Rat des villes, rat des champs… Un animal lié à l’humain et objet de son hostilité

Au sein de notre entourage, nous avons tous déjà entendu qu’« il est difficile de se débarrasser des rats » lorsque ceux-ci « envahissent » les habitations et les jardins. Les termes employés ici qualifient cet animal sauvage d’« envahisseur » dont il faut « se débarrasser » : un animal nuisible en somme. Qui est cet animal sauvage perçu comme un nuisible par la population ?

La classification du « rat » 

Le « rat » est un nom commun qui désigne une multitude d’espèces différentes de petits mammifères omnivores, ayant pour caractéristiques communes une paire d’incisives développées à croissance continue, une queue nue et un museau pointu. Les espèces sauvages les plus communes sont le Rattus rattus (Linnaeus, 1758), rat noir, et le Rattus norvegicus(Berkenhout, 1769), rat gris (ou brun). Il s’agira de se concentrer ici sur ces deux espèces sauvages, car, présentes dans les villes et dans les champs partout dans le monde, elles sont susceptibles de mener des interactions avec l’humain, interactions non désirées par ce dernier. 

Ces deux espèces de rat sauvage font partie de la famille des Muridae (Illiger, 1811) au sein de l’ordre des rongeurs, Rodentia. Elles appartiennent à la sous-famille des Murinae qui comprend le genre Rattus, genre qui est aussi connu sous le nom de rats de l’« Ancien Monde », dû à leur dentition : il s’agit d’un modèle plus primitif que celui des rats du « Nouveau Monde » (Nowak et Walker, 1991), qui appartiennent aussi à l’ordre des rongeurs mais qui se différencient par la famille des Cricetidae (Fischer, 1817). 

Le genre Rattus est apparu il y a trois millions d’années : les rongeurs prospèrent, notamment en Eurasie et en Afrique, continents que les primates occupent déjà et où ils poursuivent leur évolution. Il semble que le genre Rattus se soit d’abord dispersé en Asie du Sud-Est, pour ensuite coloniser tous types d’habitats (Aplin et al., 2003 (3)). Le genre Homo (Linnaeus, 1758) quant à lui, dont aujourd’hui seule l’espèce Homo sapiens n’est pas éteinte, apparaît également à la fin de l’époque du Pliocène, soit il y a 2,8 millions d’années (4). 

La particularité des espèces Rattus rattus et Rattus norvegicus réside dans le fait que ce sont deux espèces commensales qui ne vivent pas dans la forêt comme la plupart des autres espèces du genre Rattus : elles vivent à proximité des humains. Elles ont ainsi la possibilité et ont développé la capacité de s’adapter rapidement et facilement à une multitude d’environnements et de ressources. 

Le conflit entre les humains et le « rat » 

En tant qu’espèces commensales, le rat gris et le rat noir se nourrissent de ce que produit l’humain. Ce dernier doit cohabiter avec ces deux autres espèces, mais n’en tire, lui, aucun bénéfice apparent. Cette différence est le point de départ des conflits. 

Le rat noir et le rat gris, originaires d’Asie, se sont répandus à travers le monde avec le développement du transport maritime. Historiquement, nous pouvons observer deux tendances assez caractéristiques du conflit entre humains et animaux sauvages : le ravage des récoltes et la transmission des zoonoses (maladies transmissibles de l’animal à l’homme). L’un est attribué au rat noir et l’autre au rat gris, selon leur milieu de prolifération, à savoir l’un en milieu rural et l’autre en milieu urbain. 

Le rat est associé dès le Moyen-Âge au milieu rural, au mauvais augure, à la saleté, et surtout au ravage des récoltes. Considérés à cette époque en Europe occidentale comme de véritables sujets de droit, ils étaient poursuivis pour avoir détruit les récoltes et étaient représentés par un défenseur. En effet, étaient pratiquées des excommunications par l’Église ecclésiastique contre les nuisibles qu’on rejetait alors en dehors de la Création. Ce type de procès d’animaux permettait d’offrir à la population un symbole de justice. Par exemple, au XVIe siècle, le procès des rats d’Autun défraya la chronique puisque Barthélemy de Chasseneuz, défenseur des rats, plaide avec raison que le délai de convocation donné aux rats est trop court pour les rassembler tous. En milieu urbain, les denrées alimentaires peuvent aussi être abîmées par les rats, du fait de leurs morsures ou déjections.

Cela nous amène au second conflit, celui de la transmission des zoonoses. Une espèce perçue nuisible par la population l’est souvent du fait de sa capacité à répandre un certain nombre de maladies. Le rat noir est associé à la peste bubonique, épidémie historique ayant fait plusieurs milliers de morts au XIVe siècle. Le rat est alors devenu dans notre culture « le symbole des zoonoses, ces maladies qui se transmettent de l’animal à l’humain ». Mais le rat meurt lui aussi de la peste, ce sont les puces attachées à ce dernier qui transmettent la maladie. 

Aujourd’hui, le rat noir vit plutôt dans les champs. Agile, il constitue des colonies dans les greniers. Le rat gris est quant à lui présent dans les égouts car un milieu humide lui est favorable. 

Ni le rat gris, ni le rat noir ne font partie juridiquement des espèces susceptibles d’occasionner des dégâts. Pour autant, ces espèces de rat n’ont aucun statut en droit et ne bénéficient d’aucune protection. Et parce que les deux conflits « homme-animal sauvage » historiquement présentés ci-dessus sont toujours d’actualité, le rat est chassé et tué sans restriction. La résolution de ces conflits devrait plutôt passer par une étude approfondie de leur environnement afin de connaître précisément les caractéristiques combinées qui favorisent l’installation ou non de ces espèces.

Manon Rochette-Castel 

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