Enfants et animaux, co-victimes des violences domestiques

Le lien entre les maltraitances animales et humaines est largement documenté et nécessite d’être pris en compte pour mieux appréhender et prévenir les unes et les autres.

Un enfant qui fait un câlin à un chien golden retriever

Si le lien d’affection et la complicité entre l’enfant et les animaux sont une évidence, la protection des enfants et des animaux n’a été une priorité en France qu’à partir de 1847, avec la création de la Société Protectrice des Animaux et de la Société Protectrice de l’Enfance, dont un médecin, le Dr Henry Blatin, sera vice-président fondateur et ardent défenseur de la lutte contre les cruautés animales. Les mauvais traitements qui frappaient les uns à l’époque n’épargnaient déjà pas les autres.

Des faits attestés par des études

Ce lien qui existe entre les maltraitances domestiques fait désormais l’objet depuis 1980 d’études scientifiques. Elles permettent de comprendre comment l’animal (souvent de compagnie) peut être une sentinelle des dysfonctionnements relationnels de la famille dont il est membre à part entière.

« Quand un animal est maltraité au sein du foyer, un enfant ou sa mère sont en danger.
Quand un enfant ou sa mère sont maltraités dans leur foyer, un animal est en danger. » 

Phil Arkow, National Link Coalition

Le statut de témoin et donc de co-victime (de fait, même si la reconnaissance juridique manque) des enfants dont les animaux de compagnie sont maltraités ou menacés de l’être par le parent violent (très majoritairement le père) a été souligné depuis les années 2000 par de nombreux auteurs. L’animal, à la fois compagnon et confident de l’enfant, est souvent utilisé comme un moyen de contrôle du père violent sur le reste de la famille. Les enfants, témoins de scènes d’agression sur leur animal de compagnie, prennent souvent des risques pour tenter de le sauver, se mettant eux-mêmes en danger. Lorsque leur mère a été battue, 67 % des enfants disent avoir été aussi le témoin de violence sur leur animal (McDonald et al., 2015).

Outre les témoignages nombreux, des étudesont permis de vérifier en grande partie la théorie d’Agnew (1998) sur les causes de la maltraitance animale, avec une combinaison de traits et de comportements individuels, d’expériences précoces de socialisation déficiente, d’absence de contrôle social avec peu de croyances morales conduisant certains enfants à des conduites déviantes comme la cruauté vis-à-vis des animaux.  Un lien entre la consommation d’alcool, les infractions commises et la cruauté animale a également été identifié chez les adolescents devenus violents lors d’enquêtes déclaratives (Mowen & Boman, 2019).

Un terrain dysphorique dans un climat familial négatif

L’étude conduite par Laurent Bègue en France en 2019 auprès de 12 000 jeunes adolescents a montré que 7,3 % d’entre eux ont déjà fait mal ou blessé volontairement un animal, avec une fréquence deux fois plus importante chez les garçons que chez les filles. La majorité des adolescents étaient seuls au moment des faits, mais 40 % étaient avec une ou plusieurs personnes. Si les poissons sont les moins touchés par ces actes de cruauté, dans plus de 10 % des cas il s’agit de poissons (6,4 %), de petits rongeurs (8,2 %), d’oiseaux (11,6 %), de chiens (13,9 %), de chats (22, 5%) et d’autres animaux (37,3 %). Les adolescents ayant déjà fait subir des brimades à des camarades (moins de 20%) avaient également déjà fait du mal à un animal, étant moins empathiques et plus harceleurs que les autres.

Des négligences des animaux peuvent survenir lorsque les parents se reposent sur l’enfant pour en prendre soin, alors qu’il n’est pas en capacité de le faire. Cela peut être un signe de manque de connaissances de la part des adultes et de dysfonctionnements parentaux.

Des signes à repérer en milieu scolaire

Les enfants qui sont victimes d’actes pédo-criminels sont plus à risque d’être maltraitants avec les animaux (Nurse & Harding, 2023), ce comportement devant alerter les professionnels de l’enfance. Selon certaines études, l’école et les éducateurs sont plus à même que les parents de prévenir et réduire certaines formes de délinquance dont la maltraitance animale fait partie (McDonald et al., 2015).

La récente loi 2021-1539 contre la maltraitance animale et pour conforter le lien entre les animaux et les hommes, a fait modifier le code de l’action sociale et des familles afin de veiller au repérage et à l’orientation des mineurs condamnés pour maltraitance animale ou dont les responsables ont été condamnés pour maltraitance animale,  avec l’obligations d’évaluation de la situation d’un mineur : en cas de condamnation d’un de ses parents pour maltraitance animale et en cas de signalement pour maltraitance par une association de protection animale. Les responsables des CRIP (Cellule de recueil des informations préoccupantes) sont conscients de la complexité de la mise en œuvre de ces nouvelles dispositions, alors qu’aucune instruction officielle n’est venue préciser les modalités de transmission des informations concernant les condamnations.

Ces nouvelles mesures soulignent que la maltraitance animale au sein d’un foyer doit alerter tous les professionnels de santé, pour mettre en sécurité l’ensemble des victimes potentielles, les personnes vulnérables (enfants, femmes) et les animaux. Signalons qu’aux États-Unis, les animaux sont inclus dans les ordonnances de placement).

Lors du colloque Une Seule Violence, qui s’est tenu le 17 mars 2023 à Paris, le pédopsychiatre Jean-Marc Ben Kemoun a souligné qu’« Être avec un animal, c’est apprendre l’humanité ». Son confrère psychiatre Jean-Paul Richier a souligné l’importance dès l’enfance de favoriser une éducation à l’empathie, à la compassion et au contrôle de la violence, à la fois envers ses semblables et envers les animaux, qui sont des êtres pleinement sentients.

Anne-Claire Gagnon

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