Le rôle des associations et de l’opinion dans la protection de la faune (2021)

Intervention dans le cadre du colloque « Préserver et protéger les animaux sauvages en liberté » organisé par la LFDA le 16 novembre 2021 au Grand Amphithéâtre de la Sorbonne. Par Allain Bougrain-Dubourg, Journaliste et président de la Ligue pour la Protection des Oiseaux.

© Gabriel Legros
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J’ai une bonne nouvelle pour vous. Bien qu’il ait l’air de s’endormir un peu, après nous avoir tant écouté peut-être, Descartes, qui est là, ne considérera plus l’animal comme une machine, après avoir entendu tout ce qu’on a dit ce matin. En tout cas je l’imagine, donc ça n’aura pas été inutile – merci Louis pour ce colloque admirable. Plus sérieusement, je voudrais remercier la Fondation d’avoir choisi cet oiseau [le chardonneret] comme symbole de la réflexion de ce jour. Le chardonneret a perdu 30 % de sa population en moins de 15 ans. C’est aujourd’hui l’un des oiseaux, sur le bassin méditerranéen, qui est le plus agressé, pour une raison simple – on parlait de culture tout à l’heure –, il a le malheur de bien chanter. Pour organiser des concours d’oiseaux, on le capture, encore aujourd’hui en France, à la glu, sur le pourtour méditerranéen, singulièrement en Algérie, où les paris qui sont faits sur les chants de chardonnerets peuvent conduire à des engagements de 10 000 €. Vous voyez donc l’importance de capturer un oiseau qui peut se vendre, s’il fait un bon chanteur, jusqu’à 1 000 €.

D’une façon plus générale, Louis Schweitzer m’a demandé de revisiter un peu, probablement est-ce dû à mon grand âge, la manière dont les associations de protection de la nature et animale, ont conjugué leurs efforts face à la société, et comment cette dernière a-t-elle évolué ?

La première remarque est que, dans ce colloque vraiment remarquable, il y a deux approches différentes. Il y a le déclin du vivant, dont on a beaucoup parlé ce matin, et il y a la maltraitance de l’animal, dont il convient également de parler, même pour l’animal sauvage. On a acté que l’un des manques essentiels était de ne pas reconnaître la sensibilité de l’animal sauvage alors qu’on l’a reconnue pour l’animal domestique. Oui, c’est vrai. D’une façon plus générale également, on a parlé du déclin en évoquant la sixième extinction avec Gilles Boeuf. En fait, de façon contemporaine, on en est à la deuxième très grave alerte. Rappelez-vous les années 1970 où l’on est au lendemain des Trente Glorieuses. On se félicite alors du remembrement, des pesticides, qui vont permettre une production supérieure, de l’élevage en batterie qui va donner davantage de viandes.

Et qu’est-ce que l’on découvre ? Le premier déclin. Dans les années 1970, il restait moins de 10 couples de cigognes blanches en France. Il n’y avait plus de vautours fauves dans les Cévennes. Le castor disparaissait. Aujourd’hui, il y a plus de 3 000 cigognes blanches dans notre pays. J’en parlais avec Michel Terrasse qui a participé à la réintroduction des vautours dans les Cévennes, et il me disait qu’il y avait plus de 500 couples, plus le gypaète barbu, les vautours moines, etc. On a gagné le pari de la réhabilitation des espèces emblématiques.

Et pourquoi ? Parce qu’il y a eu des élus courageux. La loi de 1976 a porté sur la création du ministère de l’Environnement, qu’on appelait assez joliment à l’époque « le ministère de la qualité de la vie » – je crois que c’est un mot qu’il ne faudrait pas perdre de vue parce qu’il nous ramène à l’intérêt de l’homme de se préoccuper du reste du vivant.

Ce matin encore, on a évoqué les grands principes qui nous conduisent à nous inquiéter sur la disparition du vivant : l’agriculture intensive avec son cortège chimique, l’artificialisation, les espèces invasives, le dérèglement climatique. Au-delà de cette prise de conscience essentielle, j’ai la conviction qu’il faut désormais revenir au plus près de la bête et de la plante. Il faut renouer, comme on l’a fait dans les années 1970, avec la volonté de protéger espèce après espèce, ne rien lâcher, être en proximité.

Les grands principes ne suffisent pas. Oui, ils sont essentiels, ils sont prioritaires. Mais je vais vous donner un exemple, celui de la pie-grièche à poitrine rose, qui la connait dans cette salle ? Je vois qu’il y en a qui lèvent le doigt, c’est vrai que j’oubliais qu’on a des experts. Elle a arrêté de nidifier en France. On considère que l’espèce n’est plus française. Elle n’est pas loin, en Espagne, mais elle n’est plus là, chez nous. On avait encore la possibilité de se battre au plus près de cette espèce, mais on ne l’a pas fait.

Autre chose. J’ai évoqué la particularité d’appréhender la nature à travers le déclin des espèces et la protection des animaux. Toute ma vie, j’ai tenté de conjuguer ces deux singularités. Sur la banquise, à l’époque des bébés phoques avec Brigitte Bardot, et puis par ailleurs, lorsque j’étais auprès de la LPO. Il y avait deux cultures, un peu différentes, qui ont renoué par bonheur aujourd’hui. D’un côté, il y avait les amis des animaux, ceux qui protégeaient les bébés phoques. De l’autre, les amis de la nature, qui s’intéressaient aux espèces en déclin, aux 10 000 variétés d’oiseaux. On a raté un rendez-vous formidable de conjuguer c’est deux sensibilités. Aujourd’hui, par bonheur, elles se rejoignent.

Je note, du reste, que l’Union européenne, dans son dernier jugement[1], a intégré pour la glu la maltraitance animale pour la faune sauvage. C’est une première ! L’Europe nous tire vers le haut. Je vous propose d’applaudir Monsieur [Delgado], représentant la Commission. Alors évidement, l’Europe a des lacunes. Elle ne sait pas pourquoi la France se comporte mal. Sûrement en raison des lobbyings. C’est tout simplement ça, et c’est inacceptable.

Dans mon propos sur l’engagement de la vie associative, je dois dire qu’au cours de ces dernières années, on a constaté une professionnalisation dans le monde associatif, en intégrant des scientifiques et des juristes dans les équipes. On a des gens de qualité, et on sait de quoi on parle. Après avoir tapé à toutes les portes, après avoir tenté d’expliquer et de raconter, après avoir sollicité pour le respect de l’élémentaire, on a été obligé de se tourner vers l’Europe. Et voyez-vous Monsieur, c’est grâce à vous, aujourd’hui, qu’on élève le débat en France. Je le regrette : on est le pays des droits de l’homme, mais on n’est pas celui des droits de la nature, ni de l’animal. Je le regrette. On pourrait l’être, on a les moyens de l’être. Il suffit de se pencher sur le comportement des autres pays, notamment sur le traitement des animaux d’élevage – je sors un peu du cadre – pour voir tous les efforts qui sont faits, de façon admirable, dans le reste de l’Europe. Je me dis qu’on pourrait, tout simplement, s’aligner sur ce qui se fait de bien, sans mettre l’économie française à genou.

Je le regrette, après avoir tapé à toutes les portes, après avoir été au Conseil d’État, on va jusqu’à la Cour de de justice de l’Union européenne, pour rappeler le droit. On est en attente, ça a été évoqué à l’instant, en ce qui concerne les chasses traditionnelles. Quelle honte de remettre les chasses traditionnelles sur le tapis lorsque l’on sait la maltraitance des oiseaux en question, et puis la manière dont ces pratiques impactent la faune sauvage. Quelle honte ! Et on est obligé d’aller devant les tribunaux.

J’ai été au Conseil d’État plusieurs fois. J’avais en face de moi le représentant des chasseurs, c’est normal, mais j’avais aussi le représentant du ministère de la Transition écologique. Je le dis avec déchirement, tant j’aime les gens du ministère, dont je me réjouis qu’ils existent, mais ce Monsieur faisait du zèle pour qu’on tue davantage, au nom du ministère de la Vie. C’est inacceptable, et c’est ce à quoi on assiste, parce qu’il arrive un moment où les élus, je suis désolé de le dire, n’ont pas le courage de dire : « ça suffit, on va se comporter éthiquement ». Pourtant, c’est le moins qu’ils puissent faire.

Que vous dire encore ? Je m’emporte un peu. On a parlé de l’avenir. Oui, l’avenir est dans la jeunesse, incontestablement. J’ai un peu honte, de ne pas être encore végétarien ou végan, mais je discute vraiment beaucoup avec cette communauté, et je la trouve remarquable, parce qu’elle ne fait pas un prosélytisme déplacé, elle se donne quasiment en valeur d’exemple. On ne m’engueule pas parce qu’il m’arrive encore de manger de la viande, et ça, je trouve ça très bien.

Je pense que les élus ne voient pas la société bouger. On parlait d’optimisme ou non, et bien qui sont ces gens qui, aujourd’hui, veulent avoir un rapport différent avec l’animal ? Ce sont des jeunes, entre 18 et 35 ans. Vous vous rendez compte que quand vous prenez le TGV, vous voyez désormais un menu végan. Ce n’est pas pour faire plaisir à quelques passagers. C’est parce qu’il y a un mouvement social formidable. Et les végans ne sont pas les enfants de la SPA. Ce sont des jeunes, qui se sont interrogés dans leur rapport au vivant. Il faut que l’exécutif entende ce mouvement. Et peut-être qu’on évitera d’avoir des conflits plus graves.

Je pourrais vous parler longtemps encore. En tout cas je remercie vraiment sincèrement la Fondation Droit Animal, Éthique et Sciences.  Plus jeune, j’avais porté la Déclaration des droits de l’animal, on avait travaillé dessus ensemble, je trouve donc cela extrêmement émouvant de voir que, malgré tout, il y a une progression formidable, admirable qui se vérifie aujourd’hui.

On va laisser dormir Descartes, mais en revanche je vais vous parler d’Einstein, qui disait : « Le monde n’est pas tant dangereux à cause de ceux qui font le mal, mais à cause de ceux qui regardent, et qui laissent faire. » Sauf qu’aujourd’hui, on regarde, mais on n’a pas l’intention de laisser faire. Je vous remercie. Monsieur, au nom de la Commission européenne, à qui je rends une nouvelle fois hommage, ne baissez pas les bras. Quand vous dites aujourd’hui « on ne va plus avoir d’objectifs pour stopper le déclin, parce qu’on sait que ça ne marche pas », non, il faut les maintenir. J’étais à Nagoya[2], et j’ai pleuré de voir qu’on n’était pas au rendez-vous de nos engagements. J’étais à Hyderabad[3], j’ai fait le même constat. Pour autant, si jamais on ne prend pas comme objectif de stopper le déclin de la biodiversité, on n’y arrivera pas. Voilà ce que j’avais à ajouter.


[1] Décision de la Cour de justice de l’Union européenne dans l’affaire C-900/19. Retour

[2] COP 10 des Nations unies sur la biodiversité, octobre 2010. Retour

[3] COP 11 des Nations unies sur la biodiversité, octobre 2012. Retour

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