La tonte des animaux: bientraitance ou maltraitance?

Dans le contexte singulier de ce que l’on appelle aujourd’hui « le bien-être animal », la question nous a été posée de savoir si le fait de tondre un mouton pourrait être ou non, dans certains cas, un acte de maltraitance. En première analyse, cette question, au fond très anodine, pourrait surprendre, mais, à y regarder de plus près, on s’aperçoit vite que la réponse n’est pas aussi évidente qu’on pourrait le penser… Alors, qu’en est-il ?

Tonte animaux

Tous les animaux que l’on peut être amené à tondre – les moutons (cas de loin le plus fréquent), mais aussi les alpagas et certaines races de chèvres (angora ou mohair) – sont pourvus d’une toison – la laine –, essentiellement destinée à les protéger, comme les poils protègent chiens et chats ou les plumes qui protègent les oiseaux. Sauf que, chez les alpagas, les chèvres et les moutons, la pousse puis la croissance de cette laine sont continues, au point que, dans certaines races, cette toison peut prendre une importance considérable au fil du temps, en volume et en poids et, par conséquent, devenir elle-même une source de nuisances.

Ne pas tondre, acte de maltraitance?

Ne pas tondre certains animaux pourrait être interprété comme une forme de négligence et, parfois même, comme un acte de maltraitance. En effet, du fait que la laine ne cesse de pousser, son accumulation peut être à l’origine de nombreux risques pour l’animal :

  1. la présence d’ectoparasites (tiques, poux, notamment) avec tout ce que cela représente comme nuisances sanitaires et inconfort,
  2. une couverture en surcharge et poids handicapants, notamment en cas de pluies, et peut-être plus encore en périodes de grosses chaleurs (où l’énorme couverture ainsi constituée devient un sauna ambulant !),
  3. une diminution de la vision lorsque la laine devient trop abondante sur la tête, induisant des risques de chutes, blessures et impossibilité de se mettre à l’abri d’un danger imminent, etc.

Autant d’inconvénients, potentiels mais réels, que l’on ne peut méconnaître et dont l’animal se passerait bien si l’on prenait bien soin de lui et, notamment, de son bien-être dans son véritable sens étymologique. Car tous ces animaux à laine ont le droit, eux aussi, de se sentir bien ; c’est une partie de leur « bien-être ».

Ne pas les tondre, au bon moment (une à deux fois par an, selon les races, les coutumes et la nécessité), et selon des méthodes éprouvées (en faisant appel à des gens expérimentés dont c’est le métier) pourrait, notamment dans les cas extrêmes, être assimilé à une forme de maltraitance, susceptible de faire l’objet de poursuites pénales. Les détenteurs de ces animaux à laine le savent parfaitement ; ils sont, en l’espèce, soumis à une obligation de soins et, à tout le moins, de prévention. La tonte de leurs animaux devient alors une nécessité, très largement compensée par l’obtention d’une laine, souvent de qualité et aux multiples usages. Ce produit naturel, et on ne peut plus noble, n’est-il pas, lorsqu’en amont l’animal a été parfaitement respecté, un bel exemple de symbiose et de pragmatisme entre l’animal et l’homme ?

Tondre, acte de maltraitance?

Mais tondre les animaux à laine peut aussi conduire, dans certaines situations, et ceci paradoxalement, à commettre des actes de maltraitance. Ainsi en est-il, par exemple, lorsque la tonte est faite à un moment inapproprié, ou trop tôt ou trop tard selon les usages locaux, afin que l’animal tondu ne souffre, par exemple, ni du froid – qui dure –, ni de la chaleur trop précoce alors que la laine n’a pas encore suffisamment repoussé pour procurer à l’animal une nouvelle protection efficace. C’est tout à la fois, ici, affaire de saison, de coutumes locales et d’expérience.

La pire situation, lors de la tonte des animaux, est celle qui est liée à leur contention, souvent défectueuse. Celle-ci ne se fait pas n’importe comment, la technique apparemment simpliste est tout à fait pragmatique et ne s’improvise pas ; ce modus operandi s’apprend ; pour s’en convaincre, il suffit d’aller voir, par exemple sur Internet, comment procèdent, dans certains élevages industriels d’Australie ou des États-Unis, certains tondeurs professionnels sur les animaux qui leur sont confiés. En principe, les animaux sont soit assis, bien tenus, avec douceur et fermeté afin qu’ils bougent le moins possible, soit couchés, selon la phase de l’opération ; puis, la maîtrise de l’animal – qui doit avoir le moins peur possible – doit aller de pair, évidemment, avec la technicité, le geste sûr, la précision, la patience et la douceur du tondeur. Assister in situ à la tonte d’un animal vaut plus que toutes les descriptions que l’on peut en faire.

Quand cela est fait dans les règles de l’art, il y a, comme j’ai pu maintes fois l’observer, une véritable harmonie et peut-être même une forme de complicité entre l’opérateur et l’animal. Celui-ci n’est évidemment heureux que lorsque l’opération est terminée ! Par contre, lorsque le tondeur est inexpérimenté, brutal, maladroit, trop pressé, ou qu’il est équipé d’un matériel inapproprié ou de mauvaise qualité, cela devient un calvaire pour l’animal et l’on peut alors, dans ces cas-là, parler de maltraitance, voire même, parfois, de véritables actes de cruauté. Le lecteur qui voudrait en avoir la preuve ira consulter sur Internet certains extraits de films, tournés notamment en Australie ou en Nouvelle-Zélande, et où les élevages de moutons – et leur tonte organisée à grande échelle – sont périodiquement des objets de scandales, parce que l’on y voit des scènes de maltraitance avérée, voire de cruautés, directement liées au fait que les opérateurs – toujours très pressés – ne savent pas assurer une bonne contention des animaux et, provoquant ainsi leur indocilité réflexe, se montrent alors envers eux brutaux, voire cruels. Ayant eu l’opportunité d’assister personnellement à de nombreuses séances de tonte sur des moutons, je n’ai jamais rien vu de tel en France – ce qui ne veut pas dire pour autant que cela n’existe pas.

On ne peut pas, également, ne pas citer le cas des concours de tonte qui sont périodiquement organisés dans toutes les régions et les pays où il y a des élevages importants de moutons. Certes, les tondeurs qui interviennent lors de ces compétitions sont de vrais professionnels, dont l’habileté et l’expérience sont indéniables ; les films qui leur sont consacrés seraient, à cet égard, plutôt rassurants. Il n’en reste pas moins que le principal écueil de ces concours réside dans la vitesse d’exécution de leurs opérations, puisque la rapidité est l’un des critères retenus pour désigner les vainqueurs. Cette rapidité-record, source d’inconfort et, parfois, de gestes brusques pendant la tonte, se trouve ainsi en totale contradiction avec le concept littéral du bien-être des animaux soumis à ces épreuves. La dextérité du tondeur, la manipulation des animaux et la parfaite exécution de la tonte, sans éraflures ni blessures, ne seraient-elles pas des critères amplement suffisants pour départager les meilleurs candidats ? On a tout lieu de penser que ces animaux me donneraient raison….

Pourquoi tant de laine?

J’en terminerai volontiers avec cette interrogation qui surprendra peut-être plus d’un lecteur : la croissance continue de la laine ne serait-elle pas directement liée à la domestication des animaux qui en sont porteurs, leurs précurseurs sauvages n’ayant pas souffert (semble-t-il ?) des problématiques évoquées plus haut ?  D’abord, qu’en sait-on vraiment ? Il n’y a aucune raison sérieuse de penser – sauf à le démontrer – que les animaux à laine avaient, à l’origine, une toison à croissance limitée et que c’est le phénomène de domestication qui, ensuite, aurait induit la croissance ininterrompue de la laine. Hypothèse ou piste de réflexion ? Pour l’heure, je me résous à imaginer que lorsque la toison devenait jadis trop importante, en volume et en poids, elle devait être soit arrachée, soit coupée. Et je ne chercherai donc pas à savoir, in fine, si la domestication a été – ou non –, en l’espèce, « une bonne ou une mauvaise affaire » pour les animaux à laine.

Conclusion

En résumé, nul doute que la tonte des animaux à laine peut être considérée aujourd’hui comme l’un des excellents moyens de leur procurer, lorsque que cela s’avère nécessaire, à la fois confort et bien-être. C’est, en outre, une excellente occasion de vérifier l’état de la peau et de la soigner, le cas échéant.

Une tonte bien faite repose sur quelques éléments majeurs et nécessaires : avoir affaire à un opérateur expérimenté, qui maîtrise sa technique, en connaît tous les secrets, respecte les animaux qui lui sont confiés, utilise un matériel de qualité, connaît les difficultés de la tâche et sait en prévenir les risques. Un bon tondeur ne frappe jamais un animal, sait rester ferme lors de la contention et parler à l’animal pour tenter de l’apaiser. À l’instar du vétérinaire qui doit toujours essayer de conserver un lien de confiance entre l’animal et lui, entre son propriétaire et lui, le bon tondeur doit être lui aussi un homme de l’art, expérimenté et respecté. La tonte des animaux – souvent opportune et parfois nécessaire – devient alors véritablement, si elle a d’abord été un acte de bientraitance, un élément de bien-être, en tous points conforme à l’esprit et à la lettre du désormais célèbre article 515-14 du Code civil : « les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité ». CQFD.

Alain Grépinet

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