La fuite de la recherche biomédicale sur les primates en Chine : quelles implications éthiques ?

Nature a publié récemment un article intitulé Monkey Kingdom, sous-titré : China is positioning itself as a world leader in primate research (en français : Le royaume des Singes : la Chine se positionne en tant que leader mondial de la recherche en primatologie) (1). Nous fûmes à première vue très intéressés car nous pensions que l’auteur allait traiter des différences de réglementation sur le bien-être animal et des problèmes éthiques sur le fait que la Chine développe cette recherche biomédicale sur les primates à vitesse fulgurante alors qu’en Europe, les directives quant à l’expérimentation animale sont de plus en plus strictes, mais ce ne fut pas le cas. L’article a surtout mentionné les aspects économiques, de développement et d’innovation de la recherche. Ces aspects sont aussi bien sûr un pan de l’éthique à prendre en compte, mais la question est à quel point faut-il les prendre en compte face au bien-être animal ?

La Chine développe de nombreux centres de recherche biomédicale sur les primates à la pointe de l’innovation et le nombre de chercheurs travaillant dans ce domaine en Chine a doublé en moins de trois ans. De même, le nombre de centres produisant des macaques pour la recherche est passé de 10 à 34 entre 2004 et 2013, avec environ 35 500 macaques vendus chaque année. Du fait d’opposition en bioéthique, de la diminution de budget, le nombre de primates utilisés en Europe a baissé de 28 % et de nombreux chercheurs sont partis mener leurs expériences en Chine, voire même y ont développé leurs propres instituts de recherche. En effet, acheter un macaque pour la recherche coûte 6 000 $ et l’entretenir coûte 20 $ par jour aux USA tandis que le coût revient respectivement à 1 000 $ et 5 $ en Chine. Les agences de financement n’encouragent ainsi pas la recherche en Europe et aux USA puisque, le coût étant plus élevé, un chercheur doit demander plus de financements à plus d’agences pour un succès moindre qu’auparavant. Certains scientifiques avancent ainsi que la Chine deviendra d’ici quelques années le pays où toutes les recherches biomédicales et les stratégies thérapeutiques seront développées au détriment de l’Europe, ce qui est une perte économique majeure. Les autorités chinoises construisent ainsi de nombreux centres d’ingénierie génétique pour attirer les chercheurs promettant et fournissant de nombreux modèles animaux. Ces modèles permettent de tester des molécules remèdes à de nombreuses maladies ou à des troubles présents chez les humains. Cyranoski (1) cite ainsi un chercheur dont le rêve serait d’avoir « un animal comme un outil », modifier les gènes à notre souhait pour travailler sur différentes pathologies. Alors qu’en Europe, les centres de recherche biomédicale sur les primates mettent en avant le bien-être animal comme c’est le cas du German Primate Center, les instituts chinois misent sur l’innovation et les nombreuses possibilités. Et c’est bien là qu’est le problème. Quelle est la place du bien-être animal dans la recherche biomédicale en Chine ? Que pouvons-nous faire en tant qu’Européens ? Quel est l’impact de nos mesures restrictives en Europe pour améliorer le bien-être animal sur la fuite de la recherche biomédicale sur les primates en Chine et le bien-être des animaux testés là-bas ?

La Chine montre en effet un retard considérable en matière d’éthique animale. La première loi de protection animale a été votée en 2009 et le bien-être animal a été reconnu en 2014. De nombreux articles montrent en effet des différences de considération du bien-être et de la souffrance animale entre la Chine et l’Europe. Un article publié dans Scientific reports en 2015 (2) traite de la dépression chez les macaques élevés dans un institut chinois (Zhongke Experimental Animal Co.) mais les conditions décrites dans cet institut semblent être bien différentes en termes d’enrichissement environnemental que celles décrites par exemple au German Primate Center. De même, Sciences et Avenir (3) publie en 2015 un article sur la torture des chiens par une faculté de médecine chinoise. Les chiens servaient de cobayes pour des étudiants en médecine puis étaient placés mourants sur le toit de l’un des bâtiments du campus. Un linge était noué autour de la gueule des chiens pour les empêcher de mordre les étudiants. Des voix commencent à s’élever pour dénoncer ce manque de protection en Chine. Mais combien de temps va-t-il falloir pour que la Chine puisse se doter d’une réglementation et d’une éthique de la recherche biomédicale sur les animaux qui puisse être similaire à celle de l’Europe ? Nous sommes aujourd’hui face à un dilemme qui est de continuer à réglementer l’expérimentation animale au risque de voir ces recherches partir en Chine avec une protection animale bien moindre ou de limiter cette fuite en laissant plus de libertés en Europe. Et la réponse n’est pas simple…

Cédric Sueur

(1) Cyranoski, D. (2016). Monkey Kingdom. Nature, 532, 21.

(2) Xu, F. et al. (2015). Macaques exhibit a naturally-occurring depression similar to humans. Scientific reports, 5.

(3) Tassard, A.S. (2015). Le scandale des chiens torturés par une faculté de médecine en Chine. Sciences et Avenir, publié le 08-12-2015.

Article publié dans le numéro 90 de la revue Droit Animal, Éthique & Sciences.

ACTUALITÉS