Chasses traditionnelles cruelles: le gouvernement loupe une occasion pour les oiseaux

Les chasseurs ne sont pas contents et ils le font savoir. Samedi 18 septembre 2021, ils manifestaient dans plusieurs villes de France, dont Amiens et Mont-de-Marsan. La raison de leur colère ? L’annulation par le Conseil d’État des arrêtés autorisant des pratiques de chasses traditionnelles sur des oiseaux. Les deux avis rendus le 6 août 2021 suivent logiquement la décision de la plus haute juridiction sur la chasse à la glu rendu en juin dernier.

vanneau hupé

Des chasses traditionnelles abominables

Certains n’auront jamais entendu parler de ces modes de chasse. Et pour cause, ils sont pratiqués par seulement quelques irréductibles et dans une poignée de départements.

Il existe deux types de chasse à la tenderie. La chasse tenderie aux vanneaux consiste à attirer les vanneaux huppés et les pluviers dorés près de filets horizontaux qui se refermeront sur eux à la commande du chasseur. Pour les attirer, un vanneau est attaché par la queue à une cordelette : le chasseur tire sur la cordelette pour déclencher les cris de l’oiseau et ainsi attirer ses congénères. La chasse tenderie au brancher vise les merles et les grives. Elle consiste à les capturer à l’aide d’un lacet à nœud coulissant confectionné « traditionnellement » avec du crin de cheval, soutenu par une branche sur laquelle est suspendue un appât (des baies). Pour atteindre les baies, l’oiseau passe le cou dans le collet (appelé « lac »), s’y pend et s’y étrangle au moment de reprendre son envol. Ces chasses sont pratiquées dans le département des Ardennes.

La chasse aux pantes vise la capture de l’alouette des champs à l’aide de grands filets horizontaux (les pantes) disposés au sol et déclenchés par un chasseur pour se refermer sur l’oiseau. Ce dernier est attiré par une alouette en cage qui sert d’appelant. La chasse à la matole vise aussi l’alouette des champs. Elle consiste à l’attraper à l’aide de petites cages (matoles) disposées au sol qui se referment sur l’oiseau. Des espèces d’oiseaux sont braconnés avec cette méthodes : l’ortolan et le pinson. Ces deux méthodes de chasse se pratiquent dans les départements de Sud-ouest : Gironde, Landes, Lot-et-Garonne et Pyrénées-Atlantiques.

La tradition n’est pas un motif suffisant pour autoriser une chasse

La Ligue pour la protection des oiseaux (LPO) et l’association One Voice sont à l’origine des décisions du Conseil d’État sur les chasses traditionnelles. Comme pour la chasse à la glu, elles ont attaqué les arrêtés autorisant ces chasses qui contrevenaient, selon elles, à la directive européenne « Oiseaux » qui vise à la préservation des espèces d’oiseaux en Europe.

Suivant la logique de l’interdiction de la chasse à la glu, qui est intervenue dans un avis du 28 juin dernier[3] à la suite de la décision de la Cour de justice de l’Union européenne, le Conseil d’État a estimé que des arrêtés dans le viseur des ONG étaient illégaux :

  • deux arrêtés du 24 septembre et du 2 novembre 2018 relatifs à la capture des vanneaux et des pluviers dorés dans le département des Ardennes pour la campagne 2018-2019 ;
  • quatre arrêtés du 27 juillet 2020 relatifs à la capture de l’alouette des champs au moyen de pantes et, le cas échéant, de matoles, dans les départements de la Gironde, des Landes, de Lot-et-Garonne et des Pyrénées-Atlantiques, pour la campagne 2020-2021.

La chasse à la glu était autorisée en France par dérogation à la directive Oiseaux. L’une des raisons pour lesquelles le Conseil d’État avait annulé les arrêtés autorisant la chasse à la glu était que la tradition n’était pas une justification suffisante à cette dérogation. Or, comme pour la chasse à la glu, la tradition ne suffit pas à motiver l’autorisation des chasses traditionnelles. Le Conseil d’État constate que l’État n’apporte pas de preuves scientifiques que la chasse de vanneaux huppés, pluviers dorés, grives, merles et alouettes des champs ne puisse pas être effectués par d’autres moyens plus satisfaisants quant aux critères de sélectivité et de respect des animaux.

L’État s’en remet à nouveau au Conseil d’État

Les arrêtés concernant les chasses à la tenderie annulés portaient sur la campagne de chasse 2018-2019. Des arrêtés avaient aussi été pris pour les campagnes suivantes mais dans l’attente d’une décision du juge suprême, les associations ne les avaient pas attaqués.

Malgré cette décision, l’État a décidé de publier à nouveau des arrêtés sur ces modes de chasses pour la campagne 2021-2022. Les arrêtés ont été soumis à la consultation du public au mois de septembre et publiés au Journal officiel en octobre. L’État a étoffé ses justifications pour l’adoption de ces arrêtés. Il met notamment en avant le caractère sélectif (discutable) des méthodes de chasse, l’impossibilité de faire appel à d’autres méthodes – le tir porterait atteinte à la tranquillité des promeneurs et à l’environnement – et que les quantités d’oiseaux prélevés par ces moyens sont minimales (116 000 individus tout de même). La LPO et One Voice ont à nouveau attaqué ces arrêtés et le Conseil d’État a décidé de les suspendre en urgence le temps de rendre son jugement d’ici quelques mois.

Le gouvernement n’a donc pas saisi l’opportunité qui lui était donné d’en finir avec des chasses cruelles pour les oiseaux et pratiquées par un petit nombre de chasseurs. Il faudra attendre de voir l’avis du Conseil d’État dans les prochains mois. Nous sommes en octobre 2021, six mois avant la prochaine élection présidentielle, et une chose est sûre : la saison de la chasse aux votes des chasseurs est bel est bien ouverte.

Nikita Bachelard

ACTUALITÉS