L’engagement pour préserver les animaux sauvages en liberté (2021)

Entretien vidéo du 29 octobre 2021 dans le cadre du colloque « Préserver et protéger les animaux sauvages en liberté » organisé par la LFDA le 16 novembre 2021 au Grand Amphithéâtre de la Sorbonne. Par Louis Schweitzer, président de la LFDA et Nicolas Hulot, ancien ministre de la Transition écologique et solidaire, président de la Fondation Nicolas Hulot pour la nature et l’homme.

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Louis Schweitzer

Bonjour Nicolas Hulot. Merci de participer depuis Saint-Malo au colloque qu’organise la Fondation Droit Animal, Éthique et Sciences sur : « préserver et protéger les animaux sauvages en liberté ». J’ai envie, parce que vous avez été un homme politique, vous êtes un expert de la nature, et aussi un militant engagé, que vous me disiez un peu votre vision de ce que sont ces animaux, de leur place dans l’univers, de la place qui doit leur être reconnue.

Nicolas Hulot[1]

On est à un tournant qui est un cap de la civilisation. Il y a une conscience qui émerge, et notamment sur notre relation au monde du vivant avec le monde végétal, comme avec le monde animal. Cette récente COP sur la biodiversité nous montre qu’il y a un véritable déclin du monde vivant, mais ça n’est pas irréversible. Ce qui est irréversible, c’est quand une espèce disparaît. L’humanité peut demain se ressaisir, c’est un problème de conscience, et après c’est un problème de moyens. Que faire ? mais substantiellement : comment faire ? Dans nos démocraties, c’est la question la plus délicate, parce qu’il faut le consentement, et pour avoir le consentement, il faut en comprendre la pertinence, l’utilité, les nécessités, ou tout simplement la valeur.

Il en est à mon avis du sort du sauvage ou des espèces animales, ou de la condition animale, comme de l’ensemble du vivant. C’est un sujet tellement essentiel, tellement crucial, qu’il faut, au préalable, avoir une espèce d’union sacrée des élites, et notamment des élites politiques, si l’on veut emmener la société des citoyennes et des citoyens dans une grande mutation, si l’on veut se mettre des règles communes – parce qu’on n’échappera pas à des règles communes. Ce qui se joue actuellement, au-delà, simplement, de la condition animale, du destin des animaux, c’est l’avenir du vivant, et l’avenir de l’espèce humaine, qui, comme elle est probablement l’une des dernières arrivées sur cette planète, est celle qui a le moins de défenses immunitaires, donc une des espèces les plus précaires et les plus vulnérables.

Louis Schweitzer

Comment doit-on agir ?

Nicolas Hulot

Tout ce qui vit mérite attention et protection. Je pense qu’il faut donner un statut au sauvage. Le monde sauvage, c’est ce qui nous a précédé, c’est ce qui était là avant nous. Ça nous met en responsabilité. Nous devons nous extraire de cette vision anthropocentrique, en oubliant que nous sommes un intrus. Il y a de la place, bienvenue aux humains sur Terre, bien entendu ! Mais on peut faire un partage. Il y a des endroits où on doit laisser la nature s’épanouir, d’autres où l’on peut cohabiter avec elle. Et puis, il y a nombre de prélèvements dans la nature, on pourrait les lister, dans beaucoup de pratiques indues qui ne participent en rien à l’épanouissement humain. Il faut faire changer en profondeur un modèle de prédation. Notre modèle économique est basé, qu’on le veuille ou non, sur l’exploitation de la nature, des écosystèmes. C’est bien là l’origine des changements climatiques, de l’érosion de la biodiversité, de la raréfaction des ressources.

Alors individuellement, qu’est-ce qu’on peut faire ? Nous sommes des consommateurs. Je prends un exemple classique, que tout le monde connaît : quand on évite d’acheter des produits qui contiennent de l’huile de palme, par exemple, mine de rien, ça peut profiter aux orangs-outans en Indonésie, pour prendre un exemple parmi d’autres, parce qu’ils en ont été les principales victimes. On peut être des consommateurs responsables, consciencieux, et qui essayons d’être, si tant est qu’on nous guide avec des labels évidemment légitimes et certifiés, beaucoup plus responsables. Après, dans son comportement au quotidien, quand on se balade en forêt, quand on pratique un certain nombre d’activités, quand on utilise un certain nombre de produits, quand on achète des aliments qui ont été fabriqués en utilisant des pesticides et des insecticides, dont on sait l’impact sur la biodiversité (puisque les pesticides sont un des principaux vecteurs de la destruction de la biodiversité), on a quand même le choix dans notre consommation. Ça, c’est évidemment la responsabilité individuelle, c’est à dire se doter d’une conscience quotidienne, et se dire « est-ce que  je participe à la dégradation de la biodiversité dans mes gestes d’achat, dans mes déplacements, etc. ou pas ? »

Mais ça ne suffit pas, évidemment. Il faut que la volonté individuelle rencontre l’organisation collective, c’est-à-dire celle que peuvent mettre en place les politiques. Or, en démocratie, il faut que les choses se croisent bien entendu, et c’est pour cela aussi que, je pense, pour la transition écologique, dont fait partie la condition animale, nous devons avoir une démocratie élaboratrice, participative, plus vigoureuse, pour associer les citoyens à la complexité de la décision.

Il va falloir qu’on ait de plus en plus d’aires protégées. Mais pour en avoir, il faut s’en donner les moyens. Quand j’étais ministre, je donnais souvent cette anecdote d’un parc marin en Martinique. Nous avions un employé à plein temps qui n’avait même pas de bateau… Il va falloir que nous ayons des espaces de protection. Ça ne veut pas dire des espaces où il n’y aura plus aucune activité, mais couverts par un certain nombre de règles, où la nature, les espèces, vont pouvoir se protéger et se développer.

Il y a un moment ou un autre, il faut une méthode, avec des points de passage, et y mettre les moyens juridiques, les moyens économiques, les moyens financiers. Les choses ne se feront pas simplement parce que l’on prend un objectif qui va s’auto-réaliser. Il y a un moment ou un autre, il faut se donner les moyens, et notamment les moyens réglementaires et législatifs. Comme Victor Hugo, je pense que ce que la France inspire, l’Europe également le copie, et inspire le reste du monde. Sur le plan du droit, nous ne serions pas les premiers, parce que les pays scandinaves, à mon avis, sont en avance sur ce sujet-là, notamment la condition animale.

Nous pourrions prendre un certain nombre d’initiatives sur les outils de gouvernance. Moi, ça ne me choquerait pas qu’on ait – on peut y réfléchir – un secrétariat d’État à la condition animale. D’autres proposent un défenseur. Ça peut être un haut-commissaire. Mais ce n’est pas un sujet qu’on peut traiter au gré des élections. C’est un sujet que l’on doit traiter, accompagner et évaluer en permanence. Mais c’est surtout un sujet qui demande une espèce de maturité politique. C’est un sujet pour lequel on devrait tous se retrouver. C’est notre dignité qui se joue, c’est notre grandeur, et quelque part, c’est aussi notre avenir. Et franchement, je pense que le temps est venu, parce qu’il y a une conscience. Et d’ailleurs, je pense qu’on devrait, faire émerger de manière très objective, la conscience française, sur la condition animale – je l’avais souhaité quand j’étais au gouvernement. Et je pense qu’on serait surpris, comme disent les Suisses, en bien.

Louis Schweitzer

Que dire de nos relations commerciales ?

Nicolas Hulot

Nous avons, par exemple, pour ne parler que du Brésil, des relations commerciales avec les autres pays. Vu nos importations de soja, en France, qui se font au détriment de la forêt amazonienne et de la biodiversité, on n’est pas en mesure, parce qu’on participe quelque part à cette destruction, de donner des leçons. Commençons déjà, nous, par regarder ce que l’on peut faire dans nos relations commerciales pour être dans le cercle vertueux, plutôt que dans le cercle destructif. Je ne suis pas du tout pour fermer nos frontières. Bien entendu, personne n’en a l’idée. On doit utiliser nos relations commerciales comme des leviers vertueux. Mais il faut que l’on s’impose nous-mêmes nos règles. C’est-à-dire que, si par exemple l’Europe réduit ses pesticides – c’est pour ça que je me suis battu, il faut avoir ce qu’on appelle des mesures miroir aux portes de l’Europe. Parce qu’aujourd’hui, on est dans cette absurdité où on demande à nos agriculteurs, à nos éleveurs, de se priver d’un certain nombre d’intrants – et c’est une mutation difficile pour eux, alors que par un certain nombre d’accords de libre-échange, on importe des produits ou des biens qui ne sont pas soumis aux mêmes critères. Le commerce peut être un levier vertueux. Parce que l’idée est : si vous voulez commercer avec la première puissance économique mondiale – on l’oublie, mais personne ne peut se priver de l’Europe –, vous le faites à nos conditions. Et ça aussi, ça peut être excessivement efficace, parce que vous verrez qu’en quelques temps, après nous être imposés nos propres normes, on pourra les imposer aux autres pays.

Louis Schweitzer

Je voudrais parler maintenant d’un autre sujet, que nous traitons aussi dans notre colloque, qui est la prise en compte des animaux sauvages en tant qu’individus. La Fondation Droit Animal, Éthique et Sciences souhaite que l’interdiction de pratiquer des actes de cruauté sur les animaux soit étendue aux animaux sauvages vivant en liberté. Qu’on prenne en compte leur sensibilité, et leur capacité de ressentir de la douleur. Que pensez-vous de cela ?

Nicolas Hulot

Comment justifier qu’il y ait deux poids, deux mesures ? Est-ce que ça signifierait que, au prétexte que nous ayons une proximité physique avec certaines espèces, elles ont plus de droits que d’autres, ou qu’elles souffriraient plus que d’autres ? Ce sont les mêmes êtres. Certains ont été domestiqués, mais ce sont les mêmes animaux, avec les mêmes souffrances, les mêmes consciences. Rien ne justifie que l’on donne aux animaux domestiques des droits ou une attention dont on priverait les animaux sauvages. Un chien n’est que l’évolution d’un loup. J’accorde la même attention, la même estime, la même admiration, la même sensibilité, la même ingéniosité, la même performance, le même statut, que ce soit à mon berger australien, qui est de l’autre côté de la porte, ou que ça soit au dauphin, auquel je vais rendre visite régulièrement ici. Lui est en liberté, mais j’ai la même attention, et il n’y a pas plus de raisons de s’indigner de la souffrance qu’on pourrait occasionner à mon chien, que celle qu’on peut occasionner aux dauphins.

Votre initiative est de combler un malentendu qui n’a aucune raison d’être. Ou alors, encore une fois, c’est une vision anthropocentrique : nous avons tissé des liens affectifs avec certains, et donc ils ont droit à ce privilège, et les autres n’y ont pas droit, au prétexte que nous les connaissons moins bien, ou qu’ils sont plus éloignés de nos yeux et de nos esprits. C’est ce à quoi il faut remédier. L’éloignement physique, géographique et sensoriel ne doit pas justifier un écart d’attention, ni de responsabilité. Mais qu’est ce qui peut justifier que quand vous balanciez, pardon de l’image horrible, un chien par la fenêtre, vous allez à juste titre, je l’espère, être condamné, en revanche, quand vous balancez un renard, vivant, dans un ravin, vous ne risquez rien ? Rien, intellectuellement, ne peut le justifier. En quoi le chien aurait un statut supérieur au renard ou au loup ?

Ça pose la question fondamentale que l’humain ne s’est pas posée jusqu’ici, et qui va devenir un sujet du XXIe siècle, et qu’il va falloir encore une fois étreindre, du statut du sauvage. Il faut donner un statut au sauvage. On est dans un moment où l’homme se cherche. Il s’est perdu dans son milieu. Nous faisons partie du règne animal et on doit encore une fois acter nos responsabilités, et ça se joue maintenant. C’est cet enjeu magnifique du XXIe siècle. Ce qui doit nous distinguer des autres espèces, c’est notre faculté de détermination, notre volonté. Mais encore une fois, avec des moyens, une méthode, et surtout une unité à protéger l’ensemble du vivant.

Louis Schweitzer

Et il n’est pas trop tard ?

Nicolas Hulot

Non, il n’est pas trop tard. Preuve en est, c’est que même si l’érosion de la biodiversité a démarré, il y a une conscience. Sa traduction en actes est certes longue, parce que comme vous l’avez dit, il y a les urgences, les souffrances immédiates, palpables, mais il y a une réflexion qui est en marche, ce qui est déjà nouveau. Mais là, c’est ce siècle qui va trancher ou pas cette problématique.

[1] Ancien ministre de la Transition écologique et solidaire, président de La Fondation Nicolas Hulot pour la nature et l’homme. Retour


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