CR : Le Loup – Un nouveau défi français

Œuvre collective sous la coordination d’Hervé Boyac,

préface d’Allain Bougrain-Dubourg et Yves Paccalet

« Quand tu seras dans l’autre monde, prends le loup comme ami, car lui seul connaît le grand ordre de la forêt ».

Phrase d’un chef sibérien Yakoute

Le loup un nouveau défi français

Yves Paccalet

Écrivain, philosophe, journaliste et naturaliste, il compare, dans son billet d’humeur, l’homme et le loup avec toutes leurs similitudes et pose comme principe que le loup est « irréfutable » et non un animal mythologique. Au-delà des mythes, il est nécessaire à l’équilibre de la nature et ce serait une erreur écologique, voire une faute morale, de l’éliminer.

Allain Bougrain-Dubourg

Dans sa préface, il rappelle la situation catastrophique de la faune sauvage en France, dans les années 1970, et l’apport de la loi de 1976 sur la protection de la nature qui a permis le retour progressif de nombreuses espèces comme le lynx, le castor ou le grand duc. Mais le XXIe siècle revendique une nature soumise, ces espèces revenues progressivement occuper les espaces naturels dérangent et le loup qui s’est discrètement invité à ce concert devient un bouc émissaire.

Ceux qui fustigent le retour du loup et l’accroissement de la population d’ours pyrénéens sont pourtant les mêmes qui bénéficient d’aides généreuses pour tempérer leur sort face à la concurrence d’un marché mondial dont ils ne peuvent soutenir la concurrence.

Le loup personnalise notre capacité à « vivre ensemble » et ce livre réveille les consciences afin d’emprunter le chemin du respect (sic).

Cet ouvrage collectif de 300 pages richement illustré est divisé en quinze chapitres abordant divers sujets comme la mythologie, l’histoire, le rapport à l’homme ou les perspectives pour le loup. Nous proposons d’en extraire les informations permettant d’avoir une vision la plus exhaustive possible de la problématique du retour du loup.

Grandeur et décadence du loup

Le loup, au sens Canis lupus, semble se développer en Europe il y a 350 000 à 400 000 ans. Pour rappel, l’homme actuel (Homo sapiens) existe depuis à peine 80 000 ans et la domestication du loup en chien date d’environ 20 000 ans.

Le loup a longtemps été vénéré et placé au centre de nombreux rites mais, dès le Moyen Âge, l’aspect diabolique va s’imposer avec l’extension du christianisme. Il devient l’ennemi de la religion et de la pensée. Ceci conduira à des battues systématiques après la messe du dimanche.

Après la révolution de 1789 et l’abolition des privilèges, la chasse se popularise rapidement et les primes offertes vont amener à une destruction massive des loups. C’est ainsi qu’entre 1797 et 1799, 6 000 loups trépassent chaque année. Pour corser le tout, les désastres de la rage avant la mise au point d’un vaccin par Louis Pasteur en 1885 vont amener à traquer le loup sans merci. En parallèle, la déforestation massive pour fournir du bois à la marine de guerre et à l’industrie va réduire dramatiquement les biotopes jusqu'au XIXe siècle.

Le retour du loup

Pour autant, le loup avait-il vraiment disparu de France ? Probablement que oui, malgré quelques observations sporadiques.

Et puis un jour, le retour ! Dès 1992, des gardes du Parc national du Mercantour aperçoivent des loups mais l’information ne sera pas divulguée, dans un premier temps, pour ne pas apeurer les populations. La proximité des populations italiennes permettait de prédire cette progression du loup depuis les Abruzzes. Cette réapparition était en effet prévisible vu l’exode rural, l’augmentation de la couverture forestière et l’abondance de la grande faune. Depuis les premiers signalements du début des années 1990, la présence du loup a été validée par l’ONCFS dans une trentaine de départements de façon temporaire ou permanente.

Le loup est un animal territorial vivant en groupes structurés au sein desquels règne une hiérarchie intangible basée sur un couple dominant, en principe le seul autorisé à se reproduire quand il a trouvé un territoire à sa convenance.

Arrivés à maturité, les jeunes loups ont deux solutions :

  • partir et former une nouvelle meute
  • détrôner le couple dominant.

Ceci explique la migration progressive des Alpes italiennes vers les Alpes françaises et la remontée, au fil des années, à travers les départements de l’est de la France et du Massif Central. Sur le plan du régime alimentaire, c’est un prédateur opportuniste qui n’épuise pas les ressources en gibier mais en régule les populations et contribue à l’équilibre de son écosystème.

Des loups et des hommes

S’attaquer à un homme est toujours un acte risqué pour un grand prédateur méfiant comme le loup. Il préférera s’abstenir de manger ou cherchera à capturer une proie animale. De plus, traqué par l’homme, le loup a appris à se méfier au fil des siècles. Les attaques prouvées contre l’homme sont très rares et sont même devenues nulles après la Révolution française alors que le loup était encore abondant. Quant aux loups d’origine italienne actuellement présents en France, ils sont très méfiants vis-à-vis de l’homme vu les persécutions subies. On est donc loin du mythe du loup dévoreur d’hommes. Pour autant, il faut se garder de tout angélisme, car le loup reste un animal sauvage mais le nombre d’attaques de chiens en France contre des humains prouve que même un animal domestique peut être dangereux.loup et chaperon rouge

On en arrive donc au paradoxe suivant : la relation millénaire entre le loup et l’homme a engendré le chien, la plus ancienne espèce domestique et le meilleur ami de l’homme mais les hommes ont rejeté le loup au fil des siècles. D'où vient ce rejet ?

  • Un mélange de préjugés religieux (l’agneau chrétien mangé par le loup du diable),
  • d’obscurantisme (nos connaissances évoluent mais les fables restent)
  • d’économie pastorale dépassée ou inadaptée (nous ne sommes plus au XVIIIe siècle et pourtant…)

Les œuvres littéraires et picturales ont entretenu le mythe du loup tueur mais l’affaire de la Bête du Gévaudan, qui a nourri les chroniques du XVIIIe siècle, a transformé un fait divers haletant en un mythe coriace. Pourtant, les documents d’archives parlent de décès par une « bête féroce » ou un « animal inconnu », non d’un loup et même l’envoyé du roi fut bien incapable de le trouver après de gigantesques battues. L’analyse des écrits de l’époque, à la lueur des connaissances actuelles, fait d’ailleurs apparaître de nombreuses incohérences avec le comportement du loup. L’hypothèse d’un carnassier de grande taille domestiqué et transporté sur le lieu des attaques semble prévaloir mais n’est plus vérifiable.

Biodiversité et contraintes pastorales

Le loup, héritage de la nuit des temps, est un maillon essentiel de la biodiversité. Il symbolise à la fois la nature sauvage avec sa dimension écologique, un patrimoine historique, une opportunité de développement touristique, etc., mais il suscite aussi beaucoup d’émotion. Les uns voient dans le loup cet animal superbe et emblématique et les autres ne voient que le prédateur décimant (ou susceptible de décimer) les troupeaux de moutons.

Qu’en est-il vraiment de la menace du loup sur les activités pastorales ?

D'un point de vue historique, le mouton n’a été domestiqué qu’aux environs de 8 000 ans avant J.-C. alors que l’homme avait déjà transformé progressivement le loup en chien il y a environ 20 000 ans et, d’un point de vue économique, le nombre des exploitations agricoles a diminué de 77 % entre 1955 et 2010. S’agissant du mouton, les effectifs ont diminué de 32 % entre 1990 et 2013 et les diminutions sont les plus importantes dans les régions où le loup est absent. Le vrai problème de fond n’est donc pas le loup, qui sert encore une fois de « bouc émissaire », mais la crise économique profonde d’une filière qui a touché 915 millions d’euros en 2015. En un an, les loups tuent l’équivalent de 3 à 4 jours seulement de bêtes mortes de causes dites « naturelles » (maladies, accidents…)

Pour illustrer la crise que traverse la filière en France, il suffit de quelques chiffres pour être édifié :

  • La France ne produit que 47 % de la viande ovine consommée dans le pays (données 2016).
  • La France ne consomme que 2,7  kg de viande ovine/habitant/an (données 2013).

Le loup devient donc un exutoire à un profond malaise essentiellement économique.

Sans vouloir opposer pastoralisme et protection du loup, force est de constater que les publications scientifiques et autres constats de terrain plaident plus pour le loup en matière de protection de l’environnement et de biodiversité que pour le mouton. Les élevages ovins de montagne ont des impacts négatifs sur la flore (disparition d’espèces végétales), sur la faune (transmission de maladies aux ruminants sauvages), sur l’eau (pollution par les traitements administrés), etc.

À l’inverse, le loup régule les populations d’ongulés sauvages (en particulier en éliminant les animaux faibles ou malades) et, à travers cette régulation, influence positivement le reboisement spontané et l’équilibre hydrique.

Outre les éleveurs de moutons, le loup a d’autres ennemis : les braconniers et les chasseurs

Le braconnage représente environ 20 % des disparitions de loups mais les auteurs de ces délits sont rarement recherchés et généralement légèrement condamnés. Les chasseurs sont de moins en moins nombreux mais abattent davantage de grand gibier vu la prolifération des chevreuils et des sangliers notamment ; pourtant le loup leur apparaît comme un concurrent alors qu’ils n’atteignent pas les « attributions » (quotas de gibier à abattre).

Les plans « loup »

La gestion du dossier « loup » peut être qualifiée d’empirique, car elle tâtonne de plan en plan depuis 1993, affichant un objectif officiel de préservation de l’espèce tout en le présentant comme un prédateur exerçant une pression sur une activité importante (sic) et traditionnelle d’élevage. La réalité, c’est la distribution d’indemnités à des éleveurs en souffrance économique et des quotas de destruction du loup de plus en plus élevés. On ne compte pas moins de 71 loups abattus officiellement pour les années 2015/2016.

Par contre, ces plans éludent soigneusement les sujets gênants comme :

  • L’absence de protection et de gardiennage des troupeaux ;
  • les indemnisations au bénéfice du doute ;
  • le remboursement de bêtes malades ou contagieuses ;
  • le pâturage de zones sensibles ;
  • les indemnisations multiples alors que les mesures de protection préconisées non pas été appliquées.

En parallèle, les sondages sont bafoués (74 à 95 % des personnes interrogées sont hostiles aux abattages de loups), les élus locaux enchaînent les déclarations assassines pour soigner leur électorat, les syndicats agricoles incitent au braconnage et de faux témoignages tentent de démontrer la dangerosité du loup y compris pour l’homme.

La France, la biodiversité et le loup

La France, pays puissant et à vocation universaliste revendiquée, n’est pas à la hauteur dans ses relations avec la nature et les moyens mis dans sa défense. La législation n’est pas assez spécifique et pas assez cadrée. Les gouvernements se succèdent, les ministres aussi et la protection des biotopes et des espèces ne s’inscrit pas dans la durée. Au total, 27 % des espèces de France métropolitaine sont menacées, sans compter celles qui ont déjà disparu dans l’ignorance de tous les non spécialistes.

Il existe plusieurs textes européens (Convention de Berne de 1979 par exemple) et français (arrêté ministériel du 22 juillet 1993) protégeant le loup et il a été inscrit dans l’arrêté du 23 avril 2007 fixant la liste des mammifères terrestres protégés sur l’ensemble du territoire. Au fil du temps les amendes et les peines encourues se sont alourdies mais elles sont rarement appliquées et ceux qui incitent à la destruction d’une espèce protégée ne craignent aucune sanction. Il n’y a donc qu’un vague rapport entre la loi et la justice. (NDLA : Souvenons-nous du mouvement populiste du milieu de la chasse quand un irresponsable avait délibérément abattu une ourse dans les Pyrénées. Même les grands médias n’osaient condamner cet acte ignoble.)

Mais la cohabitation entre le loup et l’élevage suppose de changer totalement de politique

Le loup ayant été éradiqué dans les années 1930, l’élevage s’est développé en l’absence de prédateurs jusqu'à sa réapparition à partir de 1992. Non préparés à ce retour sur un plan des pratiques pastorales, les éleveurs se heurtent aux textes, notamment européens, qui font du loup une espèce protégée et doivent compter sur les pouvoirs publics pour apporter une réponse adaptée et permettre une cohabitation entre un pastoralisme fragile et une espèce clé pour la biodiversité.

Malheureusement, les gouvernements préfèrent contourner les règles européennes et faire abattre des dizaines de loups par ans plutôt que de mettre en place une politique efficace de protection des troupeaux.

Ceci amène à des textes aberrants qui finissent par donner du pouvoir à un simple chasseur désigné responsable d’une opération de « prélèvement » et avec la bénédiction de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage. Le loup, espèce protégée, est finalement traité comme les espèces de gibier faisant l’objet d’un plan de chasse. Il est inadmissible que des autorisations préfectorales méconnaissent si régulièrement les règles fixées par les arrêtés ministériels sans qu’un rappel à l’ordre ferme du ministère ne vienne faire cesser ces dérives. En résumé, les « tirs de défense » officialisent la chasse au loup sur le territoire français dans une superbe hypocrisie générale.

Cette politique de destruction du loup est d’autant plus contestable que la France assure l’indemnisation systématique des éleveurs en cas de prédation avérée ou supposée et que la commission européenne a bien considéré, à partir d’une affaire concernant la Finlande, que les mesures d’indemnisation rentrent dans le cadre des solutions alternatives aux tirs.

La dérive démagogique dans laquelle s’est engagée la France, en favorisant la destruction de plus en plus massive de loups, contribue à l’idée qu’ils n’ont pas leur place dans notre biodiversité et encourage chasseurs et éleveurs dans leurs positions intransigeantes.

Quel avenir pour le loup en France ?

Il y a beaucoup de raisons d’être inquiets :

  • des plans d’abattage qui se succèdent et sont à la hausse (38 loups tués par les tirs officiels en 2015) ;
  • la « démission » de l’état sur la protection de la nature ;
  • la radicalisation de groupes de pression et de certains médias ;
  • la multiplication des braconnages ;
  • la quasi-impunité des délits.

Par contre, il y a aussi des raisons de rester optimistes :

  • des associations nombreuses et actives qui n’hésitent pas à intenter des actions juridiques ;
  • des personnalités qui se mobilisent pour la biodiversité ;
  • des politiques courageux qui ne cèdent pas à la démagogie (NDLA : en tout cas pas à celle de la minorité hurlante).

Si, dans 20 ans, la population de loups en France atteint 600 individus et qu’elle continue à augmenter, alors on pourra considérer que l’espèce est sauvée.

En conclusion

Ce très bel ouvrage, richement illustré, est une découverte bien documentée d’un animal mythique qui vient se confronter à la réalité de la France d'aujourd’hui. Puisse ce livre contribuer à réhabiliter ce grand prédateur dans sa vérité d’animal sauvage au sens le plus noble du terme et à ôter de nos esprits l’image de l’impitoyable mangeur d’hommes.

Henri-Michel Baudet

Article publié dans le numéro 97 de la revue Droit Animal, Éthique & Sciences.

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