L’éthique animale à l’école : apport de la société civile

Sans étendre l’évolution des programmes scolaires et du code de l’éducation pour y inclure des enseignements d’éthique animale, des organisations de la société civile proposent des activités pour sensibiliser les jeunes au respect des animaux.

Lycéens en classe

Plusieurs associations et fondations proposent des actions pédagogiques visant à sensibiliser les plus jeunes à différents aspects des interactions entre humains et animaux, ou de promouvoir la protection animale, ou plus largement, de la nature. Des kits ou mallettes pédagogiques sont parfois prévus et regroupent un ensemble de supports à destination des enseignants ou des enfants. Dans un premier temps, nous proposons de présenter ici les principaux types d’outils existant. Dans un second temps, nous tenterons d’exposer le bilan des actions pédagogiques menées par les différentes organisations. Pour ce faire, nous avons consulté les sites Internet et pris contact avec différentes associations et fondations présentes en France ou dans d’autre pays européens.

Des outils éducatifs variés

Nous proposons de présenter ici les différents supports et activités proposés par les organisations pour diffuser leur message au jeune public. Il ressort de nos recherches que les outils proposés sont variés mais nous pouvons toutefois les regrouper en quatre grandes familles.

Les ressources en ligne

De nos jours, Internet constitue un moyen de communication incontournable. La plupart, si pas toutes, des associations et fondations, disposent d’un site Internet et sont présentes sur les réseaux sociaux. Certaines proposent également une chaîne Youtube. Ces espaces leur permettent de présenter leur histoire, leurs valeurs et leurs actions. En plus de diffuser des informations en lien avec la protection animale, les organisations communiquent sur les outils pédagogiques qu’elles proposent et partagent, pour certaines, des vidéos. La Fondation Adrienne et Pierre Sommer, par exemple, met à disposition des enseignants un support interactif et ludique pour animer des conférences dans le but d’apprendre aux enfants à mieux connaître les animaux. Citons également la page Facebook Sea Shepherd Kids et les sites L214 éducation, GAIAKids, Fondation Brigitte Bardot Junior, ou encore « Animaux de ferme » de Welfarm, dédiés aux enfants, et particulièrement riches en vidéos pédagogiques et autres ressources ludiques.

Les supports imprimés

Malgré l’importance prise par la communication via Internet, les supports imprimés demeurent un moyen privilégié pour diffuser de l’information. Les associations et fondations utilisent plusieurs types de supports. À titre d’exemple, la SPA dispose de flyers, fiches pédagogiques, brochures et guides à destination des animateurs pédagogiques. En partenariat avec la Fondation 30 Millions d’Amis, L214 a réalisé des posters prévus pour être affichés en classe, ainsi que des panneaux d’expositions pédagogiques. Certaines organisations publient leur propre magazine pour jeunes lecteurs, tels que l’« Info Journal Junior » trimestriel de la Fondation Brigitte Bardot ou la revue quadrimestrielle « Mon journal animal » de L214. Enfin, nous pouvons mentionner ici l’initiative originale de l’Association internationale pour l’éducation à la faune sauvage de créer des jeux de société sur le thème de la protection de la biodiversité.

Les interventions en classe

Afin de présenter directement leurs actions, discuter et échanger avec les enfants, certaines associations et fondations emploient des animateurs pédagogiques. Ceux-ci ont pour rôle de proposer des interventions en milieu scolaire. Le contenu et la durée des interventions sont adaptés à l’âge et à la capacité de concentration du public visé. Prenons ici deux exemples. La SPA propose des interventions courtes, d’environ 30 minutes, à destination des élèves de grande section de maternelle et des présentations plus longues pour les enfants plus âgés du primaire et du secondaire. Ces présentations sont axées sur l’adoption d’un animal de compagnie et les responsabilités associées à la prise en charge d’un animal. L214 propose des interventions adaptées aux mêmes tranches d’âges, de la maternelle au lycée, ainsi qu’une animation à destination de l’enseignement agricole. Plusieurs thèmes sont proposés tels que « Un animal comme moi » ou « Nourrir l’humanité : quelle agriculture pour demain ? », avec pour objectif de susciter la réflexion du public.

Les projets encadrés

En plus des différents outils présentés ci-dessus, nous avons pu recenser deux types d’initiatives remarquables, impliquant un plus grand engagement des enfants.

D’une part, les concours sur le bien-être animal. Citons d’abord les Compassionate Class de l’organisation britannique Royal Society for the Prevention of Cruelty to Animals (RSPCA) qui consistent à proposer aux enfants un ensemble d’informations et d’activités à réaliser en classe, afin d’aboutir à la réalisation d’un projet original et collectif choisi par les élèves et leur enseignants. Les projets proposés par les différentes classes participantes, à l’échelle nationale, sont mis en compétition afin de désigner la RSPCA’s Most Compassionate Class. Des visites de centres régionaux pour animaux de l’association sont également mises en jeu. L’association belge Gaïa s’est inspirée de cette initiative pour lancer, en 2020, « #LeChallengeAnimal », un concours sur le bien-être des animaux, à destination des classes de l’enseignement primaire, avec à la clé, la visite du refuge Animaux en Péril à Ath. L’objectif de ces concours est de développer la compassion et l’empathie envers les animaux.

D’autre part, et bien que ces activités se déroulent hors temps scolaire, nous pouvons mentionner les clubs jeunes tels que le Rangerclub du WWF en Belgique, qui permet entre autres aux enfants de participer à des activités nature, ou les clubs jeunes SPA en France, qui proposent aux enfants de s’impliquer dans les tâches nécessaires au bon fonctionnement d’un refuge, dans le but de « sensibiliser les jeunes de 11 à 17 ans à la protection animale ».

Un bilan mitigé

Les supports et actions pédagogiques, nous venons de le voir, existent. Cependant, il convient de s’interroger sur la façon dont ils sont exploités, ainsi que sur l’impact qu’ils ont sur leur public cible.

Des moyens insuffisants

Parmi les organisations interrogées, certaines ne proposent pas de support ou d’action pédagogiques. Nous avons relevé deux motifs invoqués pour justifier l’absence de ceux-ci. D’une part, l’inadéquation de leur cause avec le milieu scolaire. C’est le cas notamment d’associations engagées contre la corrida, contre l’expérimentation animale ou contre l’abattage sans étourdissement préalable, ces thématiques pouvant être jugées trop choquantes pour les enfants. D’autre part, le manque de moyens financiers et/ou humains est aussi mentionné. Concevoir puis réaliser des supports et réaliser des interventions en classe sont autant d’étapes qui nécessitent du temps et du personnel qualifié pour les mettre en oeuvre.

Une évaluation difficile

Réaliser des actions éducatives est très important, mais pouvoir en mesurer l’impact l’est également. Lorsque nous interrogeons nos interlocuteurs sur le bilan de leurs actions pédagogiques, tous ceux qui proposent des interventions en classe nous répondent que les enfants sont enthousiastes et participent bien. De même, la plupart nous répond avoir obtenu des retours positifs sur les supports proposés. Les projets de type concours semblent particulièrement appréciés. David Allen, responsable prévention et éducation à la RSPCA, nous a confié que les Compassionate Class constituent leur initiative éducative à destination des jeunes la plus réussie, avec 1 068 écoles primaires impliquées en 2019 et autant en 2020. Cependant, au-delà de l’engouement observé, il demeure compliqué d’évaluer l’effet produit par ces initiatives. On peut notamment s’interroger sur la façon dont les enfants mémorisent les informations délivrées par les supports et interventions, ainsi que sur l’impact que ces outils ont sur leur comportement. Nous devons toutefois mentionner ici plusieurs travaux menés en ce sens. D’abord, les recherches de Joanne Williams, professeure à l’université d’Edimbourg (Ecosse) et responsable du groupe de recherche Children, adolescent & animals reserch (CAAB). Plusieurs de ses travaux ont été réalisés en partenariat avec la Scottish Society for the Prevention of Cruelty to Animals (SSPCA). Dans un article publié en 2017, un programme éducatif proposé par la SSPCA à destination des enfants de primaire est évalué à l’aide d’un questionnaire proposé aux enfants avant les interventions puis un questionnaire juste après l’intervention et un dernier six semaines plus tard. Ensuite, dans un article publié en 2020, Baatz et al. proposent de mesurer l’impact de deux interventions dispensées en milieu scolaire par l’association DogsTrust.

Parler d’éthique animale à l’école

Il nous semble essentiel de proposer aux enfants, dès le plus jeune âge, de réfléchir à leur rapport au monde qui les entoure et, en particulier, leur rapport aux autres animaux. La science nous indique que les animaux ont des émotions et des attentes. Plus tôt nous prenons conscience de cela, plus cette connaissance pourra être intégrée dans nos réflexions et nos choix, d’autant plus que les enfants sont moins enclins au spécisme[1] que leurs ainés. Il est nécessaire de cultiver cette tendance innée et de la nourrir grâce aux apports de la science.

La société civile a son rôle à jouer. En effet, les outils et interventions proposés en classe permettent de diversifier les interlocuteurs en apportant un côté ludique aux réflexions sur la question. Il est cependant essentiel de s’assurer de l’objectivité du contenu des présentations et des messages transmis, le but n’étant pas de transmettre une idéologie passionnelle mais de susciter des réflexions en se basant sur des informations scientifiquement établies. L’éthique animale peut et devrait s’intégrer aux programmes scolaires dès la primaire, voire la maternelle. En effet, les réflexions sur le rapport que l’humain entretient avec les animaux, et plus largement l’ensemble de son environnement, sont plus que jamais d’actualité. Les enfants sont parfaitement ouverts à ces questions et leur esprit est moins déformé par les préjugés spécistes que les adultes. Apprendre dès le plus jeune âge que les animaux ressentent des émotions et des désirs permettrait probablement d’entretenir l’empathie naturelle des enfants à leur égard.

Pour conclure, nous empruntons les mots de l’anthropologue Claude Levi-Strauss, qui nous paraissent rendre compte de l’importance du sujet : « Les problèmes posés par la lutte contre les préjugés raciaux […] reflètent à l’échelle humaine un problème beaucoup plus vaste et dont la solution est encore plus urgente : celui des rapports de l’homme et des autres espèces vivantes, […] il ne servirait à rien de prétendre le résoudre sur le premier plan si l’on ne s’attaquait aussi à lui sur l’autre, tant il est vrai que le respect que nous souhaitons obtenir de l’homme envers ses pareils n’est qu’un cas particulier du respect qu’il devrait ressentir pour toutes les formes de la vie. »

Cyril Salès


[1] Vision du monde postulant une hiérarchie entre les espèces animales et, en particulier, la supériorité de l’être humain sur les animaux (Larousse, en ligne, consulté le 01/12/2023). Retour

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