Animal être sensible: 40 ans déjà!

En 1976, les animaux sont devenus des êtres sensibles aux yeux de la loi française.

Mme Suzanne Antoine, secrétaire générale de la LFDA, magistrate et présidente de chambre honoraire à la cour d’appel de Paris, revient sur ce texte et sur les avancées législatives récentes en faveur de l’animal. Elle a remis en 2005 son rapport sur le régime juridique de l’animal à Dominique Perben, alors garde des Sceaux. Forte de son expertise, elle y exposait plusieurs recommandations, dont la qualification de l’animal en tant qu’être sensible. Son rapport pionnier a inspiré des initiatives ultérieures, associatives comme parlementaire, pour aboutir l’année dernière à la modification du code civil qui a introduit l’article 515-14 reconnaissant clairement la sensibilité de l’animal.

Entretien avec Mme Suzanne Antoine le 27 juin 2016

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Selon vous, quel impact a eu la loi de 1976 sur l’animal?

Suzanne Antoine: Il me paraît absolument utile que l’on rappelle ce qu’a été la loi du 10 juillet 1976, qui a eu un impact considérable sur notre législation à l’égard des animaux en introduisant dans notre droit des positions de principe à leur égard. 
On a reconnu pour la première fois que la protection de la nature constituait une nécessité vitale pour l’homme. Ce qui était quand même « à faire » ! Et surtout, elle affirmait en même temps, dans son article 9, que l’animal est un être sensible.

Enfin ! Si l’on considère l’état de notre droit à cette époque, cette loi a constitué une véritable révolution ! Car il faut quand même se souvenir qu’alors nous en étions encore à un code civil, qui dans son article 528, assimilait complétement l’animal à la chose. 
Il faut dire que cette loi n’est pas venue spontanément. Elle était née elle-même de réflexions internationales qui ont été conduites après la seconde guerre mondiale sur la protection de la nature. Il y a eu de grandes conventions du Conseil de L’Europe sur la protection des animaux qui ont été élaborées, en particulier en 1974 avec une loi concernant le transport des animaux, de sorte qu’avec cette loi, c’était une ère moderne qui s’ouvrait.

On peut dire qu’à ce moment-là, « l’animal-machine » de Descartes était mort, et que nous avions maintenant devant nous un être vivant et légalement reconnu comme sensible. C’était donc un point de départ absolument indispensable pour la législation qui allait suivre.

Cette législation s’est caractérisée aux cours des années suivantes par des dates importantes telles que la ratification par la France de conventions, notamment celles de Washington et de Berne, qui protégeaient les animaux, même si ce n’est pas à titre individuel mais en tous cas dans leur présence au sein de la nature. De toutes ces réflexions échangées lors des discussions au niveau international, l’animal a été l’objet d’une considération beaucoup plus grande, en particulier pour la valeur qu’il représentait au sein d’une nature, laquelle doit être, avec eux, respectée et préservée.

Quarante ans plus tard, où en est-on quant au respect des droits fondamentaux des animaux ?

SA: Depuis 1976, la législation française n’a pas cessé de progresser en faveur d’une plus grande considération de l’animal, même si cette progression a été lente, elle est réelle. Nous avons eu des modifications importantes de la rédaction des articles du code civil relatifs à l’animal. Il faut rappeler notamment que la loi du 6 janvier 1999 a distingué, par l’article 528 du code civil, les animaux des choses, des corps inanimés. Elle était encore insuffisante car elle ne définissait pas l’animal comme un être sensible. Mais, pendant toute cette période, il y a eu un grand nombre de textes destinés à prendre en compte le « bien-être animal », notion nouvelle. Ces textes, en provenance, pour l’essentiel, de la législation européenne et de la législation communautaire, ont porté sur des aspects pratiques, tels que l’élevage, les transports, l’expérimentation, les conditions d’abattage. Donc des années utiles, avec une considération accrue pour un meilleur bien-être animal.

Pourriez-vous nous rappeler l’objet du rapport que vous avez remis au garde des Sceaux en 2005?

SA : Le rapport qu’il m‘avait demandé par le garde des Sceaux en 2005 avait pour objet de réunir des réflexions et des propositions en vue d’éventuelles modifications des règles du code civil pour parvenir à un régime juridique plus cohérent de l’animal. Ce rapport contient un exposé du régime de l’animal en 2005, des réflexions sur la recherche d’une qualification juridique de l’animal, et il insistait sur la nécessité d’insérer dans le code civil le nouveau concept d’animal « être sensible ».

Deux propositions ont été faites. Dans la première on proposait d’extraire l’animal des droits des biens. L’animal était alors reconnu comme un être vivant et sensible, et il y avait un article premier du code civil qui était consacré à l’animal. Deuxième proposition, les animaux devenaient une catégorie particulière des biens. À savoir, des biens protégés en leur qualité d’êtres vivants et sensibles. Les autres biens étaient constitués pas les meubles et les immeubles.

Ce rapport n’a pas été suivi, comme on pouvait l’espérer, d’une refonte des articles du code civil. Mais l’on peut penser qu’il a constitué une base de réflexion sur les modifications qu’il était indispensable d’y apporter, notamment sur la qualification de l’animal.

À ce propos, en 2015, le code civil reconnaissait la sensibilité de l’animal. Êtes-vous fière d’avoir contribué à cette avancée historique?

SA : C’est enfin la loi du 16 février 2015 qui a vraisemblablement été inspirée par les propositions du rapport, et qui a fini par reconnaître que l’animal est un être vivant doué de sensibilité. Il a fallu beaucoup de temps pour parvenir à insérer dans notre code la particularité essentielle de l’animal, qui est celle d’un être sensible. On a du mal à comprendre les hésitations qui ont précédé la rédaction de ce nouvel article, car l’existence d’une sensibilité de l’animal a été maintes fois démontrée. Cette loi était indispensable pour mettre de la cohérence entre les différents textes. Mais elle est très insuffisante, faute d’avoir apporté des précisions nécessaires à l’étendue de la sensibilité animale. Mais là encore il s’agit d’une étape qui devra être suivie par d’autres textes. 

Je tiens également à préciser ce que l’on a dit à la suite de la parution de cette loi; qu’il s’agissait d’un texte symbolique. Mais je veux quand même souligner qu’il s’agit d’un texte qui est maintenant dans le code civil, qui est le code fondateur de notre droit. Et que le code civil ne met pas que des symboles, quand il décrit quelque chose, c’est l’explication du fondement des textes qui viendront par la suite.

Cette loi est malgré tout insuffisante, mais on a posé le principe de la sensibilité de l’animal dans un texte. Qui n’est pas fait uniquement pour les symboles, mais qui est fait pour donner les fondements d’une législation suivante.

Alors ensuite vous me demandez si je suis fière… Oui bien sûr. Vous me demandez si je suis fière du travail que j’ai accompli en faveur des animaux… Je ne pense pas qu’il y ait lieu de faire référence à la notion de fierté. Dans le travail que j’ai accompli, j’ai été aidée et soutenue par de nombreux défenseurs des animaux, aussi passionnés que moi par la cause animale. Ils m’ont apporté leur compétences diverses. Le sentiment que je ressens est celui de la satisfaction d’avoir pu, avec d’autres, contribuer pour une petite part à l’amélioration du sort des animaux. Mais il reste encore tellement à faire…Quelques soient les textes, les animaux sont toujours soumis à des conditions matérielles difficiles, mais je sais que d’autres continueront à travailler à l’amélioration de leur sort.

Le 10 juillet 2016 marquera donc les 40 ans de la reconnaissance de la sensibilité animale dans le code rural par la loi de la protection de la nature (art. L. 214-1, 10 juillet 1976), traduite dans le code civil depuis le 16 février 2015.

Article L. 214-1 du code rural : «Tout animal étant un être sensible doit être placé par son propriétaire dans des conditions compatibles avec les impératifs biologiques de son espèce.»
Article 515-14 du code civil : «Les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité.»

 

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