Pauline Delahaye, Collection Zoosémiotique, L’Harmattan, 2022 (11,5 €)
Nous avions déjà présenté, dans nos colonnes, le premier livre de la Collection Zoosémiotique, fondée et dirigée par Astrid Guillaume, L’ours polaire et le droit – Signaux d’alerte, de Jean-Marc Neumann (n° 108, 2021, p. 16). Voici le second livre de la collection.
Pauline Delahaye, qui a soutenu une thèse à Sorbonne université en zoosémiotique, cette discipline qui étudie la communication animale, est chercheuse à l’université de Tartu, en Estonie. Elle nous propose ici une réflexion sur les espèces liminaires des villes, ces espèces qui vivent dans la proximité de l’espèce humaine sans être ni domestiquées ni totalement sauvages, comme les pigeons, les rats et les souris, « à la marge des villes et des hommes, […] dans l’ombre, au seuil de nos habitats, à la frontière » (p. 12). À côté des liminaires des campagnes dont il n’est pas question ici, il existe, selon l’autrice, quatre types de liminaires des villes : des liminaires invisibles, comme les grillons du métro parisien, des liminaires ultravisibles, comme les petits oiseaux de nos jardins, des « liminaires grouillants » (p. 15), en général des insectes, comme les fourmis ou les mites, et des liminaires intermédiaires, comme les rats et les souris, « trop gros pour être grouillants » (p. 16), mais qui concentrent « le plus de fantasmes » (p. 17). C’est d’eux qu’il est question dans cet ouvrage, abondamment illustré de photographies et de croquis. Certes, « peu de gens portent les rats et souris dans leurs cœurs » (p. 8). Pourtant, « il y a beaucoup à apprendre de nos rencontres » (pp. 8-9) avec eux.
Ici, avec l’autrice, nous suivons symboliquement une souris rencontrée dans un bar et que les tenanciers avaient baptisée « Brigitte ». Une souris alors que, déjà, beaucoup d’êtres humains ont du mal à distinguer les souris et les rats. Dans l’imaginaire collectif, le rat est plus « sale » que la souris, mais plus intelligent. Des sondages effectués par l’autrice montrent combien nos croyances sur les rongeurs sont souvent erronées. Ainsi, l’idée qu’ils sont « des fléaux qu’on ne peut que subir sans jamais pouvoir s’en défaire » (p. 39). Les sondages effectués par l’autrice montrent toutefois que ces croyances, très irrationnelles, ne sont pas homogènes, puisque, par exemple, les 18-25 ans ont une conception plus favorable du rat. Outre le rôle des rongeurs dans l’élimination de nos déchets domestiques, un rôle très important et en général méconnu – « près de trente à trente-cinq millions de tonnes de déchets […] par an dans la seule ville de Paris » (p. 51) –, leur image s’améliore aussi par la perception de leur utilité dans la recherche biologique et médicale. C’est largement grâce à eux que nous pouvons disposer de médicaments. Les rats et les souris passent alors « du statut de porteurs de mort à sacrifiés de la médecine » (p. 48). Les progrès de l’éthologie permettent même de démontrer chez les rats des aptitudes d’empathie et d’altruisme pour leurs congénères. On découvre ainsi ces animaux mal aimés drapés « de vertus que l’humain aime croire propres à lui » (p. 50).
La dernière partie du livre donne la parole aux « professionnels potentiellement impactés par ces espèces » (p. 53). Ainsi nous rencontrons un apprenti cuistot, qui explique que, par la loi, il doit prendre des mesures contre les « nuisibles », même si les dégâts produits par les souris sont minces. Nous écoutons les tenanciers du bar où se produit Brigitte, qui la tolèrent parce qu’« elle est mignonne, je préfère ça qu’un gros rat, tu vois. » (p. 58). Nous estimons, avec Nathalie, courtier automobile, les dégâts dus aux rongeurs dans le milieu automobile. Certains sont inattendus et nouveaux ces dernières années. Il semblerait que, pour palier, dans certains tuyaux des moteurs, l’utilisation des plastiques, « plusieurs constructeurs utilisaient un dérivé d’amidon de maïs (qui…) a une odeur spécifique de nourriture » (p. 60) ! Les coûts de réparation peuvent être élevés, mais les cas sont rares : « 10 sinistres par an, à peu près » (p. 65). Et, pourrait-on ajouter, la solution pourrait être trouvée dans l’utilisation d’un autre type de tuyaux, moins appétissants.
Écoutons finalement la conclusion de Pauline Delahaye : « j’espère avoir pu dans cet ouvrage montrer pourquoi il ne faut pas s’offusquer de cette cohabitation, en quoi elle ne cause pas tout le tort que notre imaginaire lui impute » (p. 70). Il nous faut, pour ces rongeurs qui partagent nos villes « les apprécier à leur juste valeur (…) s’essayer à un cran un peu plus élargi de vivre ensemble » (p. 70).
Georges Chapouthier