CR: poétique, drôle et éthique: À quoi tu penses ?

Jean-Louis Fournier, Illustrations de Dominique Lange, Philippe Rey Éditeur, 2021, 206 pages(19 €)

Jean-Louis Fournier, écrivain, humoriste et réalisateur de télévision, a écrit près d’une quarantaine de livres sur des thèmes de société. Comme le rappelle ici la quatrième de couverture : « J’ai toujours eu une envie folle de savoir ce qui se passe dans ces têtes hirsutes, couvertes de plumes, de poils, de cuir, d’écailles… » Ou encore : « Je vais faire une enquête auprès de tous les animaux de la terre, une sorte de micro-trottoir zoologique. » (p. 8) Cela aboutit à cet ouvrage, original à bien des points de vue.

Par le ton et le style d’abord. Les textes proposés sont très courts, entre quelques pages pour les plus longs et quelques lignes pour les plus courts, ce qui rapproche à certains égards ces derniers de la poésie japonaise et des poèmes apparentés aux haïkus. Chacun de ces textes courts est illustré par une image colorée et superbe de Dominique Lange, qui vient compléter l’expression verbale et en prolonger la signification. On se rapproche, ici encore, de poésie japonaise, où une forme, appelée « haïga », traduit une complémentarité sémantique entre les mots et les images. Donnons-en quelques exemples (issus d’un ensemble interne au livre et richement illustré de pages non numérotées). 

« Je suis le loup gris souris et j’ai besoin de tendresse ». L’expression lapidaire ne se comprend vraiment que si l’on voit en même temps l’image, située juste à côté, d’un loup au regard plein de tendresse. « Je suis l’oie à tête barrée, jalouse de Thomas Pesquet ». L’expression lapidaire ne se comprend vraiment que si l’on voit en même temps l’image, située juste à côté, d’une tête d’oie au regard rêveur doucement tourné vers le ciel.

Venons-en aux textes plus longs, même s’ils dépassent rarement deux pages, et qui constituent l’essentiel du livre. Ici, l’originalité du propos se trouve dans l’inattendu, voire l’incongru, des réflexions que font au narrateur les animaux qu’il rencontre et qu’il interroge. Avec Jean-Louis Fournier, on croise un vieux poisson qui a pu vieillir grâce à la gentillesse d’un pêcheur qui, après l’avoir attrapé, l’a relâché dans la mer : « J’ai pu connaître les joies de la vie, j’ai eu une famille. »  (p. 12) On écoute une huître qui avoue : « Si les hommes ne veulent pas être treize à table, nous, les huîtres, on n’aime pas être douze sur la table » (pp. 13-14). On rencontre un vieux lion qui pense avec nostalgie à son pays d’origine : « Une grosse larme a roulé dans sa crinière rousse. » (p. 20) On compatit avec un jaguar du Brésil échappé à un incendie de forêt dû « à la sécheresse de cœur de certains politiques et propriétaires » (p. 45). On fréquente un singe malicieux d’un jardin zoologique qui sait qu’il possède 98 % de gènes communs avec les hommes et qui ajoute, à l’intention de son interlocuteur humain : « Je ne voudrais pas que mes enfants tournent mal et deviennent comme vous. » (p. 51) On partage la reconnaissance émue d’un superbe faisan pour Jacques Chirac : « C’est lui qui en 1995 a supprimé les chasses présidentielles… (qui) étaient de vrais massacres. » (p. 107) On admire la sagesse d’un chien qui remarque : « L’homme n’arrive pas à s’entendre avec ses semblables de la même espèce, mais parfois, grâce à nous les animaux,  il devient humain. » (p. 132) On craint, avec une biche peu rassurée, qu’il n’arrive, du fait des cultivateurs, malheur à ses « enfaons » : « Ils veulent les laisser grandir, avant la chasse…  » (p. 158) On dialogue avec une colombe qui roucoule : « « J’ai pas le temps, fous-moi la paix ! » C’était une colombe de la paix. Elle est toujours débordée. » (p. 199) !

On le voit : dans des conversations inattendues ou dans des confessions variées avec toutes sortes d’animaux, toutes baignées d’un humour parfois grinçant, on retrouve, en filigrane, la plupart des questions qui se posent dans les rapports des êtres humains et des animaux : chasse, pêche, parcs zoologiques, alimentation carnée, raréfaction des milieux sauvages, animaux de compagnie… La brièveté savoureuse et la légèreté apparente des anecdotes laissent en bouche un arrière-goût de recherche morale à achever. Avec Jean-Louis Fournier, on réfléchit tout autant qu’on s’amuse. La remarque qui paraît la plus désinvolte devient finalement maïeutique vers l’éthique la plus profonde et la plus nécessaire.

Par son humour décapant et sa limpidité de style, comme par ses échos éthiques sous-jacents, le livre pourra intéresser tous les publics.

Georges Chapouthier

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