CR: L’éloquence de la sardine

Bill François, Éditions Arthème Fayard, 2019, Coll. J’ai lu, 220 Pages, 7,20 €

éloquence de la sardine

Une découverte que celle de ce petit livre au titre intrigant ! Moi qui croyais que, comme la carpe de Bobby Lapointe, la sardine était muette ! Bill François aurait-il pris le parti de se moquer délicieusement de nous dans un pamphlet facétieux ? Eh bien, c’est tout le contraire ! Ce livret nous conduit, avec humour et bonheur, de surprise en surprise. Il commence par la rencontre imprévue que fit l’auteur, enfant, sautant d’un rocher découvert à marée basse à un autre sur quelque plage de Bretagne ou d’ailleurs. Voici qu’il aperçoit « quelque chose qui brille à la limite des vagues… une brisure de coquillage nacré ? ». Non point, une sardine, « toute brillante et argentée, avec une ligne d’un bleu électrique comme une guirlande le long de son dos noir », une simple sardine, égarée de son banc, tout à coup devenue unique aux yeux du jeune Bill, telle la rose du Petit Prince, et dont il est convaincu qu’à sa façon elle souhaite entrer en communication avec lui. Cette rencontre inopinée marque en fait le début d’une grande aventure qui va conduire ce futur éminent chercheur en physique à passer une bonne partie de sa vie à prendre progressivement connaissance d’un monde tout différent de celui prétendument évoqué comme monde du silence : la mer, source inépuisable de découvertes fascinantes, qu’il nous fait partager. La mer mais aussi les fleuves qui entretiennent avec les océans des relations intimes par l’entremise des espèces capables de s’accommoder de manière surprenante de ces deux milieux si différents.

La mer dont « les reflets d’argent » sont parfois ceux des bancs de sardines précisément. Car même quand elles sont toutes proches les unes des autres, nous dit l’auteur, « les sardines savent se faire invisibles : vues d’au-dessus, elles ne sont plus qu’un reflet bleu qui se fond dans le paysage de la mer ; vues d’en dessous, leur ventre nacré disparait dans la lumière du ciel ». Tout cela pour nous expliquer, de façon à la fois poétique et savante, que les comportements collectifs de ces masses apparemment composées d’êtres indistincts sont en réalité d’une extrême cohérence, celle qui, née des deux composantes impérieuses de l’Évolution – le hasard et la nécessité, – assure la survie de leur espèce contre tous les dangers qui la menacent, à commencer bien sûr par celui de servir de nourriture à d’autres espèces.

Page après page, on va de découverte en découverte. On apprend non seulement que les baleines chantent mais que leurs voix peuvent, du fait des différences de température des diverses couches d’eau, porter à des milliers de kilomètres et leur permettre ainsi de très lointains compagnonnages. Et qu’il en existerait une espèce qu’on ne connait pour le moment que par son chant. On apprend aussi que les langoustes jouent – faux ! – du violon en frottant leurs antennes sur leur carapace et que les impulsions sonores ainsi produites sont si insupportables qu’elles leur servent surtout à repousser leurs prédateurs… Quant aux harengs, « ils se livrent à un bavardage assez original : ils communiquent entre eux au moyen de flatulences » émises en répétitions régulièrement rythmées… 

S’agissant des senteurs, la mer n’est pas seulement émettrice de l’apport des harengs et des odeurs iodées de ses algues. Tout est en nuances en son sein et c’est grâce à la subtilité de sa gestion des molécules de parfum qu’il suffit de quelques-unes d’entre elles aux saumons du Groenland pour retrouver l’embouchure du fleuve dans lequel ils sont nés, quelques années plus tôt, bien loin de là, pour retourner s’y reproduire et y achever leur vie.

éloquence de la sardine

« Petit poisson deviendra grand »

Cela ne va pas toujours de soi de naître et de grandir dans ce milieu de tous les dangers qu’est l’océan. Ainsi les anchois mâles, « incapables de faire la différence entre les œufs que les femelles viennent de pondre et le plancton de leurs repas, dévorent 28 % de cette ponte ».  Le requin-taureau a une stratégie « plus radicale » encore. Ses petits éclosent d’un œuf mais à l’intérieur de l’utérus, et ils ne sont pas les seuls à s’y développer : la femelle, qui s’est accouplée avec plusieurs mâles différents, porte en elle plusieurs dizaines d’embryons ; les premiers à éclore dévorent leurs demi-frères puis se dévorent entre eux jusqu’à n’être plus qu’un ou deux à naître…

Telle n’est pas pour autant la loi générale. Bien des espèces sont plus protectrices de leur progéniture. Et ce sont souvent les mâles qui s’en chargent. C’est par exemple le cas du lompe, ce « poisson tout rond des mers froides » reste immobile pendant plusieurs semaines aux côtés de la ponte de sa femelle pour la protéger.

Ce n’est pas la façon de faire pour les poulpes, et c’est sans doute la raison, nous dit Bill François, pour laquelle, malgré leur intelligence absolument exceptionnelle, ils n’ont pas pris possession de la terre. Le mâle s’enfuit juste après avoir joué son rôle de géniteur et la femelle meurt d’épuisement après avoir passé son temps sans se nourrir à surveiller ses embryons ; ni l’un ni l’autre des deux parents ne peuvent donc transmettre leur savoir aux nouveau-nés, qui doivent recommencer à zéro leur apprentissage de la vie !

De belles histoires, comme celles qui précèdent, ce livre en fourmille. Bon, il faut peut-être prendre un peu distance avec les sympathiques envolées lyriques de la fin de l’ouvrage. Mais comment peut-on les éviter quand on veut informer avec un enthousiasme communicatif de l’incroyable richesse, dans sa diversité, de ce monde dont nous avons jadis fait partie et dont on se rend compte, chaque jour un peu plus, que les compétences, pour ne pas dire l’intelligence des êtres qui aujourd’hui le peuplent, dépassent largement le niveau que notre propre espèce leur a historiquement attribué ?

Lisez-le donc, ce joli livre, avec la joie de vous plonger, tête la première, dans ce véritable bain de jouvence de vos connaissances sur ce monde mystérieux qui occupe plus des deux tiers de la surface terrestre.

Philippe Lazar

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