Jusqu’en 1987, l’expérimentation sur les animaux vivants était réglementée par le décret du 9 février 1968. L’imprécision de ce texte avait permis qu’il soit diversement interprété, notamment dans l’enseignement. De là plusieurs conflits, entre ceux qui estimaient que la ”dissection et l’expérimentation animale sont un éveil à la biologie et aiguisent le sens de l’observation et de la critique scientifique”, et ceux qui opposaient des arguments contraires, qu’il paraît bon de rappeler.
Dans le cadre de l’enseignement, l’expérimentation à caractère traumatique sur l’animal, ou nécessitant le sacrifice d’un animal, ne fait pas nécessairement naître la vocation biologique. L’intérêt de l’élève pour les sciences naturelles et plus souvent provoqué par l’observation d’animaux vivants, ou la vue de documents filmés et télévisuels. Par ailleurs, les programmes de l’enseignement général dans le secondaire n’ont pas pour objectif de préparer les enfants à devenir tous des chirurgiens, ou des techniciens de laboratoire.
Critique du précédent décret de 1968
Les expériences peuvent être remplacées par des documents
Divers types d’expériences peuvent être souvent illustrés par des documents de haute qualité pédagogique : diapositives, inclusions sous plastique, planches, maquettes tridimensionnelles, films, logiciels informatiques… Toutefois, il peut être utile, si l’enseignant souhaite que la réalité soit approchée de plus près par ses élèves, de disséquer des organes ou des animaux déjà tués pour la consommation alimentaire (organes de boucherie et de triperie, volailles, poissons). La texture, la couleur, les dimensions réelles de l’organisation anatomique pourront être ainsi mieux appréciées. Remarquons qu’il s’agit là non pas d’une expérience à proprement parler, mais d’un exercice de manipulation et d’observation, ce qui est le but principal.
Les expériences de neurophysiologie sont d’un niveau très élémentaire
Elles n’ont plus qu’un caractère historique. Pire, la stimulation électrique de la contraction musculaire tend à faire confondre courant électrique et influx nerveux, erreur qui entachera définitivement le raisonnement des élèves. De plus l’expérimentation à caractère traumatique sur l’animal contribue de façon non négligeable à enseigner l’indifférence devant la douleur et la mort, et à cautionner le concept d’animal-machine, concept actuellement rejeté. Elle est responsable d’une masse considérable de souffrances animales, le plus souvent involontaires certes, mais évitables.
La provenance des animaux n’est pas contrôlée
Les grenouilles sont prélevées dans la nature (ce qui est interdit), ou “élevées” dans des conditions suspectes. Les souris sont achetées à de petits élevages privés, soustraits à toute surveillance vétérinaire. Or les petits rongeurs (souris, hamsters) sont fréquemment porteurs d’agents pathogènes transmissibles à l’homme, et notamment à l’enfant (teignes, virus). Une enquête menée à Francfort (RFA) a révélé que 60 à 100% des souris blanches vendues dans la ville étaient porteuses du virus de la chorio-méningite lymphocytaire d’Armstrong. Le contact avec de tels animaux présente donc un risque réel pour la santé des élèves.
De son côté, l’Académie Nationale de Médecine avait demandé, dans sa séance du 1er juillet 1980, que les autorisations d’expérimenter aux seules fins d’enseignement primaire ou secondaire soient retirées sans délais.
Une nouvelle réglementation en 1987
Une nouvelle réglementation, en application des articles 454 du Code Pénal et 276 du Code Rural, contrôle désormais l’expérimentation sur animaux par un décret (n° 87.848 du 19 octobre 1987) et trois arrêtés d’application (AGRG 800565, 6 et 7 A du 19 avril 1988) du Ministère de l’Agriculture contresignés par les Ministères de l’Éducation nationale, de l’Industrie, de l’Environnement et de la Santé.
Cette réglementation subira encore des aménagements qui seront soumis à l’avis de la Commission nationale de l’expérimentation animale qui va être mise en place prochainement conformément aux articles 27 à 33 du chapitre VI du décret pour l’aligner en 1992 sur les règlements, souvent plus sévères, des autres pays de la communauté européenne.
Conséquences pour les enseignants
Il est tout à fait indispensable que les enseignants, notamment des sciences et des techniques biologiques et paramédicales, soient avertis de cette nouvelle réglementation et en tiennent le plus grand compte. L’analyse à laquelle nous avons procédés révèle en effet que certaines de ses dispositions ont des conséquences très nouvelles par rapport à la réglementation précédente (décret du 9.02.1968, articles R24.14 à R24.31), notamment pour les enseignants et les directeurs d’établissements d’enseignements.
Aux termes du décret d’octobre 1987, ne sont licites les expériences à caractère traumatisant sur animaux vertébrés vivants anesthésiés (ou non dans certains cas particuliers justifiés et réduits au minimum) que si elles répondent aux conditions suivantes :
- revêtir un caractère de nécessité,
- ne pouvoir être remplacées par d’autres méthodes expérimentales,
- n’être pratiquées, si elles le sont à des fins pédagogiques que dans l’enseignement supérieur et les enseignements techniques ou les formations professionnelles aux métiers comportant la réalisation d’expériences sur des animaux ou le traitement et l’entretien d’animaux.
De ce fait, toute expérience traumatisante sur des animaux vivants vertébrés est exclue des écoles primaires, des collèges et des lycées et écoles professionnelles ou techniques ne comportant pas les caractères définis plus haut.
Dès lors, tout enseignant ou directeur de ces établissements scolaires qui pratiquerait, ferait ou laisserait pratiquer de telles expériences, ferait l’objet de poursuites pénales et encourerait des sanctions administratives et civiles.
Définir l’acte expérimental
Certains professeurs de biologie, parents d’élèves et mêmes élèves se posent la question de savoir si la mise à mort, à l’école, d’animaux en vue de leur dissection, peut-être elle-même considérée comme un acte expérimental. Le texte du décret ainsi que les arrêtés d’application n’apporte pas sur ce point d’éléments très précis permettant de répondre de manière très tranchée. En effet, l’article 2 du décret ne cite comme n’appartenant pas à la catégorie des expériences concernées par la réglementation que :
- celles pratiquées sur des animaux invertébrés ou des formes embryonnaires de vertébrés ovipares,
- celles qui consistent en l’observation d’animaux,
- et les interventions liées à la pratiqueagricole ou vétérinaire non expérimentale.
Toutefois, de l’avis de plusieurs conseillers juridiques, il n’est pas exclu qu’un juge, en cas de conflit porté en justice, considère le sacrifice d’animaux achetés ou élevés pour des dissections comme étant un acte d’expérimentation et par conséquent illicite dans les établissements scolaires de l’enseignement primaire et secondaire précités.
L’homme de loi pourrait en effet étayer son jugement notamment sur le fait que la mise à mort d’animaux d’élevages ou sauvages tenus en captivité ne revêt dans un établissement scolaire, ni le caractère de l’abattage des animaux de consommation pour la boucherie, ni celui de la pêche et de la chasse, ni les caractéristiques de celui pratiqué à l’issue des courses de taureaux ou des combats de coqs ou de celui pratiqué pour des motifs sanitaires.
Dès lors, cette mise à mort, en vue de dissection, pourrait être au pire, aux termes de l’article 453 du Code Pénal, définie comme un acte de cruauté et au minimum comme une expérience illicite, dans le cadre des établissements d’enseignement précités, encourant alors les sanctions pénales prévues aux articles R38.12 et R39 du Code Pénal.
Par ailleurs, le juge ne manquerait probablement pas de souligner que la mise à mort d’un animal ou de plusieurs animaux dans le cadre des établissements scolaires précités, ne revêt pas de caractère de nécessité la dissection pouvant être éventuellement opérée sur des animaux ou des organes d’animaux déjà tués pour la consommation (lapin, poulet, poisson, cœur ou rein de veau et mouton) ou remplacée par d’autres méthodes (examen d’animaux disséqués naturalisés ou inclus sous résine, étude d’un film pédagogique, examen de modèles anatomiques en volume…).
La sévérité du jugement serait par ailleurs aggravée si l’enseignant avait pratiqué la mise à mort de l’animal devant les élèves ou pire avait obligé ses élèves à mettre à mort eux-mêmes les animaux à disséquer.
Il est notoirement connu que le nombre d’institutrices et instituteurs pratiquant l’expérimentation sur l’animal a toujours été très faible. Il est aussi connu que l’expérimentation à caractère traumatique pour l’animal se pratique de moins en moins au collège et au lycée depuis une dizaine d’années. Nombreux sont en effet les professeurs de biologie qui, après avoir mené une réflexion en profondeur sur la validité de ces expérimentations tant sur le plan éthique que pédagogique, invités en cela par des recommandations, notes, et circulaires de l’Éducation nationale, on tout simplement anticipé cette nouvelle réglementation.
Il est toutefois indispensable que celle-ci soit connue, comprise et respectée dans tous les établissements de l’enseignement primaire, secondaire ou technique concernés, car dans quatre ans cette réglementation, sous une forme probablement plus rigoureuse encore, sera européenne.
Remarquons enfin que la liste des titres et diplômes donnant accès à l’autorisation d’expérimenter (arrêté du 19 avril 1988) ne comprend ni le certificat d’aptitude à l’enseignement secondaire, ni l’agrégation de Sciences Naturelles, ni la licence, sauf dans ce dernier cas à titre dérogatoire et pour certains enseignements techniques. C’est une preuve supplémentaire et concluante de la stricte interdiction de l’expérimentation traumatique sur l’animal vivant dans l’enseignement secondaire et a fortiori dans l’enseignement primaire.
Thierry AUFFRET van der KEMP
Biologiste, Ingénieur de recherche