Le commerce illégal de faune sauvage dans l’Union européenne: une menace pour la santé publique et un appel aux décideurs politiques

Trop souvent considéré comme l’apanage des pays en voie de développement, le commerce faunique est au contraire mondialisé avec des flux considérables du Sud vers le Nord. Plusieurs centaines de millions d’animaux sont prélevés chaque année dans leur milieu naturel pour alimenter cette industrie à plusieurs milliards d’euros, dont l’ampleur ne cesse d’augmenter et est comparable à celle des trafics de drogue et d’armes.

© Ovidiu Creanga

Le commerce illégal d’espèces animales constitue non seulement une grave menace pour la biodiversité, mais il expose également les humains à de nombreuses maladies émergentes dont certaines ont été à l’origine des plus grandes pandémies que l’humanité ait connues. Les virus SARS-CoV-2 et le VIH en sont des exemples récents. Trop souvent considéré comme l’apanage des pays en voie de développement, le commerce faunique est au contraire mondialisé avec des flux considérables du Sud vers le Nord. Plusieurs centaines de millions d’animaux sont prélevés chaque année dans leur milieu naturel pour alimenter cette industrie chiffrée à plusieurs milliards d’euros, dont l’ampleur ne cesse d’augmenter et est comparable à celle des trafics de drogue et d’armes.

L’Union européenne (UE) jouant un rôle majeur dans ce trafic de faune sauvage, tant comme destination de transit que comme marché final, il est inquiétant que les décideurs politiques ne s’engagent pas d’avantage pour lutter contre ce commerce dont les impacts négatifs sur la santé publique, le développement socio-économique et la stabilité politique peuvent s’avérer considérables. N’a-t-il pas été affirmé au cours d’une assemblée générale des Nations unies que le VIH pouvait compromettre la sécurité et la stabilité politique de certains pays s’il n’était pas maitrisé ? Est-il raisonnable d’attendre que la prochaine épidémie en Europe soit causée par une importation illégale de viande de brousse pour prendre des mesures de rétorsion adaptées ? La surveillance des maladies infectieuses n’a jamais été suffisante pour prédire leur émergence dans la population humaine.

Il est pour cette raison impératif de changer de paradigme et de passer d’un modèle « réactif » à un modèle « proactif ». Restreindre les interfaces entre les humains et la faune sauvage est sans aucun doute le meilleur moyen de prévenir l’apparition de maladies infectieuses émergentes. Plutôt que de déployer des efforts et des sommes considérables pour combattre les effets délétères de ces agents pathogènes, l’accent devrait au contraire être mis sur la prévention de leur apparition en adoptant des mesures fortes de préservation de la biodiversité. L’UE prétend être aux avant-postes du combat contre le trafic de faune sauvage, mais, du fait de sa législation inadaptée, ses manques de moyens et ses sanctions non dissuasives, elle fait au contraire preuve de laxisme dans la régulation de ce commerce illicite. Alors que plusieurs centaines de tonnes de viande de brousse seraient importées chaque année à l’aéroport de Paris Charles de Gaulle, seulement 2,5 % des bagages font l’objet de fouilles et les contrevenants sont très rarement verbalisés. L’UE aurait beaucoup à gagner à endosser le rôle de leadership dans la lutte contre le trafic de faune sauvage, sans compter qu’elle est par ailleurs signataire de l’accord de la convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES) dont le but est de veiller à ce que le commerce de faune et de plantes ne menace pas leur survie. L’UE devrait renforcer ses procédures de contrôle aux frontières avec des méthodes de détection performantes et du personnel dédié, améliorer sa législation et développer des juridictions spécialisées pour traiter les crimes environnementaux. Un meilleur contrôle aux frontières est par ailleurs un prérequis à tout effort de lutte contre le trafic faunique car, outre l’interpellation des contrevenants, il permettrait d’évaluer plus précisément l’ampleur de ce commerce illégal en termes d’espèces, de volumes et d’origines. Cela participerait à améliorer le cadre juridique au sein de l’UE et à orienter les politiques de conservation dans les pays d’origine de la marchandise confisquée.

Le contrôle du trafic de faune sauvage implique également que les espèces puissent être formellement identifiées, ce qui n’est pas toujours possible pour les produits dérivés comme la viande de brousse. Financer largement la recherche médico-légale appliquée à la faune sauvage (wildlife forensic science) et promouvoir le développement d’un réseau de laboratoires dédiés à cette discipline devraient être la pierre angulaire du plan européen pour infléchir le trafic faunique. La médecine légale appliquée à la criminalité environnementale est en effet une discipline novatrice indispensable dans la lutte contre le commerce faunique car, lorsqu’un crime est commis, elle permet d’établir les preuves d’une infraction qui peuvent ensuite servir pour une instruction au tribunal. Afin de renforcer le rôle de cette médecine légale dans la lutte contre le trafic faunique, tout l’enjeu est de rendre les technologies de pointe dans le domaine de la biologie moléculaire (par exemple la génomique et les analyses isotopiques) largement disponibles et faciles d’utilisation et d’enrichir des bases de données scientifiques afin que chaque espèce protégée par la CITES dispose d’une « signature biologique ». L’UE a recours à cette médecine légale dans des domaines où elle souhaite défendre ses intérêts économiques comme le commerce du bois et la pêche. Il serait donc parfaitement envisageable de faire la même chose pour lutter contre le trafic de faune sauvage. Cette approche préventive qui mériterait par ailleurs d’être intégrée au plan d’action européen pour la faune sauvage (EU-Wildlife Action Plan), contribuerait autant à infléchir l’érosion de la biodiversité qu’à répondre à des questions de santé publique en diminuant drastiquement le risque d’importation de maladies émergentes en Europe.

Michel Halbwax, Docteur en médecine vétérinaire

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