Rat des villes, rat des champs… Une coexistence est possible avec l’humain

Peur, dégoût, haine en Occident, richesse et chance en Orient, passion des rats de compagnie ou extermination cruelle, utilisé en expérimentation ou éradiqué sans tenir compte de sa sensibilité : nul animal autre que le rat ne suscite des sentiments si opposés. Mais que lui reproche-t-on ? De véhiculer des zoonoses, de piller et contaminer nos denrées alimentaires. Quelle est la réalité ? À quoi contribue le rat dans l’équilibre écologique ? 

©Matt Seymour

« Adieu donc ; fi du plaisir
Que la crainte peut corrompre ! »

Parlons d’abord des zoonoses. La peste, bien sûr, dont le rat noir a été accusé alors qu’il en est également victime. Mais depuis on soupçonne fortement que la puce de ce rat, réel vecteur de la maladie, ait pu être « aidée » par les puces humaines. En tout cas, notre rat gris des villes ne peut en être vecteur (ni sa puce). La leptospirose ? Bien d’autres rongeurs et même nos chiens peuvent nous contaminer mais ils ne sont pas éradiqués pour autant. De plus, il est assez aisé de s’en prémunir avec des équipements de protection adaptés (contre l’eau et les urines d’animaux), voire la vaccination. Rappelons qu’il n’y a pas d’épidémie dans le temple des rats sacrés en Inde…

On lui reproche aussi de causer des dommages à nos matériels (fils électriques) et denrées alimentaires (pillage, contamination), mais n’oublie-t-on pas le rôle essentiel de ces animaux ?
Le rat des champs, le rat noir, aime les endroits chauds et secs et, s’il ne vit pas dans les forêts, va se nicher (si on lui en laisse l’opportunité) dans les greniers et les lieux de stockage de grains car il est essentiellement végétarien : grains, fruits et légumes composent ses repas, mais aussi vers et insectes. Il a de ce fait un rôle indéniable de pollinisateur, de disséminateur de graines, ce qui explique en partie le fait qu’il n’apparaisse pas dans la liste des ESOD.

Son cousin, le rat gris ou surmulot, affectionne les lieux humides (d’où son nom de rat d’égout) et a pris possession du paysage urbain. Il est devenu un animal liminaire, profitant de ce que la ville et l’homme lui offrent : il est omnivore à tendance carnivore comme l’homme, et se nourrit donc de nos déchets, ce qui n’est pas négligeable dans une société qui gère difficilement ces mêmes déchets ! Un rat consomme 9 kg de détritus par an… Le rat gris vit dans les égouts, les parcs et les jardins où il sort surtout au crépuscule ou la nuit. Non seulement les rats gèrent nos déchets, mais ils permettent aussi que les conduits des égouts ne se bouchent pas en y circulant et en creusant, pour y faire des terriers, le limon s’accumulant dans les descentes des collecteurs. Contrairement à ce qu’on pourrait croire selon les médias qui se récrient à la vue de quelques rats dans les parcs parisiens, il n’y a guère de risque qu’ils nous envahissent : les rats ne se rendent en surface le jour que parce que dérangés par les activités humaines (travaux de démolition) ou attirés par nos déchets (pique-niques), voire lors de phénomènes naturels (crues). Et la mort les attend bien souvent lors de ces incursions en surface. En réalité le rat régule sa population en fonction des ressources : en cas de manque, les rattes repoussent les mâles voire tuent les bébés. Il n’y a de hausse de la population qu’en cas de ressources importantes. D’autre part, les rats sont très territoriaux. Si une colonie est installée, aucune autre n’apparaîtra, ce qui est un des facteurs d’inanité de leur extermination : si une colonie meurt, une autre prendra sa place si l’environnement leur est toujours favorable. Enfin, la dératisation par les moyens habituels (pièges, poisons) est aussi une impasse : les rats s’adaptent, apprennent, et deviennent plus résistants aux toxiques. 

Alors, comment coexister avec ces animaux dont l’utilité est indéniable ? Ils ont tout autant que nous le droit de vivre dans cet environnement pris sur la nature et nous devrions leur savoir gré de ce qu’ils gèrent pour nous. En réalité, les solutions pour une coexistence harmonieuse sont disponibles et ont déjà été mises en œuvre. Le travail se fait sur l’environnement : en ville, une possibilité première est de bétonner les égouts lors de leur rénovation, de façon à diminuer les espaces disponibles pour les nids et donc globalement le nombre de rats. Mais cela n’est efficace qu’accompagné d’une gestion correcte de nos déchets : limiter la nourriture abandonnée sur la voie publique (donc éduquer voire verbaliser les « pollueurs »), utiliser des collecteurs de déchets hermétiques, organiser leur collecte en journée plutôt que le matin de façon à sortir les bacs le matin et non plus le soir, moment où les rats sont actifs et ont toute la nuit pour en trouver l’accès. Tout ceci diminue drastiquement leurs incursions. Quant au matériel électrique, des gaines anti-rongeurs protégeant les fils électriques sont disponibles dans tous les magasins de bricolage. Des possibilités de stérilisation des rats par produits contraceptifs sont également possibles.

En ce qui concerne le rat noir de nos campagnes, le risque de peste est à présent sous surveillance sanitaire mondiale, tout retour serait d’ailleurs plus lié au réchauffement climatique qu’aux rats. Le rat noir en bonne santé s’avère moins parasité, diminuant d’autant le risque éventuel. De plus, il est techniquement facile de l’empêcher de s’installer dans nos silos et greniers grâce aux matériaux résistant à ses dents dont nous disposons, sans oublier son prédateur naturel, le chat ! Tout est une affaire de volonté et d’argent, bien sûr.

Comme le dit Joëlle Zask dans Zoocities, il faut prendre ces animaux en considération lors de l’élaboration de nos villes et leur organisation : faire de la ville une cité multispéciste où la coexistence est rendue possible par le changement de nos comportements et l’écodesign n’est plus un objectif à long terme mais une priorité que les facteurs économiques ne doivent plus nous empêcher d’atteindre. 

Brigitte Leblanc


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