Nouvel avis de l’EFSA sur le bien-être des porcs à l’abattoir

La législation européenne en matière de bien-être animal s’améliore au fil du temps grâce au rôle décisif de l’Agence européenne de sécurité des aliments (EFSA) et de son Panel scientifique relatif à la santé et au bien-être animal (AHAW Panel) en produisant des avis et des recommandations en la matière. En mai 2020, à la demande de la Commission européenne, l’EFSA a publié un avis scientifique indépendant concernant le bien-être des porcs en abattoir. 

Cet avis intervient alors que des dispositions législatives adoptées par l’Union européenne telles que le règlement du Conseil (EC) n° 1099/2009 concernant la protection des animaux à l’abattoir et les précédents avis scientifiques de l’EFSA publiés entre 2004 et 2017 existent déjà.

L’objectif de ce dernier mandat vise à mettre à jour les connaissances scientifiques actuelles et à fournir une solide base scientifique pour les futurs échanges au niveau international en matière de bien-être des porcs en abattoir.

Evaluation des risques d’atteintes au bien-être

À noter que le concept de bien-être animal peut difficilement être utilisé lors du processus d’abattage : on parle plutôt de protection animale dans ce cas.

L’avis évalue le processus d’abattage dans son ensemble, depuis l’arrivée de l’animal jusqu’à sa mort.

La méthode de travail utilisée par l’EFSA est celle de l’évaluation des risques (risk assessement method), selon laquelle les risques d’atteintes au bien-être animal et leurs possibles origines sont identifiés pour chaque phase du processus d’abattage. Des indicateurs qualitatifs et quantitatifs basés sur les animaux sont définis pour pouvoir en évaluer les conséquences sur leur bien-être. Ensuite, l’avis expose les mesures préventives ou correctives relatives aux risques et en dernier lieu, les risques spécifiques aux différentes catégories d’animaux (par exemple les porcelets, les races rustiques, les sangliers, etc.).

Trois phases ont été identifiées lors du processus d’abattage : une première phase de pré-étourdissement qui comprend l’arrivée des animaux à l’abattoir, le déchargement du camion, la contention dans les box de stabulation et le déplacement vers le lieu d’étourdissement, une deuxième phase proprement dite d’étourdissement de l’animal et une troisième qui consiste en la mise à mort du porc par saignée.

Les méthodes d’étourdissement identifiées pour les porcs peuvent être réparties en trois catégories:

  • La méthode électrique inclut un étourdissement au niveau de la tête de l’animal uniquement ou simultanément au niveau de la tête et de la poitrine.
  • La méthode en atmosphère modifiée consiste à utiliser de fortes concentrations de gaz tels que le dioxyde de carbone, l’azote ou l’argon.
  • La méthode mécanique est un pistolet qui percute ou perfore la boîte cranienne de l’animal.

Les risques liés aux différentes phases d’abattage et aux différentes méthodes d’étourdissement dépendent majoritairement d’un manque de compétences et de formation des opérateurs en abattoirs et d’un manque de structures et d’équipements adéquats. Les risques peuvent être communs aux différentes phases : par exemple, les risques liés à l’exposition prolongée à des températures trop élevées ou trop faibles, un espace insuffisant et la privation prolongée de nourriture et d’eau lors des phases d’arrivée et de contention en box avant l’étourdissement.

Les conséquences négatives pour le bien-être animal sont donc le résultat de l’exposition à un ou plusieurs risques. Ces conséquences ont été classifiées en douze catégories : stress thermique,  fatigue, soif et faim prolongées, difficulté et restriction de mouvement, problèmes liés au manque de repos, comportement social négatif, douleur, peur et détresse respiratoire.

En général, ces conséquences sur le bien-être se présentent dans la première phase avant l’étourdissement de l’animal, puisque l’animal est conscient.

Pour les deux phases suivantes, certaines conséquences ont été relevées en cas de perte de conscience non immédiate, si l’étourdissement se révèle inefficace, ou dans le cas où il y aurait une reprise de conscience après l’étourdissement.

Méthode d’étourdissement électrique

L’avis met en évidence deux risques majeurs ayant des conséquences négatives : la contention de l’animal avant l’étourdissement et une mauvaise utilisation des électrodes. Dans le premier cas, la contention peut être faite de manière manuelle dans les petits abattoirs ou mécanique (avec un convoyeur en V ou un convoyeur à bande ventrale)1 dans la grande production. La contention individuelle est un facteur particulièrement stressant pour le porc. De plus, une utilisation incorrecte des électrodes (placement des électrodes, paramètres électriques, temps d’exposition) peut causer un échec de la procédure d’étourdissement et donc provoquer une persistance de la conscience chez l’animal.

Les indicateurs pris en compte dans ce cas pour déterminer la reprise de conscience de l’animal sont l’absence de crises tonico-cloniques2, la présence de la respiration, la présence des réflexes cornéaux ou palpébraux, la présence de clignotement spontané des yeux, la persistance de la posture et du tonus musculaire et la présence de vocalisations.

Méthode en atmosphère contrôlée

Elle présente l’avantage de ne pas avoir la problématique de la contention des animaux mais elle peut entrainer des problèmes respiratoires, des douleurs et de la peur  lors de l’exposition aux gaz et notamment à des concentrations très élèvées de CO2 (> 80 %).  L’utilisation de mélange de gaz inertes et de CO2 semble être moins aversive et causer moins de douleurs chez les animaux. Une autre problématique soulignée est celle de la réversibilité de l’étourdissement en atmosphère contrôlée : en effet si l’exposition ne cause pas la mort de l’animal, il se peut qu’un interval prolongé entre la fin de l’exposition et la mise à mort puisse aboutir à une reprise de la conscience.

Méthode mécanique

Elle est utilisée majoritairement en deuxième recours, pour des situations d’urgence, ou pour l’étourdissement des porcelets. Le pistolet perfore la boîte cranienne avec une vis rétractable en acier en provoquant une perte immédiate de la conscience de l’animal à cause de la violente commotion cérebrale. Les porcs restent une des espèces les plus difficiles à étourdir avec ce type de méthode à cause de la morphologie cranienne de la zone cible (concave et très étroite) en particulier pour certaines races, pour les individus adultes et pour les sangliers.

Les risques majeurs liés à cette méthode sont une mauvaise contention de l’animal (généralement faite de façon manuelle par l’operateur à l’aide d’un cable à noeud coulant autour de la machoire supérieure de l’animal), une position incorrecte du pistolet ou un pistolet mal calibré.

Chez les porcelets de plus de 10kg, on utilise aussi un pistolet percutant qui provoque une commotion cérébrale après le choc. Celui-ci entraine l’effondrement immédiat si la procédure est correctement executée : les problématiques sont majoritairement liées à la position et à la contention de l’animal et à un correct calibrage de l’outil. Les porcelets sont en effet tenus par les operateurs de l’abattoir à l’envers par les membres postérieurs contre une surface dure, ce qui demande une formation et une préparation particulière pour les professionels du secteur.

Recommandations des experts

Il est important de souligner que pour chaque phase, l’avis reporte des mesures préventives et des recommandations à mettre en place ou du moins, dans les cas où ce n’est pas possible, des actions pour atténuer les conséquences sur le bien-être des animaux.

Les recommandations les plus importantes mettent en lumière en premier lieu la necessité de structures et d’équipements adéquats pour accueillir les animaux et prévenir les risques liés au bien-être animal. Lors de l’arrivée des animaux à l’abattoir par exemple, il est important de les décharger au plus vite du camion ou, si cela n’est pas possible, de mettre en place des actions (douche, ventilation) pour éviter les risques liés au stress thermique.

La contention dans les box de stabulation devrait être de courte durée mais permettre un accès à l’eau, un abri et la possibilité de mouvement. Les groupes d’animaux mixtes devraient être evités.

En deuxième lieu, la formation des professionels et des opérateurs représente un autre point décisif dans les recommandations de l’avis : les animaux qui arrivent blessés ou malades par exemple devraient être inspectés par un vétérinaire ou par un opérateur formé et être abattus avec une procédure d’urgence si cela s’avère nécessaire. Concernant la phase d’étourdissement, les opérateurs ne devraient pas contenir les animaux avec des méthodes provoquant de la douleur ou de la peur.

De plus, ils devraient étourdir les animaux de façon correcte et procéder à la mise à mort seulement si l’animal est inconscient : l’état de conscience de l’animal est à vérifier à trois moments clés, après l’étourdissement, avant de transpercer l’animal (pour la saignée) et pendant la saignée. La reprise de  conscience chez l’animal est à éviter impérativement et la mort de l’animal est à confirmer avant toute procédure de traitement de la carcasse. Si l’opérateur n’est pas prêt à effectuer correctement et immédiatement son travail, les animaux ne devraient pas être manipulés.

Le responsable de l’abattoir devrait mettre en place des mesures d’inspection, de maintenance et de paramètrage des équipements présents au sein de l’abattoir. De plus, une formation continue, un système de rotation du personnel ainsi qu’une procédure d’opérations standard normalisées (SOP: standard operating procedure), qui tient compte de l’évaluation des risques, des indicateurs et des conséquences sur le bien-être animal, devraient être mis en place.

Les recommandations concernant les différentes méthodes soulignent notamment la nécessité de remplacer la méthode en atmosphère modifiée à forte concentration de CO₂, douloureuse pour les animaux, avec des mélanges d’autres gaz, ainsi que les méthodes de contention entrainant de la douleur et de la peur lors des étourdissements mécanique et électrique. Il est indiqué d’explorer dans un prochain avis scientifique une liste des risques pour le bien-être animal selon leur gravité, leur ampleur et leur fréquence afin de prioriser les mesures de prévention lors du processus d’abattage.

Conclusion

L’avis fournit une liste de méthodes, de procédures et de pratiques considérées inacceptables lors du processus, en plus de celles déjà mentionnées dans le Code terrestre de l’Organisation mondiale de la santé animale3 et dans le règlement 1099/20094 : en sont des exemples la manipulation ou le déplacement d’animaux grièvement blessés ou non aptes à la déambulation, l’utilisation d’outils (notamment électriques) provoquant de la douleur, un manque de structures d’abreuvement et  d’espace et la mise à mort d’animaux encore conscients.

Cela démontre comment la protection des porcs à l’abattage est encore loin d’être une réalité de terrain, ni la norme au sein des abattoirs en Europe. Les recommandations soulignent de manière assez évidente le manque de management (humain et structurel) adéquat afin de garantir un niveau acceptable de protection lors de la mise à mort de cette espèce. 

Nathalie Cogi

[1] Les convoyeurs permettent d’amener les animaux du box de stabulation vers le couloir d’abattage. Ils peuvent être de différents types: un convoyeur en V, qui soutient le porc par les flancs avec des parois pleines (l’animal a plus tendance à se débattre et a donc plus de risques de se blesser), et un convoyeur à bande ventrale, qui soutient le porc sous le ventre dans lequel les membres sont libres de bouger. Retour

[2] L’état d’inconscience d’un animal est caractérisé d’une première phase dite tonique, de contraction musculaire, où disparaît toute rythmicité respiratoire, réflexe cornéen et sensibilité et d’une deuxième phase dite clonique, durant laquelle l’animal effectue des mouvements brusques et involontaires avec ses extrémités. La fin de ces convulsions et le retour de la rythmicité respiratoire et du réflexe cornéen indiquerait que l’animal se remet de l’étourdissement. L’égorgement devrait avoir lieu avant la fin de la phase tonique. Retour

[3] Telles que les méthodes de contention à travers l’électro-immobilisation ou l’utilisation d’un couteau, la méthode électrique avec une seule application de membre à membre, toutes méthodes d’abattage sans étourdissement. Retour

[4] Telles que la suspension d’animaux conscients, la ligature des membres ou des pieds, l’utilisation de tout courant électrique ne couvrant pas le cerveau. Retour

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