La chasse à courre: vers la fin d’une pratique archaïque?

La chasse à courre est un mode de chasse où la traque de l’animal dure des heures. L’achèvement au couteau de l’animal chassé après des heures de traque stressante par des chiens et des humains en fait une pratique jugée cruelle par les défenseurs des animaux.

© Beau Considine

« On ne peut pas dissimuler le but de la chasse par de grands mots qui servent si bien à cacher le véritable caractère de manifestations barbares ».
Tolstoï

La chasse à courre est un mode de chasse ancestral par lequel un animal sauvage (cerf dans la majorité des cas) est poursuivi par un équipage constitué de veneurs à cheval et d’une meute de chiens courants, jusqu’à son épuisement et sa prise. Dès lors, l’animal est achevé à l’arme blanche et donné aux chiens. Seule la tête est conservée comme trophée ; les pattes, elles, sont coupées puis offertes aux invités. Cette pratique basée sur un modèle aristocratique est particulièrement cruelle dans la mesure où la traque peut durer plusieurs heures, provoquant stress et épuisement intenses pour l’animal poursuivi. Diverses problématiques se rattachent à la vénerie.

La nuisance à la biodiversité

Cette pratique archaïque, nuit à la biodiversité.

Premièrement, la pratique de cette tradition débute en même temps que la reproduction de certains animaux sauvages, notamment celle du cerf avec la période de brame. En effet, la saison de la chasse à courre commence le 15 septembre (jusqu’au 31 mars) et la période de brame commence également aux alentours du 15 septembre et dure plus d’un mois. Pendant la période du brame, le cerf est particulièrement vulnérable car il ne pense plus qu’à la reproduction, et perd donc son instinct de fuite vis-à-vis de l’homme. À cet égard, 91 % des français souhaitent que les animaux soient protégés de la chasse en période de reproduction (sondage Ipsos de 2018). C’est d’ailleurs pour cette raison que la battue de cerf est interdite pendant cette période… Quid de l’autorisation de la chasse à courre ?

Deuxièmement, la chasse à courre est une chasse qui génère énormément de stress pour les animaux dans la mesure où l’équipage est constitué d’une meute de 45 chiens environ, chiens aboyant et courant à la poursuite de l’animal, mais aussi par le bruit des cornes d’appel, des sifflets et autres désagréments, d’une part, pour l’animal poursuivi et, d’autre part, pour les autres animaux vivants dans les forêts. Le phénomène qui se produit est le suivant : les animaux quittent les forêts et se rapprochent des habitations et des villes, ce qui les rend vulnérables et ce qui nuit à la biodiversité.

Une pratique dangereuse

La chasse à courre est non seulement un jeu où l’on torture un animal dans le seul objectif de se divertir mais c’est aussi une pratique dangereuse, à la fois pour les animaux et pour les humains.

Le collectif AVA (Abolissions la vénerie aujourd’hui) a recensé de nombreux incidents graves ces dernières années. Ces incidents peuvent être :

  • Des intrusions dans des habitations privées : le 26 décembre 2019, un cerf chassé par La Futaie des Amis, se cache dans un étang privé à Verrerie (60). Le maire, informé par les habitants, se rend immédiatement sur place accompagné de la gendarmerie pour faire valoir son arrêté municipal et faire appliquer la loi : sans l’accord du propriétaire, l’acte de chasse sur le terrain d’autrui est illégal. Alors que le maître d’équipage assure au maire et aux forces de l’ordre qu’il met fin à la chasse, son valet s’empresse de tirer discrètement l’animal au fusil, mettant tout le monde devant le fait accompli. Le maire déclarera à la presse que “tout cela n’est pas acceptable et relève d’un comportement féodal qui n’a plus lieu d’être”.
  • Des intrusions dans des zones interdites : le 31 décembre 2019, des veneurs de l’équipage de Villers-Cotterêts traversent les voies ferrées de la ligne Paris-Laon à proximité de Fleury (02) avant de refermer le portail qui en empêchait l’accès. Informée par la presse, la SNCF a alerté la sécurité ferroviaire qui envisageait alors de porter plainte. Le 12 janvier 2021, un cerf poursuivi par la meute du Rallye Trois Forêts est poussé jusqu’en centre-ville, il traverse la départementale, le parking de la gare et saute les voies pour finir sa course sur les rails, suivi par une dizaine de chiens et de suiveurs. Le trafic ferroviaire entre la Gare du Nord et les grandes gares de Picardie est arrêté pendant plus de 2 heures, une cinquantaine de trains sont annulés. La SNCF portera ensuite plainte contre X pour les nuisances occasionnées.
  • Des intrusions dans des centres-villes : le 15 février 2020, à la poursuite d’un cerf qui a fui la forêt puis traversé l’Indre, le Rallye Saint Louis et ses nombreux suiveurs investissent la commune de Rivarennes (37) jusqu’au camping, au cimetière, ou encore au terrain de football où des enfants jouent un match.
  • Des animaux domestiques blessés ou tués : le 4 janvier 2020, un chien du Rallye Bonnelles est percuté par un automobiliste sur la départementale près de Condé-sur-Vesgres (78) et le 1 février 2020, pendant la chasse, un chien de l’équipage de Fontainebleau est percuté par une voiture alors qu’il traverse seul une départementale ; enfin, le 19 octobre 2020 à Saint-Étienne-de-Chigny, un équipage de chasse à courre au chevreuil envahit un élevage de lamas, détruisant les barrières de la propriété. La meute s’est alors jetée sur les animaux et en a dévoré un vivant. L’aide des voisins a permis de sauver les autres.

En outre, cette pratique n’est pas sans danger pour les humains puisqu’elle peut provoquer des accidents, parfois mortels. En effet, plusieurs accidents de la route sont causés par la chasse à courre, par exemple, le 2 novembre 2019, pendant une chasse de l’équipage “Vénerie du Berry” en forêt de Loches (37), un cerf pourchassé déboule sur la départementale et heurte une voiture transportant une famille. Le choc est si violent que le véhicule finit sur le toit, dans un fossé. À l’intérieur, la mère de famille fait un arrêt cardiaque (à ce jour, elle est toujours dans le coma), tandis que son mari et son enfant de deux ans s’en sortent miraculeusement avec des blessures superficielles. Le cerf, lui, a été éjecté à 50 mètres de là et est mort sur le coup. Le capitaine de Gendarmerie Gaudrel déclarera à la presse que cet accident souligne « la dangerosité de la forêt quand les animaux sont chassés ».

On remarque que la plupart des incidents et accidents se sont déroulés lorsque les veneurs et leur équipage ne respectaient pas les règles en vigueur (non-respect des jours de chasse, non-respect des endroits autorisés, violation de terrains privés, violation des arrêtés municipaux etc.).

Pendant la crise sanitaire et notamment lors des confinements, le ministère de la Transition écologique avait publié une circulaire très claire le 31 octobre 2020, qui indiquait qu’« il convient de maintenir une régulation de la faune sauvage » sous forme d’exceptions mais que « les autres activités de chasse sont interdites, notamment les chasses de loisir sans impact sur la régulation, et en particulier la vénerie ». La chasse à courre est donc spécifiquement interdite par cette circulaire jusqu’au 15 décembre 2020 inclus. Pourtant, plusieurs équipages de vénerie étaient de sortie dans l’Aisne le week-end du 5 et 6 décembre 2020 et celui du 12 et 13 décembre 2020 dans l’Allier pour s’adonner à leur « loisir ». Ces derniers ne nieront pas les faits, et ne seront pas inquiétés… Le député Bastien Lachaud a interrogé le ministère de la Transition écologique sur les dispositions qu’il comptait prendre face à cette situation « intolérable où des individus pratiquent une chasse cruelle et barbare, en violation délibérée et revendiquée des règles de confinement ». Les veneurs jouissent-ils d’une immunité spéciale face au reste de la population ?

Pour 84 % des français, la chasse (en général) est dangereuse pour eux (sondage Ipsos 2018) et 71 % ne se sentent pas en sécurité en période de chasse dans la nature (sondage IFOP 2017).

Une attente sociétale de plus en plus présente : la France en retard

Au fil des années, la cause animale s’est inscrite de plus en plus dans le débat sociétal. En effet, aujourd’hui, 89 % des français jugent la cause animale importante (sondage Ifop 2019).

Malheureusement, alors que plus de 86 % de la population française est opposée à cette tradition (sondage Ifop 2017), seule une infime minorité de chasseurs la pratique encore (0,01 % des 1,1 millions de chasseurs français[1].

En effet, 77 % des français sont favorables à son abolition (sondage Ifop 2021), 85 % considèrent que c’est une pratique cruelle (sondage Ipsos 2010) et 76 % pensent qu’il s’agit d’une pratique d’un autre temps (sondage Ipsos 2010). De plus, cette pratique ne vise pas à réguler des espèces[2].

C’est donc autant pour des raisons éthiques que sociétales que cette pratique doit être abolie. C’est d’ailleurs le cas dans plusieurs pays européens : l’Allemagne depuis 1934, la Belgique depuis 1995 mais aussi la Grande-Bretagne depuis les années 2000[3], alors que cette pratique a une longue histoire au Royaume-Uni.

La Cour européenne des droits de l’Homme a d’ailleurs eu l’occasion de se pencher sur la question de l’interdiction de cette pratique dans l’arrêt Chapman de 2001 avec l’articulation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme concernant le respect de la vie privée. Dans cet arrêt, elle a considéré que, certes, la chasse constitue un élément central de la vie des requérants, mais que pour autant, elle estime que la communauté des chasseurs « ne saurait passer pour une minorité ethnique ou nationale ». Ainsi, elle considère que la simple participation à une activité sociale commune, sans plus, ne saurait créer une appartenance à une telle minorité. En outre, pour la Cour, la chasse ne constitue pas un mode de vie si inextricablement lié à l’identité de ceux qui la pratiquent que son interdiction menace l’identité des intéressés dans sa substance. En conséquence, pour la Grande autorité, son interdiction n’est pas contraire à l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme relatif au respect de la vie privée.

Malheureusement, en France, l’attente sociétale est grande, mais la réponse politique est nulle. Une contravention a même été créée pour obstruction à un acte de chasse en 2010… Pourtant plusieurs propositions de loi visant à son abolition ont vu le jour au fil du temps à l’Assemblée nationale mais aucune n’a été prise au sérieux par les députés et les sénateurs[4]. C’est pourquoi, le Référendum pour les animaux veut, avec d’autres mesures phares, mettre fin à cette pratique d’un autre temps en modifiant l’article L424-4 du code de l’environnement.

Espérons que la pratique de cette « tradition » n’ait plus que quelques jours devant elle.

Estelle Proust


[1] En France, il y a 450 équipages, ce qui correspond à environ 10 000 pratiquants, 17 000 chiens et 7 000 chevaux. venerie.org/chasse-a-courre-en-chiffres/ Retour

[2] Contrairement à la chasse à tir (tout aussi contestable), le rôle régulateur de la vénerie est insignifiant : moins de 1% des animaux sauvages, soit environ 4 700 animaux « traqués » et « tués » pendant une période de chasse (surtout que de nombreux animaux proviennent en réalité d’élevage) Retour

[3] En Écosse, par le Protection of Wild Mammals Act voté le 13 février 2002 et entré en vigueur le 1er 2002, en Angleterre et au Pays de Galle par le Hunting Act de 2004, applicable depuis le 18 février 2002. Retour

[4] La dernière en date étant la Proposition de loi n° 618 relative à l’interdiction de la chasse à courre, à cor et à cri. Retour

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