  6. Il faut procéder aux recherches préconisées au chapitre 7.
  7. Le Comité est conscient du fait que de nombreux point cités dans le rapport sont des conclusions tirées d’un nombre restreint de publications scientifiques ou d’observations indépendantes faites par des experts, à la suite de visites d’exploitations. Néanmoins, des preuves indiquent qu’il est très important que des techniques alternatives au gavage soient mises en place si la profession du foie gras entend continuer son développement. Il s’agit notamment de nouvelles techniques (d’élevage, par exemple) et d’une meilleure compréhension des mécanismes qui règlent le comportement alimentaire chez les palmipèdes ainsi que des mécanismes participant à la stéatose.

8-4 Opinion minoritaire – D.J. Alexander

Le Docteur Alexander, tout en reconnaissant la valeur du rapport comme exposé bien équilibré des faits relatifs aux questions de la protection et du bien-être des palmipèdes dans la production de foie gras, n’a pu donner son approbation sans réserve aux recommandations soumises. A son avis, tenant compte des données sanitaires et des données sur le bien-être des palmipèdes telles qu’elles sont présentées dans le rapport, la seule recommandation justifiée que le Comité puisse formuler en toute validité serait de préconiser que l’on mette fin au gavage des palmipèdes et que le meilleur moyen de ce faire soit l’interdiction de la production, de l’importation, de la distribution et de la vente du foie gras. Si la Commission décide en faveur de la continuation de la production de foie gras, par exemple, en fonction des impacts d’ordre socio-économique argumentés au chapitre 6 du Rapport, le Dr. Alexander admet que les recommandations énumérées aux paragraphes 8-3-4 (a à g) doivent être appliqués.

Annexe II

Extraits du Rapport du Comité scientifique sur la protection des palmipèdes « à foie gras »

6 ASPECTS SOCIO-ECONOMIQUES D’UNE MEILLEURE PROTECTION DES PALMIPEDES A FOIE GRAS

6-1 Introduction

L’étendue de la production de foie gras en Europe ayant été résumée au chapitre 2, le présent chapitre présente de plus amples informations sur l’importance de l’industrie en France et sur la consommation de foie gras. Le Comité tient à remercier le Docteur Mainsant qui a fourni la plupart des données formant la base de ce chapitre. L’état descriptif est suivi d’une appréciation des différents changements qui pourraient s’appliquer au logement et à la gestion des palmipèdes à foie gras, ainsi que des répercussions, tant pour le public que pour l’industrie.

6-2 L’industrie du foie gras en France

La production mondiale de foie gras non transformé, en 1996, est estimée à 15.000 tonnes, dont 70% de production française, 5% d’autres pays membres de l’Union Europénne et 25% du reste du monde. Les principaux producteurs de l’Union Européenne, outre la France, sont la Belgique et ensuite l’Espagne. En dehors de l’Union Européenne, le foie gras est produit principalement dans les pays de l’Europe de l’Est et en Israël, également en Tunisie, à Madagascar, en Chine et dans plusieurs autres pays, notamment en Amérique du Sud.

Les statistiques générales pour l’industrie du foie gras en France sont présentées dans le tableau n°4.

La production de foie gras dans les pays de l’Union Européenne, outre la France, constitue une source d’emploi équivalent à 1500 postes à plein temps. Dans les pays de l’Europe de l’Est et des éventuels futurs membres de l’Union Européenne, cette activité correspond à 4000 postes à plein temps.

85% de la consommation mondiale de foie gras a lieu en France, témoignant ainsi de l’importance de la tradition française. Plus de la moitié de la production non française est destiné au marché français, y compris le marché de réexportation. La consommation mondiale en dehors de la France est de 2300 tonnes, alors que 13000 tonnes sont consommées en France; un quart de la consommation en dehors de la France est fourni par l’industrie française.

En France, le foie gras n’est plus réservé à quelques rares privilégiés. A l’heure actuelle, on estime que 4 français sur 10 consomment du foie gras au moins un fois par an et que, en moyenne, ils en consomment une dizaine de fois par an. Cette consommation est concentrée, pour les deux tiers, au moment des fêtes de fin d’année. En dehors de la France, le foie gras est consommé presque exclusivement par une minorité de gourmets aisés dans les pays développés.

En France, le foie gras consommé a domicile représente la moitié de la consommation nationale. L’autre moitié de cette consommation a lieu au restaurant, alors que les Français ne prennent que 15% de leurs repas en dehors de la maison, montrant ainsi que la consommation de foie gras est liée à la clientèle de restaurants et aux fêtes. Aujourd’hui, le foie gras figure à la carte de tout restaurant français de distinction, pendant que dans le sud-ouest il est servi dans bon nombre de restaurants commerciaux courants.

Tableau n°4: L’industrie du foie gras en France – 1995

Activité  Nombre  Sociétés  Salariés (1)  Equivalent en postes à plein temps
 Sélection-reproduction  400 000 canards  4 sociétés  1 000  500
 Accouvage    40 unités    
 Elevage-gavage  19 millions palmipèdes  15­ 000 exploitations    
 Abattage (3)  12 millions palmipèdes  35 abattoirs    
 Découpe  15,5 millions palmipèdes  120 usines  6 000  6 000
 Transformation  6 400 tonnes de foie (4)  500 usines  4 000 (CDD)  
 Consommation  12 500 tonnes de foie      
 Emploi direct (total)      30 000  10 500

 

(1) INRA, sur la base des informations CIFOG

(2) outre l’abattage sur l’exploitation

(3) estimation INRA

(4) dont produits préparés

6.3 Conséquences en l’absence de tout changement de loi ou de pratique

Au cours des dernières années, un nombre croissant de consommateurs, tant à l’intérieur de l’Union Européenne que dans d’autres pays, ont modifié leurs habitudes d’achat et de consommation, s’inquiétant de leur propre santé, du bien-être des animaux servant à la production et de l’impact de ce système de production sur l’environnement. Certains de ces changements de comportements ont eu des effets à court terme (l’arrêt de la consommation d’un produit donné à la suite d’une alerte sanitaire), ou à long terme (l’adoption d’un régime végétarien). La plupart de ces préoccupations ont généré une discrimination à l’égard de produits spécifiques, surtout lorsqu’il existe des produits alternatifs.

Nombreux sont les ressortissants de l’Union Européenne qui refusent de manger du foie gras, préoccupés par la question du bien-être des palmipèdes gavés. En effet, le gavage est interdit par la loi dans certains pays. Aucun sondage du public à ce sujet n’a été publié, mais certains producteurs ont déjà tenu compte de cette évolution. On constate en France et dans certains autres pays, une augmentation plutôt qu’une diminution de la consommation de foie gras au cours des dernières années, au fur et à mesure que le prix du produit baisse, à la suite du délaissement de l’oie en faveur du canard, moins onéreux en coût de production. Aucune analyse n’a été faite des perspectives de la poursuite ou du fléchissement de cette consommation, ou à propos de l’influence de la question du bien-être des animaux sur la demande du public. Toutefois, vu la croissance du nombre de Français qui s’inquiètent de la protection des animaux, il semble fort probable que les ventes de foie gras en subiront les conséquences. Si on pouvait assurer le public de l’absence d’effet néfaste chez l’animal, les ventes augmenteraient sans doute en réaction. Force est de constater qu’il est dans l’intérêt de l’industrie du foie gras de présenter une image du produit qui soit acceptable selon des critères en rapport avec la protection de l’animal. L’absence de toute initiative visant à améliorer le bien-être des palmipèdes, et bénéficiant du soutien du public, entraînerait, sans doute, une chute, lente ou rapide, des ventes de foie gras, avec des répercussions ressenties au niveau des importations en provenance de pays tiers, à moins que ces pays fassent des efforts pour assurer une meilleure protection des palmipèdes. Si les producteurs de pays tiers amélioraient le bien-être des animaux, et donc l’image publique de leur produit, avant que les producteurs de l’Union Européenne ne le fasse, ces derniers pourraient perdre une part importante de leur marché. Certains producteurs ont déjà intégré cette évolution. A titre d’exemple, les experts du groupe ont eu l’occasion de rendre visite à un transformateur de foie gras très connu qui impose certaines pratiques spécifiques de gestion aux exploitants afin d’améliorer le bien-être des palmipèdes. En particulier, il veille à ce que les canards restent en groupes pendant la période de gavage.

6-4 Conséquences socio-économiques de l’interdiction du gavage

Si la décision était prise d’interdire le gavage, deux sujets deviendraient importants. Le premier serait l’existence de produits alternatifs obtenus sans gavage, ou l’existence d’une forme de gestion spécifique en vue d’obtenir du foie gras sans gavage. Le second concernerait l’accord commercial entre l’Union Européenne et les pays dans les autres régions du monde.

En évitant le gavage, mais en incitant les palmipèdes à se nourrir ad libitum, le foie obtenu par un régime traditionnel est différent, comportant, plus particulièrement, un pourcentage inférieur de graisse dans les cellules adipeuses, par rapport aux palmipèdes gavés. Parmi les différents types de produits, répertoriés au chapitre 2, figure le foie engraissé de palmipèdes avec des proportions de matières grasses entre 20 et 100%. D’autres produits préparés avec du foie maigre sont également commercialisés. Jusqu’à présent, les produits de palmipèdes non gavés ont des débouchés différents; il ne s’agit donc pas de succédanés susceptibles de remplacer les produits à foie gras. Il existe un besoin réel et urgent de rechercher des méthodes de production alternatives au sein de l’industrie du foie gras et les perspectives pour le développement le plus rapide passeraient par un effort de préparer un produit à base de foies de palmipèdes nourris ad libitum ou avec d’autres ingrédients.

Une technique utilisée pour produire du foie gras, et qui a fait l’objet d’études dans le passé, consiste à détruire les centres de régulation de l’appétit dans le cerveau. Néanmoins, si l’objectif est d’améliorer le bien-être des animaux, cette technique, qu’elle soit chirurgicale ou chimique, n’est guère appropriée. A long terme, on ne pourra exclure le développement d’autres moyens de stimuler l’appétit, tels que le génie génétique ou la manipulation de la composition alimentaire ou des réflexes alimentaires. Il serait utile d’envisager des programmes de recherche de ce type, mais il faudra plusieurs années avant d’avoir les résultats. Pour le moment, il est impossible de produire du foie gras sans gaver les palmipèdes.

L’interdiction du gavage susciterait une réaction considérable chez ceux qui travaillent dans l’industrie du foie gras, surtout chez les exploitants et les transformateurs, et également du grand public. L’irritation des 30000 personnes directement impliquées dans la production serait partagée par les restaurateurs et les consommateurs. En effet, ces derniers sont très attachés à l’origine nationale et régionale de ce produit. La mode actuelle pour les produits du terroir ne peut que renforcer cet aspect émotif et on peut imaginer le degré d’incompréhension de la part du public face à une interdiction du foie gras dans le sud-ouest de la France.

En Europe, une option radicale serait d’interdire la production, l’importation et la distribution de foie gras de palmipèdes gavés, ce qui mettrait fin à la consommation du foie gras en Europe. L’industrie française fait travailler quelque 30.000 personnes, participant à toutes les étapes de la production (à partir de l’accouvage jusqu’à la transformation des foies), et dont 90% sont domiciliées en Aquitaine ou dans la région du Midi-Pyrénées, dans le sud-ouest de la France. La plus grande partie de ces deux régions bénéficie de programmes européens de développement rural. Ces 30.000 personnes ne travaillent pas à plein temps, mais l’on estime que l’activité du foie gras représente l’équivalent de 10.500 postes à plein temps (accouvage, élevage, gavage, abattage et transformation). A cela, il faut ajouter l’équivalent de deux ou trois mille postes à plein temps pour les fournisseurs de matériel, de machines, d’aliments et de médicaments vétérinaires, pour les constructeurs de bâtiments, les vétérinaires, les commerciaux, le sociétés de transport et les chercheurs. Même si cette industrie en France ne représente que l’équivalent de douze ou quatorze mille postes à plein temps, la disparition de la production de foie gras mettrait en danger 30.000 emplois, vu le manque à gagner par chaque entreprise. Il faudrait s’attendre à l’émergence d’une production et d’une commercialisation clandestine. Certains consommateurs soutiendraient les revendications des producteurs et seraient tentés d’acheter du foie gras sur un circuit de production clandestine et illégale qui pratiquerait des prix très élevés.

En l’absence d’un embargo sur les importations parallèlement à l’interdiction de la production, celle-ci se déplacerait vers d’autres pays, principalement en Europe de l’Est ( Hongrie, Bulgarie, Roumanie, ex-Yougoslavie, République Tchèque, Slovaquie et ex-URSS), ainsi que dans plusieurs autres pays (Tunisie, Madagascar, Amérique du Sud, Moyen Orient, Extrême Orient et Chine). Au lieu d’importer 20% du foie gras transformé sur le territoire français, la France se trouverait dans l’obligation d’en importer la totalité (13.000 tonnes de foie gras non transformé, pour une valeur de FRF 1500 millions). La production du foie gras frais (outre sa conservation) concerne quelque 19.000 ouvriers et représente l’équivalent de 4000 postes à plein temps. A l’étranger, il n’existe aucune limite technique à cette production et une telle mesure européenne constituerait une véritable manne pour les pays déjà producteurs de foie gras. La compétence professionnelle existe désormais dans de nombreux pays. La délocalisation de la production pourrait également entraîner une délocalisation de la transformation européenne, aujourd’hui presque exclusivement française. Il faut rappeler que l’interdiction du gavage en Europe n’empêcherait pas l’émergence d’une production clandestine, surtout si la commercialisation du foie gras continuait, elle, à être autorisée.

6-5 Meilleure prise en charge en vue d’une meilleure protection des animaux et répercussions économiques

Si la pratique du gavage se poursuit, il faudra prendre des mesures afin d’éviter au maximum les effets néfastes de la gestion pendant la période de gavage. Plusieurs point sont à examiner.

Le premier concerne les cages individuelles dans lesquelles on garde les palmipèdes pendant le gavage. Il s’agit d’un problème général auquel est confronté l’élevage industriel (porcs, jeunes poulets destinés à l’alimentation, dindes, poules pondeuses et veaux). Dans le cas spécifique du gavage, la cage ne permet pas à l’animal de se retourner, de se mettre en position debout normale, de se lisser les plumes ou d’étendre les ailes. Il faut noter tout d’abord que l’utilisation de ces cages ne s’applique qu’aux canards, mais elle concerne 80% de la production de foie gras de canard. Les oies et les 20% de canards restants sont enfermés dans des enclos où ils peuvent évoluer sur une aire de plusieurs mètres carrés.

Les développements d’alternatives à ce système de cages sont bien avancés. Du point de vue du bien-être des animaux, ces enclos ne devraient pas poser de problème par rapport aux normes fixant la population maximale. En revanche, du point de vue de l’exploitant, ces enclos sont beaucoup plus onéreux que les cages individuelles. En termes de frais de main d’œuvre, les cages individuelles, toujours associées à des appareils gaveurs hydrauliques ou pneumatiques, permettent de doubler le nombre de canards gavés par une seule personne. Malgré l’investissement requis, le système des cages individuelles devient courant dans toutes les unités de production de taille importante.

Pour améliorer le bien-être des animaux, l’utilisation de cages individuelles pourrait être autorisée si l’espace alloué était augmenté, afin de procurer une vraie mobilité à l’animal, mais l’efficacité de telles cages de dimensions supérieures n’a jamais été étudiée. L’abandon des cages individuelles en faveur d’enclos entraînerait principalement une hausse considérable des coûts de production, due surtout à l’augmentation des frais de main-d’œuvre.

Cette démarche nécessiterait des coûts d’investissements élevés, car l’achat de cages est une dépense récente pour la plupart des exploitants. Toute hausse des coûts pourrait avoir des répercussions importantes sur la compétitivité des produits européens par rapport aux importations. Un risque de délocalisation de la production vers d’autres pays apparaît.

Le deuxième point concerne les méthodes, le rythme et l’intensité du gavage. Il n’est pas dans l’intérêt des exploitants de provoquer des blessures chez les palmipèdes à foie gras. Or, il est souhaitable de prendre des mesures visant à réduire l’incidence de toute manipulation susceptible d’évoluer vers une mauvaise protection de l’animal. L’obligation de contrôler les palmipèdes afin de répertorier toute blessure et de tenir des registres sur les blessures et la mortalité entraînerait certains frais de personnel, mais pourrait renforcer les ventes grâce à l’embellissement de l’image publique de l’industrie.

Les appareils mécaniques de gavage à grande vitesse peuvent avoir des effets néfastes sur le bien-être des palmipèdes, bien qu’aucune donnée n’existe à ce sujet. Si la vitesse de l’administration des aliments était limitée, il faudrait augmenter le temps d’intervention de la main-d’œuvre pour nourrir le même nombre de palmipèdes.

Il existe l’option qui consisterait à imposer des limites à la quantité d’aliments administrés aux palmipèdes, au nombre de repas par jour, à la quantité de matière sèche, calculée comme proportion du poids vif, ou au nombre de jours de gavage. Chacune de ces modifications entraînerait un surcoût au produit fini, mais il semble probable que les ventes ne fléchiraient pas de manière significative. La concurrence des pays tiers est à considérer.

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